Que se passe-t-il dans le monde animal ? Une barrière a été abaissée entre eux et nous et que nous n’arrivons pas à relever… Si nous ne sommes que partenaires sur la Terre, hommes et animaux ont à réinventer une nouvelle coexistence. (Gilles Fumey)
300 000 ans de co-évolution avec les animaux, les plantes, les virus, etc…, ont donné aux humains de bâtir des relations qui vont de mal en pis. La sixième extinction de masse en cours menace des milliers d’espèces alors même que notre connaissance des bêtes n’a jamais été aussi fine. Des militants prônent une nouvelle configuration de la place des vivants, plaide Jean Estebanez, le géographe qui connaît sans doute le mieux la question animale qui fut explorée par X. de Planhol.
De ci de là, certains actes sont posés. Ainsi, à Paris, le 31 décembre 2022, le marché aux oiseaux de l’ile de la Cité a fermé ses portes et l’usage des poneys du jardin du Luxembourg va être revu. Pour Christophe Najdovski, adjoint d’Anne Hidalgo chargé de la condition animale, « les conditions de détention des oiseaux posaient problème. Ils étaient entassés dans de petites cages, sans que soient vraiment pris en considération leur bien-être et leurs besoins. » Il poursuit : « On doit requestionner notre relation avec le vivant. Un oiseau, c’est fait pour voler, pas pour rester dans une cage. » Pourtant, Sarah Ausseil de ProNaturaA défendait l’élevage, se moquait des « bonnes âmes du Conseil de Paris » et ne voyait pas de « maltraitance parce qu’il y a « des contrôles vétérinaires. » En précisant, comme X. De Planhol l’avait montré, que nombre d’espèces menacées d’extinction ont été sauvées par l’élevage.
On a souvent cité le cas du chardonneret et celui du rossignol, aimés des Romains et des princes du Moyen Age. Pour leur chant mais aussi leur plumage, comme le montre Alfred Russel Wallace dans L’archipel malais, berceau de l’orang-outan et de l’oiseau de paradis[1] mais aussi de nombreuses études sur les chiens, tels le Cavalier King Charles. L’éthologie cognitive a permis de savoir que les animaux en cage souffrent et que la vie animale doit être respectée, pour l’historien Eric Baratay[2].
Pour le chardonneret, la situation donne le tournis. Classé sur la liste des espèces menacées de de l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’oiseau est victime d’un braconnage (puni d’une peine de 150 000€ et trois ans d’emprisonnement) et dont le marché aux oiseaux de Paris avait été l’une des plaques tournantes. Un chardonneret qui chante bien comme celui-ci se négociait jusqu’à plus de 1000€. Abondant en Méditerranée et en Belgique où il était apprécié, le chardonneret était utilisé dans les mines de charbon pour prévenir des coups de grisou. Fragile car maltraité par le braconnage et les captures, cet oiseau qui a inspiré aussi les peintres du Nord pourrait être victime d’un commerce sauvage désormais qu’il est protégé…
Les chats, espèce invasive ?
On s’intéresse aujourd’hui beaucoup aux chats, dont les clichés sur Instagram rappellent la passion humaine jusqu’à la félinomanie égyptienne. Les voici face au mur de la crise écologique. Et ils ne sont plus en bonne posture. En 2022, on apprend qu’à Lyon – mais aussi Lorient et plusieurs îles bretonnes –, les 60 000 chats errants ont été poursuivis par la métropole menant une campagne de stérilisation. Parce qu’un couple de chats engendre jusqu’à 5 000 congénères par an (sauf si on met une collerette autour du cou du mâle).
Aoshima, une île envahie par les chats (Japon)
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Et ce n’est pas tout. Bien sûr, on passe par pertes et profits nos canapés lacérés et les plantes déchiquetées, pour évaluer leur impact sur la biodiversité. Le biophysicien suisse Mathieu Rebeaud a compté la disparition de 63 espèces de mammifères, reptiles et oiseaux due aux chats. Nos matous des maisons – 600 millions dans le monde – éliminent entre 1,4 et 3,7 milliards d’oiseaux par an, entre 6,9 et 20,7 milliards de petits mammifères rien qu’aux Etats-Unis (Nature, 2013). La Ligue de protection des oiseaux (LPO) en France impute aux chats le quart du total des passereaux disparus dans les campagnes. Quant aux chats errants, ces félins chasseurs tueraient 1000 oiseaux par an – contre 30 pour un chat domestique. Une hécatombe qui n’est pas assumée par les amateurs de chats.
L’Australie qui a déjà dû chasser les lapins a exterminé 2 millions de chats en 2019, aidée en cela par les associations de défense des animaux, euthanasie les chats avec des saucisses empoisonnées. D’autres associations incitent les propriétaires à stériliser leurs animaux et les garder à l’intérieur. Voire à les tenir en laisse, comme il est imposé à Canberra – avec une amende de près de 200 euros en cas d’infraction. Ce sujet tabou est en Europe et aux Etats-Unis car les vétérinaires n’aiment pas contrarier les instincts des félins.
Et l’empreinte carbone ? La revue Plos One a quantifié le volume de nourriture pour les 163 millions de chats et chiens aux Etats-Unis à 64 millions de tonnes de dioxyde de carbone – soit l’équivalent de ce qui est émis par 13,6 millions d’automobiles pendant un an. En France ? Avec 200 000 tonnes de viande englouties chaque année par les chats domestiques, Julien Hoffmann calcule que le 1,6 million de végétariens et végans ne suffit pas à économiser ce que consomment les félins.
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Le rhinocéros, finalement sauvé ?
Jean Estebanez cite dans son très bel album Humains et animaux. Une géographie des relations (CNRS Editions) le cas du rhinocéros. Parmi les processus de marchandisation des animaux (tourisme de vision, dans les zoos, chevaux de course, chiens de chasse, animaux domestiques, etc.), celui des animaux « sauvages » d’Afrique et d’Asie est particulièrement dangereux pour leur survie. Sur les 30 000 rhinocéros restants dans le monde, une partie sont là du fait d’opérations de sauvegarde menées, par exemple, en Afrique du Sud. Mais la hausse du niveau de vie en Asie a multiplié la demande de cornes jugées aphrodisiaques, créé de nouvelles filières, renforcé les plaques tournantes du trafic, accru le nombre d’ONG qui luttent contre le braconnage et parviennent à convaincre les Etats locaux de protéger les espèces dans des réserves militarisées. Interdites à la vente depuis 1977 lors de la signature de la CITES (convention de Washington sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction), les cornes peuvent être prélevées partiellement et par anesthésie sur des rhinocéros qui ne sont pas mis à mort. « Conservation et marchandisation ne s’opposent pas mais fonctionnent ici comme un système étroitement imbriqué » conclut Estebanez.
Nous voici donc à une croisée des chemins. Il faut revoir la notion d’élevage qui place les animaux dans un système de domination qui peut être fatal pour eux. Sans compter qu’abattre un animal (380 milliards d’animaux, poissons compris, ont été tués en 2019 pour l’alimentation) n’est pas innocent malgré la banalisation par invisibilisation qui mène à de tels massacres de masse.
Jean Estebanez conclut son album sur les relations morales que nous avons construites avec les animaux. Protéger pour exploiter ? Classer autrement ? Se mobiliser (ou contre) pour les animaux ? Ritualiser leur mise à mort ? Ecouter les vétérinaires face à la souffrance et à la mort des animaux ? Quelles normes sociales devons-nous adopter désormais que nous avons tant d’informations venues de l’éthologie ? Un débat dont les formes nouvelles nous interrogent.
[2] Biographies animales. Des vies retrouvées, Paris, Le Seuil, 2017
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Repères
Plus de 5 millions d’oiseaux d’agrément en France Il y a 80 millions d’animaux de compagnie en France, selon l’enquête Facco (1) réalisée fin 2020 par Kantar auprès de 14 000 foyers. Parmi eux, on compte 13,3 millions d’oiseaux de basse-cour et 5,3 millions d’oiseaux d’agrément. Selon un sondage Ifop de 2020, 52 % des Français disent posséder au moins un animal de compagnie. D’après une enquête Ipsos réalisée la même année, 95 % des Français s’accordent à dire qu’un animal a des droits.
Un passionnant catalogue d'exposition à la Maison du Japon à Paris.
Catalogue d'exposition (co-éd Gourcuff Gradenigo-MCJP 160 p.
Une expo coorganisée par le Tokyo Metropolitan Edo-Tokyo Museum qui évoque l'histoire des relations des habitants de Edo (ancienne Tokyo) avec les animaux et témoigne de la culture à laquelle cette co-existence a donné naissance. Au fil du parcours (et du catalogue), les visiteurs-lecteurs appréhendent cette symbiose entre l'homme et l'animal, de même que l'attention portée à l'environnement naturel qui régnait aux 18e et 19e siècles à Edo. Car la gentillesse avec laquelle les Japonais traitent leurs animaux surprend les premiers Occidentaux. Certes, la chasse existe, mais on y fait attention à la souffrance animale. La chasse des grues, des oies et des canards se pratique au faucon Le shogun organise, lui, des chasses au cerf, sangliers, faisans et lièvres. En ville, les animaux de compagnie pullulent : petits chiens, chats, rossignoles, cailles, poissons rouges, grillons, criquets dont on apprécie le chant. Certains animaux sauvages sont associés à des croyances religieuses, tel le renard connu pour être le messager d'Inari, dieu des moissons. Dès le 17e siècle, les habitants d'Edo se passionnent pour les animaux rares, tels les paons de Chine et de Hollande, exposés dans des lieux qui deviendront des zoos, avec des boutiques proposant nourritures et boissons. Sous Meiji, on construit des zoos et des hippodromes.