« Les occasions de réagir ont toutes les chances de se multiplier dans les deux ans qui viennent… » : c’est en ces termes que j’avais conclu mon dernier billet, mis en ligne le 20 janvier.
Dans les deux ans ? En réalité, moins de deux semaines auront suffi pour donner matière à une nouvelle intervention sur mon blog, la 25 ème depuis son ouverture, il y a un peu moins de trois ans, avec « Macron ne serait pas « le candidat des riches » ? La preuve du contraire... », mise en ligne le 21 février 2017.
Moins de deux semaines ? J’aurais pu écrire moins de deux jours et même moins de deux heures, tant nos Dirigeants, dont, à tout seigneur tout honneur, le premier d’entre eux, savent dire (ou faire) un maximum de bêtises ou débiter un maximum de contre-vérités dans un minimum de temps.
C’est avec le « remake » de la colère épique de Jacques Chirac à Jérusalem, en 1996, qu’a commencé cette séquence effarante, montrant un Emmanuel Macron occupé à singer notre « Jacquot national » engueulant des agents de sécurité israéliens, avec un accent anglais revisité à la sauce corrézienne qu’on croyait inimitable. Nous nous étions trompés : notre Monarque a réussi à l'imiter, mal certes, mais il a osé le faire. Le pari était risqué : n’est pas Jacques Chirac qui veut (comme je l’ai déjà écrit dans mon précédent billet) !
Etant donné le ridicule de la parodie, la Com’ élyséenne a tout fait pour en minimiser les effets, allant jusqu’à prétendre que, doté d’un exceptionnel pouvoir d’imprégnation, notre Président n’avait absolument pas cherché à copier son prédécesseur ; il avait simplement reproduit, (probablement « à l’insu de son plein gré » ?), l’accent des agents israéliens chargés de sa sécurité depuis le début de la journée, sans doute aussi pour être certain qu’ils le comprennent...
On retiendra de cet épisode grotesque qu’il a la capacité de saisir en quelques heures seulement les plus infimes nuances des propos de ceux qui l’accompagnent… Et de les faire siennes… On pouvait en douter jusqu’alors, compte tenu de la surdité dont il a toujours fait preuve depuis son élection. Et ce ne sont pas les centaines de milliers de Français qui défilent depuis un an et demi, partout en France, qui me contrediront !
Dans l’avion qui le ramenait en France, c’est devant une poignée de journalistes qu’il a rappelé son goût immodéré pour les formules malencontreuses, n’hésitant pas à comparer la guerre d’Algérie à la Shoah, « Je suis très lucide sur les défis que j'ai devant moi d'un point de vue mémoriel, et qui sont politiques. La guerre d'Algérie est sans doute le plus dramatique. Je le sais depuis ma campagne. Il est là, et je pense qu'il a à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995 ». « Comparaison n’est pas raison » : Emmanuel Macron nous en donne une nouvelle illustration. A ses dépens…
Toujours dans le même avion, décidément en verve, il s’est également emporté contre tous ceux qui, selon lui, justifieraient les violences qui accompagnent désormais la plupart des manifestations. Dieu seul sait combien elles ont été nombreuses depuis son avènement. La suite de son propos, dans laquelle il donne « sa » définition de la dictature, ne manque pas de sel (probablement extrait de ces fameuses mines de sinistre mémoire qui ont sévi dans divers états totalitaires !) : « La dictature, c’est un régime où une personne ou un clan décide des lois, où l’on ne change pas les dirigeants, jamais ». Puis il enfonce le clou, s’en prenant avec véhémence à « tous ceux qui, aujourd’hui, dans notre démocratie, se taisent sur ce sujet », ce qui fait d’eux « les complices, aujourd’hui et pour demain, de l’affaiblissement de notre démocratie et de notre République ». On retiendra enfin que, pour lui, « si la France c’est ça, essayez la dictature et vous verrez ! La dictature, elle justifie la haine. La dictature, elle justifie la violence pour en sortir. Mais il y a en démocratie un principe fondamental : le respect de l’autre, l’interdiction de la violence, la haine à combattre ».
Si je ne mets pas en doute les convictions de notre Président en matière de violence et que, comme lui, comme l’immense majorité des Français, toutes tendances politiques confondues, je la condamne vigoureusement sous toutes ses formes, je m’interroge néanmoins sur certains éléments de sa rhétorique ainsi que sur sa capacité à lire le monde réel : n’est-on pas en droit de considérer qu’aujourd’hui, notre pays vit dans « un régime où une personne ou un clan décide des lois » ? N’est-ce pas précisément « sa » définition de la « dictature » ? Il est vrai que la France n’est pas un pays « où l’on ne change pas les dirigeants, jamais ». Il est néanmoins tout aussi vrai que, quand on pourrait ou devrait en changer certains, la tâche s’avère généralement ardue en raison des « protections » dont ils bénéficient.
Ne pas le voir, ne pas le reconnaître, c’est faire preuve d’un cynisme sans limite. Alors, si dictature il n’y a pas, je le concède, régime autoritaire il y a bel et bien !
Deuxième événement marquant de la fin du mois de janvier : l’adoption en Conseil des Ministres, dans la matinée du vendredi 24 janvier, du projet de loi portant réforme des retraites. Pas vraiment une surprise, compte tenu de l’obstination dont le Gouvernement fait preuve depuis que cette réforme a été présentée par le Gouvernement comme la « mère des réformes ». Ce qui l’est en revanche, c’est la publication, le même jour, d’un long avis du Conseil d’Etat, dûment motivé, sonnant comme une véritable condamnation de la réforme.
Emanant de la plus haute juridiction administrative de notre pays, à laquelle appartiennent, ont appartenu, appartiendront ou réappartiendront nombre de ceux qui nous dirigent, cet avis aurait pu et même dû conduire à « ralentir le pas ». C’est exactement l’inverse qui s’est produit, le projet de loi étant examiné dans le cadre d’une procédure accélérée, en totale contradiction avec l’avis du Conseil d’Etat… Et pouvant aller jusqu’au 49-3, ce que n’a pas exclu Olivier Véran, le tout neuf Ministre des Solidarités et de la Santé.
Dans ce contexte, le discours de certains Ministres, dont on ne peut croire qu’ils se sont exprimés sans en avoir reçu l’autorisation « d’en haut », est apparu pour le moins surprenant et même choquant. Ainsi, Olivier Dussopt, Secrétaire d'Etat à la Fonction publique, n’a-t-il pas estimé que le Conseil d’Etat « a validé 95 % des dispositions sur le fond et considère que c'est une réforme inédite, qui va profondément modifier le régime de retraite », considérant de facto comme quantité négligeable les critiques, pourtant extrêmement sévères, exprimées par les Conseillers d’Etat ? On en vient à se demander à quoi sert le Conseil d’Etat si ses avis ne sont pas pris plus au sérieux que s’il s’agissait de la simple transcription d’échanges tenus sur un bout de comptoir, au Café du Commerce du coin…
Depuis lors, les incidents de parcours se sont multipliés, venant de toute la Macronie, « from the top to the bottom » comme on pourrait le dire en jargon macroniste, conduisant à mettre sérieusement en doute la capacité de nos dirigeants à maîtriser la situation, tant leur maladresse, leur amateurisme sont apparus criants. Il est évidemment impossible d’entrer dans le détail de toutes les erreurs commises mais certaines sont énormes, même si la Com’ présidentielle, par la voix de l’inénarrable Sibeth N’Diaye et d’autres perroquets, à l’Assemblée nationale, dans les médias « mainstream » et dans la presse « pipole », a tout fait pour minimiser leur portée.
Inutile de s’attarder sur le camouflet infligé par Cédric Villani, invité à l’Elysée, refusant de retirer sa candidature pour céder la place à Benjamin Griveaux… Des circonstances autres ont changé récemment le cours d’une histoire déjà fort mal engagée.
Le Festival de la BD d’Angoulême, avec l’épisode du tee shirt montrant un chat éborgné par un LBD, offert par le dessinateur Jul[1], exhibé sans retenue par Emmanuel Macron en majesté, passera sûrement à la postérité.
Comme le symbole du manque de réflexion d’un homme tourné sur lui-même, apparemment incapable de comprendre la perception que peut avoir le commun des mortels, ceux que l’on appelle à tort le « vulgum pecus » (ou « multitude ignorante », comme la qualifie le Larousse), une multitude pas si ignorante en réalité, et, en tout cas, beaucoup moins que le « servum pecus » (décrié par Horace), ou « troupeau servile », qui constitue l’essentiel de la garde présidentielle…
Le refus des Députés LREM de voter en faveur de l'allongement du congé de deuil pour les parents perdant un enfant passera probablement lui aussi à la postérité comme ayant été un grand moment d’inhumanité.
Au point que, le lendemain du vote, « le Medef lui-même a suggéré à l’Assemblée nationale de procéder à un nouveau vote, finissant de discréditer l’excès de zèle pro-entreprises du gouvernement », comme l’a relevé Libération dans Congé pour parent endeuillé : la mauvaise entreprise de LREM, article publié le 2 février.
Mieux encore, le surlendemain, Emmanuel Macron reprenait personnellement le dossier à son compte pour « demander au gouvernement de faire preuve d’humanité »[2], selon les termes de l’Elysée. On ne pouvait imaginer aveu plus clair, même si, de toute évidence, tel n’était pas le projet initial du « Château », obligé de réagir dans l’urgence.
A la colère des élus de l’opposition s’est donc naturellement ajoutée la désillusion des élus de la majorité, totalement déboussolés, abandonnés en rase campagne par leur « gourou ». Lequel, ayant pris conscience des dégâts provoqués par ce qui n’était pas une simple erreur mais bien une faute politique grave, n’a rien trouvé de mieux, pour rassurer ses troupes, ce « servum pecus » ou « troupeau servile » évoqué plus haut, que de se livrer à une séance de « câlinothérapie »[3], mini réplique du toujours aussi mal nommé « Grand débat » aussi pathétique qu’inutile, sur le fond et sur la forme.
Il aura suffi de quelques mots du Chef, debout, au milieu de LRMISTES éreintés, écœurés, meurtris, pour que la « troupaille » macroniste se trouve requinquée, fière d’elle-même et de son « amateurisme », vanté comme une qualité insigne par son « cheftain », assénant, plus théâtral que jamais et sûr d’être ovationné, « Si les professionnels, ce sont ceux qu'on a virés il y a deux ans et demi, et que les amateurs c'est vous, alors soyez fiers d'être amateurs ! »…
Pas sûr que la « séance de rattrapage »[4] ainsi engagée, qu’ont prolongée les interventions à répétition des « sous-cheftains » et « sous-cheftaines », omniprésents sur les plateaux des chaînes d’information en continu, ait permis de corriger l’impression détestable créée par le vote des 40 malheureux députés sacrifiés au nom de la « discipline », ou, plus exactement, de la soumission aveugle à la politique gouvernementale.
De fait, les Députés LREM et certains Ministres ont beau se démener pour faire croire qu’ils ont refusé la proposition de loi présentée par le député du Nord Guy Bricout (UDI-Agir) parce qu’ils avaient pour projet de proposer plus et mieux, rien n’y fait. Les comptes rendus des travaux de l’Assemblée Nationale prouvent qu’il n’en est rien. A charge, les propos de Muriel Pénicaud, Ministre du travail, « La question n’est pas de savoir s’il faut donner un répit à ces parents éprouvés (mais) s’il est normal que ce soit la petite entreprise qui paye à 100 %, et non la solidarité nationale », et ceux de Sereine Mauborgne, Députée LREM, jugeant « un peu facile de s’acheter de la générosité à bon prix sur le dos des entreprises ».
Ce ne sont certes pas les gesticulations du sieur Mounir Mahjoubi, ex-secrétaire d’Etat, ex-candidat à la Mairie de Paris, ex-soutien de Cédric Villani rallié à la candidature de Benjamin Griveaux, ex-candidat à la succession de ce dernier, désormais rallié à Madame Buzyn, décidément présent sur tous les fronts pour essayer d’exister politiquement, qui compenseront l’image désastreuse donnée par la valetaille macroniste, manifestement beaucoup plus à l’aise pour faire des coupes sombres dans les budgets sociaux que pour répondre aux besoins légitimes des personnes en difficulté, matériellement et moralement.
Comme une catastrophe ne vient jamais seule en Macronie, celle relative au vote calamiteux des 40 petits soldats de la République en marche s’est trouvée immédiatement prolongée par ce que j’appellerai pudiquement « l’affaire Griveaux », et, par ricochet, sur décision d’Emmanuel Macron en personne, la mutation express d’Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, en candidate à la Mairie de Paris, perspective qu’elle avait totalement écartée deux jours auparavant[5], et son remplacement, tout aussi expéditif, par Olivier Véran, jusqu’alors rapporteur général de la Commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale.
Une promotion saluée comme il se soit par la majorité unie, Sibeth N’Diaye en tête[6], qui n’a pas hésité à affirmer, sans rire : « On a des parlementaires qui sont d'excellents techniciens, de très grands politiques, et qui peuvent parfaitement accéder au gouvernement ». Mais raillée par l’opposition, de droite comme de gauche, comme le montre par exemple le message qu’Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo à la Mairie de Paris et Directeur de sa campagne, a publié sur son compte twitter : « Il y a 2 jours, Agnès Buzyn expliquait qu’elle ne pouvait être candidate à Paris en raison des sujets majeurs dont elle s’occupe : corinavirus, crise hospitalière... Cet abandon de poste montre que l’intérêt de LREM prime sur l’intérêt national, c’est une grave faute politique »…
Il est vrai que les responsables LREM ne sont pas avares de formules auto-dithyrambiques, à l’image de Gilles Le Gendre, qui, en septembre 2019, selon Le Figaro, avait qualifié les rangs de la majorité de « repère de talents formidables », ce qui n’était déjà pas rien, mais, plus fort encore, d’« écurie de pur-sang à la robe frémissante »...
Nous en frémissons encore, effectivement…
N’oublions pas qu’il s’était également signalé par la cultissime formule « Je pense que nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons […]. Deuxième erreur, dont nous portons tous la responsabilité – moi y compris, je ne me pose pas en censeur : c’est le fait d’avoir probablement été trop intelligents, trop subtils, trop techniques dans les mesures... »
Le tableau des « bourdes » du « Team Macron » serait incomplet si j’omettais la Circulaire Castaner et le jugement critique sur son contenu porté par le Conseil d’Etat, les propos « tout en nuances » d’Emmanuel Macron sur la Russie de Vladimir Poutine, dans le cadre de la « Conférence de sécurité » tenue à Munich le 15 février, ou, très près de nous (c’était hier), son exposé sur le « séparatisme » (puisqu’il n’aime pas le terme « communautarisme »), marqué par son aveuglement et son mutisme alors qu'il se trouvait juste en face d'une femme voilée de la tête aux pieds, qu’il a fait mine de ne pas voir…
On nous a martelé depuis plus de trois ans qu’avec Emmanuel Macron, la marche vers le progrès était chose certaine et qu’un monde meilleur nous était promis.
Ce devait être « la Marche de l’Empereur ».
Ne serait-ce pas plutôt « la Marche de l’en-pireur » ?
[1] Que je recommande vivement à tous les lecteurs de ce billet !
[2] Il n’est pas inintéressant de noter que, dans certains commentaires, la formule utilisée par l’Elysée, « faire preuve d’humanité », a disparu au bénéfice d’un « faire preuve de plus d’humanité » moins stigmatisant pour la République en marche mais contraire à la réalité… Sans commentaire.
[3] Lire à ce sujet l’article du Parisien Emmanuel Macron aux députés LREM : « Soyez fiers d’être des amateurs.
[4] Ou de rétropédalage, au choix.
[5] « Je ne pourrai pas être candidate aux municipales : j'avais déjà un agenda très chargé, j'ai beaucoup de réformes dans le ministère, et s'est rajouté un surcroît de travail avec la crise du coronavirus, qui aujourd'hui m'occupe énormément » : propos tenus par Agnès Buzyn le vendredi 14 février au micro de France Inter.
[6] A lire dans Des ministres interchangeables ? Pas de souci, selon Ndiaye, les marcheurs sont tous de "très grands politiques", article publié sur le site de Marianne le 17 février.