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Manouk BORZAKIAN (Neuchâtel, Suisse), Gilles FUMEY (Sorbonne Univ./CNRS). Renaud DUTERME (Arlon, Belgique), Nashidil ROUIAI (U. Bordeaux), Marie DOUGNAC (U. La Rochelle)

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Billet de blog 12 décembre 2025

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Quand la forêt étreint

Simon a quitté l’Asie pour les Maures. Nous, lecteurs immobiles, sommes en plein choc au milieu de ce massif où avec Patrick Dufossé ils crapahutent, éprouvent la Terre dans sa rugosité, sa violence, sa poésie. Une rencontre physique, sans filtre. Presqu’une prise au corps. (Gilles Fumey)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Chateaubriand le savait déjà, et son regret résonne encore : «Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent.» Voyez l’humanité, ingrate envers les forêts qui l’ont pourtant portée : elle les redoute, les pille, les asservit, abusant de sa verticalité pour soumettre ce qui l’entoure. Et pourtant… les forêts ont leurs chevaliers servants, leurs amants. Lisez, regardez Patrick Dufossé, poète quand le vent le touche, et Simon, peintre-écrivain, tisseur de carnets nomades: ils prêtent leurs talents aux arbres de la forêt des Maures, en Provence. Ils y marchent côte à côte, composant à quatre mains un objet hybride d’aquarelles pleine page, de manuscrits de poésie, de photos incrustées dont on ne peut pas dire qu’il s’appelle un livre. Il y a du feu dans ce papier de haute qualité, du vent dans le coup de pinceau d’une nature échevelée. Les arbres y sont montrés torturés, leurs ramures dansent comme des flammes.

Illustration 2

Ces «frères d’arbres» conçoivent un objet qui sent la foudre. Plein de beauté et d’érudition. Une ode vibrante de ce qu’un regard patient peut poser sur une forêt meurtrie deux fois par le feu. Les aquarelles de Simon, livrées en grands formats, saisissent la respiration même du végétal : on y voit battre les veines des troncs, frissonner les feuilles, éclore les fleurs jusqu’au tremblement de leurs pistils. Avec la mémoire des dessins des encyclopédistes du XVIIIᵉ siècle, Simon travaille les mille et moindres formes des ramures, les élans du châtaignier millénaire des Mayons, la peau rugueuse des chênes-lièges de Collobrières, l’argenté des oliviers de Port-Grimaud, ou les silhouettes des micocouliers du Vieux-Canet. Avec lui, la forêt se fait royaume: délimitée par des cairns, bornée de chapelles, ouverte sur des panoramas où le soleil incendie l’horizon après avoir dissipé les brumes froides et bleutées de l’aube.

Illustration 3

Nous marchons avec ces deux explorateurs qui s’émerveillent de tout : un souffle de mistral, le cri d’un choucas, l’alerte d’un sanglier, la piqûre d’un insecte. Chaque signe raconte l’alliance intime entre pierre et feuillage, dans cet écosystème où la faune avance masquée, attentive. Ils enregistrent la musique du monde : la pluie y martèle comme «Glenn Gould sur le clavecin bien tempéré de Bach», les cigales déchirent l’air suffocant de leur stridence, on y croise un renard philosophe finissant une boîte de sardines oubliée la veille. Sous forme de journal, leurs promenades deviennent des passerelles vers d’autres voyageurs du massif : artistes, penseurs, naturalistes. Surgissent Julos Beaucarne, Francis Hallé, Pierre Foncin, et toute une procession de femmes insurgées guidées par Vandana Shiva, comme si la forêt elle-même rappelait ceux qui la comprennent et la défendent contre les agressions du temps et des humains.

Illustration 4

La poésie est le langage de la sylve. En vers ou en prose, c’est le sang de Simon qui s’emballe, rue, cogne, maugrée lorsqu’il se fait griffer dans un ravin avant de tomber, rompu, éreinté. Il y a de l’animal dans ce rapport aux lieux où rien n’est épargné à nos casse-cous.  Mais aussi immobiles que nous sommes, les lectrices et lecteurs, nous sommes sidérés par la puissance du livre, la force des pages-paysages qui donne à cette rencontre quelque chose de charnel, de physique, de

La poésie est la langue dure de la sylve. Chez Simon, vers ou prose, tout jaillit comme un sang chauffé à blanc : ça rue, ça cogne, ça peste. La pente le gifle, les ronces le tailladent, le ravin l’achève. Il tombe. Éreinté. Vivant. Son lien aux lieux est animal, presque combat. Rien n’épargne ce casse-cou.

Et nous, lecteurs cloués sur place, on encaisse. Le livre frappe. Les pages-paysages imposent leur poids, leur souffle chaud. La rencontre devient brute, charnelle, physique — une étreinte qui ne lâche pas.

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Où trouver le livre ?

En écrivant à Simon

Simon voyage en Inde : Simon, grand corps malade de l'Inde

Simon confiné : Le monde vu de l'arrosoir

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Comment nous dévorons la forêt tropicale ?

Quand les Vosges flamberont comme une torche australienne ?

Le capitalisme touche du bois

« Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent »

Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ?

L’anti-modèle du sapin de Noël

Des forêts pour se soigner

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Et pour celles et ceux qui ne comprennent rien aux forêts

Illustration 5

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