Dans la première partie de notre analyse du «modèle» allemand, nous avons resitué le compromis dont les termes suggérés par le Conseil d'analyse économique seraient ceux d'une compression du coût salarial unitaire contre le maintien de l'emploi et de la base productive nationale, en situant ce compromis dans le contexte d'un capitalisme allemand davantage financiarisé.
Nous avons indiqué que cette voie ne pouvait être suivie sans risque en France vu l'affaiblissement de la base productive française, résultat du divorce entre les grands groupes et le territoire national. Le «travailler moins et gagner moins pour préserver son emploi» serait en France l'expression d'un malthusianisme industriel, économique et social, synonyme de déclin.
Poursuivant notre analyse du «modèle» allemand, nous souhaitons dans ce second texte évoquer la fameuse orthodoxie budgétaire allemande que la classe politique française semble considérer avec émerveillement. D'après un article récent d'un grand quotidien du soir, le président de la République est présenté comme souhaitant faire de l'orthodoxie budgétaire un argument de campagne. La mise sous surveillance négative des États-Unis par les agences de notation aurait convaincu (sans peine, pensons-nous) le Président qu'il n'a pas le choix... Il faudrait donc réduire le déficit budgétaire mais sans toucher à l'impôt. Ni hausse, ni baisse donc mais une diminution des dépenses publiques. Comme les Allemands, on pourrait même imaginer d'inscrire dans la Constitution l'obligation de quasi-équilibre du budget... si ce n'est que les Allemands n'ont prévu cela que pour le seul État fédéral et en excluant les cas de récession ou de catastrophe naturelle.
Imaginons donc que l'État français fasse ce qu'envisage de faire le président de la République si celui-ci est réélu, qu'il diminue donc les dépenses publiques. En l'absence de progression vigoureuse des exportations (1), de forte augmentation des investissements des entreprises (2) ou d'envolée (peu probable) de la consommation des ménages, la croissance économique en France pourrait bien souffrir de cette diminution de la dépense publique. En d'autres termes, la baisse envisagée des dépenses publiques pourrait précipiter le pays dans la récession et provoquer une... baisse des recettes fiscales. Mutatis mutandis, c'est la situation que connaît la Grèce aujourd'hui. Le plan d'austérité de l'État grec contribue à déprimer la croissance du pays, amplifiant la récession. Il s'ensuit un déséquilibre persistant des finances publiques alors que c'est la résorption de ce déséquilibre qui sert à justifier la politique d'austérité.
Regardons à présent du côté de l'Allemagne. L'État allemand a-t-il contracté ses dépenses de façon significative? La réponse est négative. D'où vient alors le «miracle» du rééquilibrage de ses finances? La réponse est la même que celle qui résulte de l'observation des finances fédérales américaines pendant le second mandat de Bill Clinton. La baisse du déficit fédéral est étroitement liée à la croissance économique. Une croissance économique forte ou plus forte améliore mécaniquement les recettes car celles-ci sont corrélées à l'activité.
Si le déficit de l'État fédéral s'est contracté, ce n'est pas parce que l'État allemand se serait montré particulièrement vertueux et économe, c'est parce que la croissance économique de l'Allemagne a été plus forte, soutenue par la croissance des exportations industrielles.
Au final, l'enseignement que nous tirons du «modèle» allemand, c'est que celui-ci est loin d'être celui que l'on décrit. L'État allemand n'est pas particulièrement vertueux mais il bénéficie de la croissance économique pour améliorer ses recettes. Nulle orthodoxie budgétaire donc sur laquelle il conviendrait de prendre exemple.
Quant à assouplir le droit du travail et réduire les salaires pour surmonter les crises, ce n'est pas la voie que suit le capitalisme allemand pour améliorer sa compétitivité mais c'est bien celle qu'il suit pour répondre aux exigences de rentabilité des actionnaires. Cette voie, en Allemagne comme en France, n'est pas la meilleure pour permettre une mutation vers un nouveau paradigme fondé sur l'économie de la connaissance et la préservation de la Nature.
(1) On rappellera qu'à la différence de l'Allemagne, la contribution du commerce extérieur à la croissance est nettement négative en France.
(2) Les entreprises françaises de grande dimension préfèrent investir à l'étranger, comme nous l'avons rappelé dans la première partie de ce texte.