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Billet de blog 14 mai 2020

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Réouverture des écoles – Décryptage et témoignages. Poignant!

Le dressage des enfants, et surtout des plus jeunes, rendu obligatoire à celles et ceux qui en ont la responsabilité, pour respecter en toutes circonstances, sans transgression, les consignes sanitaires strictes est, en soi, une transgression de l'enfance et une violence terrible faite à leurs responsables, réunissant, adultes et enfants, dans la même violence subie.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce billet comporte quatre volets annoncés en titre rouge :

I -     Décryptage des enjeux et conditions de la réouverture des écoles
II -   Témoignages de professeurs des écoles avant et après la réouverture de leur école
         Fabienne, Brigitte, Hispacho
III - Ce que disent les organisations syndicales du secteur dans le Puy-de-Dôme
IV - Appels et initiatives pour le "monde d'après"

Illustration 1

I - Décryptage

Pour éviter l'asphyxie des services hospitaliers et non prioritairement pour nous protéger, le président et son gouvernement ont fait appel au confinement. Un confinement strict et pourtant arrivé trop tard pour éviter l'hécatombe à plus de 27 000 morts (officiel et à ce jour) quand l'élection municipale a été maintenue coûte que coûte au plus fort de la contamination, processus pourtant interrompu au pire moment, entre les deux tours. Regarder cette vidéo qui fait la démonstration du retard très coûteux en milliers de vies humaines.

Arguant les difficultés réelles des entreprises à l'arrêt ou en baisse d'activités comme du chiffre d'affaires et de la menace très réelle sur les emplois, le président et son gouvernement font appel au déconfinement, malgré les risques de contamination toujours bien présents et l'absence de moyens sanitaires conséquents. Voilà pour la rhétorique qui cache la forêt. En réalité, il s'agit de permettre à l'économie capitaliste de repartir en contournant durablement le code du travail bien mieux qu'avec un processus législatif, notamment faire travailler beaucoup plus avec la souplesse maximale pour l'employeur. Les ordonnances pour ce temps d'exception prolongé au 24 juillet permettent tous les abus, toutes les attaques.* La réouverture partielle des écoles est un élément de cette stratégie offensive.

Un signal aux entreprises et administrations

Peu importe que les écoles puis les collèges n'accueillent pas tous les élèves - un million et demi d’élèves pour 6,7 millions (chiffre ministère, soit 23%) pour la réouverture - c'est un feu vert donné aux chefs d'entreprise pour imposer à leurs salariés le retour au travail, comme si tous les parents, tous les jours étaient déchargés des enfants à la maison. Aucune coordination n'est prévue entre écoles et entreprises ou administrations pour caler travail et garde d'enfants quand ceux-ci ne peuvent se rendre à l'école. De quoi mettre bien des parents dans des difficultés de taille dès cette semaine ! Du côté de l'administration ou de l'entreprise c'est la possibilité de considérer que les salarié.e.s peuvent satisfaire à leurs exigences (disponibilités, présence physique, temps de travail, souplesse des horaires) pour faire « repartir l'économie ».

Bref, le signal est envoyé que les salariés sont désormais disponibles, leurs enfants à l'école en commençant par les plus jeunes (pour les étudiants, on attendra la rentrée) contrairement à ce que la sécurité de tous commandait faute de test massifs préalables et de masques plus sérieux que le bout de tissu sur le nez, artisanat de catastrophe, plus et moins valable en terme de filtrage comme de réutilisations.

Dispositif transitoire … et après, en septembre ?

Ce dispositif de réouverture progressive est une nouvelle étape transitoire qui ne dit rien sur les conditions de scolarisation de tous les élèves l'année scolaire prochaine, soit dès septembre. Cette réouverture progressive dont l'achèvement soulève bien des questions au milieu d'incertitudes de taille, n'est pas la scolarisation comme avant cette épidémie.

En premier lieu, un plan massif de tests de tous les enseignant.es avant la rentrée, des masques FFP2 ou chirurgicaux à leur disposition sauf, comme aujourd'hui, à imposer des règles strictes qui n'écartent pas la contamination ce qu'ont bien compris ces enseignant.es anxieux et tous les autres personnels, envoyé.es maintenant en première ligne. Avec un virus circulant qui peut s'installer durablement sous forme endémique voire de nouvelle(s) épidémie(s), le dispositif permanent pour cette scolarisation de tous les élèves et à plein temps – sauf à mettre en question ces deux dimensions – est entièrement à construire à partir de l'échelon communal avec l'appui concret, y compris financier, de l'autorité ministérielle via ses échelons rectoraux et départementaux. Il suppose des recrutements de personnels, des locaux plus vastes, des produits de nettoyage et de désinfection en quantités suffisantes avec leur renouvellement.

En première ligne

Au plus fort de la pandémie en France, les soignant.es se sont retrouvé.es en première ligne dans des conditions de sécurité inadmissibles, au risque de leur vie, encouragé.e.s à tenir par ceux-là même qui leur ont refusé depuis si longtemps les moyens de soigner, incapable de fournir les moyens permanent pour se protéger.

Aujourd'hui tous les personnels des écoles puis des autres établissements scolaires sont propulsés en première ligne, sans tous les moyens pour se protéger de la contamination croisée et assurer la sécurité des élèves : pas de test préalable, pas de masques FFP2 ou chirurgicaux, seulement en tissu à la qualité aléatoire, un protocole dont la mise en place est incertaine et dramatique pour les enfants, manque de personnels, de locaux assez vastes. Au-delà de la rhétorique de communication, c'est d'abord pour libérer les parents de la garde à domicile des enfants. La contamination est toujours possible comme le prouve cette contamination en collège de la Vienne dès la pré-rentrée. Ils ne risqueront pas leur vie a priori, du moins dans cette proportion, mais ils/elles se retrouvent en première ligne pour gérer apprentissages social  et scolaires au milieu de multiples consignes sanitaires permanentes et contraignantes, mis en position de déroger durablement à leurs missions qui n'est pas d'accueillir ou de répéter consigne sur consignes mais de permettre les apprentissages et la vie sociale.

Le dressage des enfants, et surtout des plus jeunes, rendu obligatoire à celles et ceux qui en ont la responsabilité, pour respecter en toutes circonstances, sans transgression, les consignes sanitaires strictes est, en soi, une transgression de l'enfance et une violence terrible faite à leurs responsables, réunissant, adultes et enfants, dans la même violence subie.

La peur de l'autre contre la nécessité de relations entre pairs

Le plus inquiétant peut-être, ce sont les conséquences – d'autant qu'ils sont plus jeunes - pour les enfants de cet apprentissage de fait, martelé à coups de slogans, de comptines, de précautions à prendre : "l'autre est un danger pour moi. Il peut me mettre en péril, me rendre malade, peut-être me faire mourir. Je ne peux plus faire confiance à ce que je ressens d'aller vers l'autre, mon copain, ma copine, ma maîtresse, mon maître. " De fait, nous allons apprendre à cette génération d'enfants que la relation sociale, à commencer par la relation entre pairs du même âge, est un réel danger insidieux et invisible qui s'oppose au besoin, à cette nécessité. A court terme, ce climat anxiogène peut générer chez certains enfants, des symptômes bien connus : difficultés à s'endormir, à s'alimenter, réveils nocturnes, cauchemars, énurésie, phobie scolaire... Sans parler des conséquences psychiques et sociales à terme qui peuvent imprégner une nouvelle génération d'adultes. Nous-mêmes, en serions-nous exempts ?

Additif 16 mai : Le confinement strict auquel les enfants ont dû se plier comme nous tou.tes a montré bien des difficultés avec les appartements exigus, les violences conjugales exacerbées, la faiblesse des équipements illustrant la profondeur des inégalités économiques, culturelles, sociales. La question n'est donc pas entre confinement ou réouverture des écoles, toutes deux solutions, parfois dramatiques toujours délicates, mais la date du déconfinement, annoncée jamais explicitée, la priorité d'ouverture par les maternelles, mais surtout par les conditions sanitaires de réouverture des écoles qui posent à l'évidence problème, dans l'immédiat et l'avenir. Elles peuvent être sources de difficultés pour certain.es, notamment les plus jeunes, même si ce retour, à temps partiel, peut être aussi bien vécu par ceux et celles-ci non seulement grâce aux actions des personnels mais aussi, en amont, par la préparation de cette échéance par les parents, ce qui renvoie à ces inégalités.

Un protocole sanitaire de 54 pages pour la réouverture des écoles a été envoyé aux écoles. L'abondante littérature de circulaires et moyens de communication divers du Ministère trace une route droite pour ces réouvertures à condition de respecter toutes les consignes données qui préparent une culpabilisation facile en cas de contamination. Les verbes utilisés sont éloquents : vérifier/ s'assurer/ veiller/ appliquer/ limiter / rappeler / adapter / maintenir / privilégier/ organiser/ prévoir / neutraliser/ proscrire etc. Ils s'entendent sur le mode impératif qui laisse parfois passer l'idée d'une adaptation, d'une souplesse dans une quadrature du cercle laissée à l'enseignant. Ces formules creuses prétendent laisser l'initiative et faire confiance quand ce n'est que consignes et chacun se débrouille pour respecter toutes les consignes sauf à se trouver hors les clous, victime-coupable si contaminé.e. Elle est belle, cette « Ecole de la confiance » du ministre Blanquer entre fausse confiance maquillée en confiance et vrai « débrouillez-vous mais pas de vague » !

On croît rêver : tout est prévu sur le papier mais tout est à faire, quoi qu'il en coûte, même l'impossible, aux parents, aux communes, aux personnels. Ecoutons-les :

II - Témoignages

Illustration 2

 1.1 - Fabienne, avant la réouverture, enseigne en maternelle

"Après-demain, je reprendrai le chemin de l’école et mardi je retrouverai mes élèves. Enfin, certains d’entre eux… Car ce retour à l’école n’est pas ordinaire. Les écoles sont fermées depuis le 16 mars, et dès le lendemain midi, le gouvernement a décidé de confiner toute la population. Depuis, nous tenons dans l’attente de la fin de cette vie privée de tout au presque. Et la fin c’est lundi, preuve soit dit en passant que le seul souci de ce gouvernement est de nous remettre au travail. La fin du confinement aurait pu être un moment intense de retrouvailles mais non, ce long week-end, nous n’avons toujours pas le droit de voir nos proches, nos ami.e.s, pas le droit de sortir sans la fameuse attestation de déplacement. Donc, on va être libéré pour aller travailler !

La fermeture des écoles et établissements scolaires avait été annoncée parce que les enfants, bien que porteurs sains, étaient vecteurs du virus. Maintenant, on nous dit que c’est faux mais vu le nombre de mensonges proférés par le gouvernement depuis le début de cette crise sanitaire (et même avant, mais là n’est pas la question !) on est en droit de ne pas les croire sur parole.

Pourtant, il va falloir mettre angoisse et colère de côté parce qu’il faudra rassurer les élèves. Je suis en colère parce qu’en renvoyant presque tout à l’échelon local, le gouvernement a donné une lourde responsabilité mais aussi des prérogatives importantes aux maires. Ainsi, dans la commune où j’exerce, la municipalité a décidé de rouvrir l’école dès mardi, y compris pour les enfants de petite section de maternelle (faisant ainsi figure d’exception). Et peu importe si le protocole sanitaire est impossible à respecter avec des enfants aussi jeunes.

Je suis angoissée. Non pas tant parce que j’ai peur de tomber malade ou d’être porteuse du virus. Quoi que… Mais surtout parce que je sais que je vais devoir imposer à mes élèves des conditions incompatibles avec leur bien-être tant physique que moral. Il ne pourra y avoir ni activités collectives, ni matériel partagé, ni vraie récréation… Et malgré tout, même au prix d’une attention de chaque instant : il sera impossible de faire respecter la distanciation physique à des enfants toute la journée. Et comment regarder de loin un enfant qui a besoin d’être consolé ? Comment enseigner sans s'approcher des élèves ? Mais il est vrai qu’on ne nous demande même plus d’enseigner. D’ailleurs, il est impensable d’envisager une poursuite des apprentissages scolaires dans de telles conditions. Il faudra s’adapter, pour la deuxième fois en moins de deux mois, à une manière de travailler inédite. Il faudra encore réinventer, remettre en question tout ce qui est le fondement même de notre métier ( la coopération, l’échange, l’entraide...), tout ce qui fait que j’aime me retrouver dans ma classe face à mes vingt-huit petits élèves. Alors je cherche comment organiser les journées de mes petits élèves sans trop les maltraiter. C’est mission impossible ! Pourtant, il faut bien que les enfants conservent leur confiance en l’école et en leur maîtresse, qu’ils gardent intacts leur curiosité et leur enthousiasme face aux apprentissages.

Tout s’organise dans l’urgence et dans la cacophonie la plus totale. Après que la municipalité a communiqué sur la réouverture de l’école et que l’administration ( à la demande du maire !) a pressé l’équipe éducative d’informer les familles des conditions de retour à l’école de leurs enfants, nous avons appris, suite à la réunion du CHCTD (Comité Hygiène et Sécurité-Conditions de Travail départemental) qui s’est terminé à vingt heures ce jeudi 7 mai, que contrairement à ce qui avait été dit en cours de semaine, les personnels n’étaient pas tous tenus de retourner dans leur école. Mais cette information arrive bien tard et engagement est pris auprès des familles d’accueillir leurs enfants dès mardi matin. Impossible donc de reculer !

Après une semaine de réunions en visio, d’échanges avec des collègues pour se soutenir, partager des idées d’activités ou d’organisation, il faut maintenant organiser matériellement l’accueil des élèves. La classe, aménagée habituellement pour être gaie et accueillante va devenir austère : exit les tables ovales pour les activités collectives, exit le coin regroupement, les coins jeux et la bibliothèque, fini les ateliers… Habituellement, lieu foisonnent et riche, la classe va devenir aseptisée, policée.

Demain [11 mai] donc, c’est le grand jour ! Même au bout de trente-sept ans, chaque rentrée est un nouveau départ. Cette rentrée est la plus stressante que j’ai jamais vécue. Mais il faut que les enfants soient gardés pour que leurs parents retournent au travail alors on rouvre les écoles élémentaires et maternelles et tant pis si le retour à l’école dans de telles conditions risque de bouleverser significativement tous les repères des enfants, tant pis si les enseignant·e·s n’enseignent pas et se transforment en garde-chiourme!"

1.2 Fabienne, après l'accueil des enfants de maternelle

"Mardi 12 mai, après huit semaines de confinement, partout en France, la plupart des enseignant.es et une partie des élèves retrouvent leur école. La veille, enseignant.e.s et personnel municipal ont organisé la reprise en respectant le protocole de l’Education Nationale. Sacré défi ! Chaque fois qu’après moultes hésitations et discussions, un problème était résolu, un autre était soulevé… Il fallait organiser l’invraisemblable ! Mais, tout a été fait dans les règles. Le protocole allait donc être respecté à la lettre et c'est peut-être ça le pire !

Lorsque je franchis le portail, une heure avant l’arrivée des élèves, et que je les imagine découvrir le spectacle de désolation qu’offre leur cour de récréation (marquage au sol pour respecter la distanciation physique, rubalise pour interdire l’accès aux structures de jeux), les larmes me montent aux yeux. La classe, privée de ses coins dédiés et de ses tables ovales pour travailler en groupes n'a plus rien d’une classe maternelle. J’ouvre les fenêtres pour aérer (il fait 5 degrés mais protocole oblige !). J’ai la boule au ventre. Dans moins d’une heure, mes élèves seront là et, je ne sais pas si je serai capable de faire semblant d’être joyeuse. Et pourtant, il va falloir ! Les enfants ont plus que jamais besoin de bonne humeur et d’adultes rassurants !

Lorsque, un par un, accompagnés d’une ATSEM (agent territorial spécialisée des écoles maternelles), ils entrent dans la classe, je leur souris. C’est idiot de sourire sous un masque, non ? Mais les petits visages s’éclairent. Alors, je me dis que, finalement, le sourire se voit dans mes yeux. Ouf,! C’est tellement important la communication non verbale pour les jeunes enfants.

Après un interminable lavage des mains (le 1er d’une longue série), chacun s’assoit à sa place. J’organise un moment de débat et là, les questions fusent : « Pourquoi on n’est pas beaucoup ? » (d’habitude ils sont 28, là 7). « Ils vont venir quand les autres ? », « On va jouer à quoi dans la cour ? », « Tu crois qu’il va bientôt partir le virus ? ».  Les enfants expriment leur joie de se retrouver là !

Mais, plus la matinée avance, plus les regards se font tristes, presque sidérés, plus les bâillements se font nombreux. Les enfants ne comprennent pas bien ce qui leur arrive. Un petit garçon me dit : « Je ne savais pas qu’il y avait des limites partout ! ». Des limites ? C’est un euphémisme, à peu près tout ce qui constitue une journée de classe en maternelle est interdit. On ne peut même pas aller en salle de motricité, elle a été transformée en réfectoire pour que la distance réglementaire entre les enfants soit respectée au moment du repas.

La récréation est donc la bienvenue pour les petits élèves mais c’est un moment que j’appréhende car je crains de la passer à répéter inlassablement les règles et les interdits. Comme il est impensable de laisser les enfants jouer seuls dans un espace individuel délimité et qu’on ne peut pas non plus les laisser jouer librement, je sors des craies (pour dessiner ou tracer des marelles), des tricycles et draisiennes (on choisit et après, on n’échange pas !). Enfin, la cour s’anime de quelques éclats de rire.

Entre lavages de mains, pauses-détente très fréquentes (c’est difficile de rester assis longtemps à 4 ou 5 ans), les enfants ont fait des activités d’apprentissage mais pas comme ils en ont l’habitude. J’ai dû me contrôler toute la journée pour ne pas me pencher sur une épaule, m’asseoir face à un enfant pour l’aider, prendre une main pour rectifier la tenue du crayon ou des ciseaux… Bref faire mon travail de « maîtresse ».

Cette première journée me laissera, pour longtemps je pense, un sentiment de malaise profond.

Ces enfants, que j’avais laissés coquins et plein de vie, ne cherchent même pas à transgresser les règles. C’est probablement ce qui me fait le plus mal. J’ai beau me dire que je n’ai pas vraiment le choix, je n’assume pas intimement de leur imposer ce fichu protocole. Pourtant, je ne veux pas non plus prendre ou leur faire prendre le moindre risque sanitaire. On a tellement entendu tout et son contraire depuis le début de la pandémie qu’on ne sait plus que croire. Si, comme on l’entend maintenant comme semble le démontrer l’exemple Danois, on pouvait rouvrir les écoles sans avoir trop peur d’une deuxième vague, pourquoi ce protocole sanitaire drastique ? Les enfants, comme les adultes et même plus, ont besoin d’être ensemble, de jouer ensemble.

J’ai l’impression d’être passée d’un confinement à la maison à un confinement dans ma classe.

Alors, ou ils vont à l’école et ils y mènent une vie normale. Dans ce cas, il ne faut conserver du protocole que les préconisations qui ne sont pas en contradiction avec le bien-être des enfants ni avec les principes éducatifs. Ou bien il faut leur permettre de se retrouver ailleurs par tous petits groupes, dans des espaces ouverts où la distanciation sera moins contraignante."

2.1 Brigitte, avant réouverture, enseigne en REP +

"A titre personnel, comme je ne suis pas inquiète par rapport à la maladie, je n'ai pas une appréhension particulière de retourner à l'école.

Pendant le confinement, j'ai été en contact téléphonique à plusieurs reprises avec mes élèves et leurs familles que je connais bien (longue carrière dans le quartier). Ces appels étaient souvent difficiles pour moi car ces familles nombreuses étaient réellement enfermées dans des appartements, dans un espace contraint. Très inquiètes, leurs enfants ne sont quasiment jamais sortis depuis le début du confinement. Ils sont enfermés depuis deux mois avec les écrans, leur rythme de vie est totalement décalé (couchers tardifs). Alors je me dis que, peut-être, un moment à l'école sera pour ces enfants une « respiration ». Pour moi, ce n'est pas le programme scolaire qui me préoccupe mais que les élèves présents puissent retisser du lien, être rassurés et qu'on puisse leur expliquer."

2.2 Brigitte, pré-rentrée : retrouvailles avec les collègues

"Bien sûr, la plus grande partie de la journée [du 11 mai] a été consacrée à la mise en place du protocole sanitaire drastique. Quel casse-tête ! Alors que dans notre école, nous aurons seulement 20 à 25% d’élèves présents, je n’ose pas imaginer le calvaire que vont vivre d’autres collègues dans des écoles où la majorité des élèves va revenir et dans les écoles maternelles avec de très jeunes enfants.

Je partagerai les collègues en deux groupes. Une partie semble inquiète, voire très inquiète, voire anxieuse. Ce qui entraîne une application à la lettre du protocole pour éviter la propagation du virus : ne pas toucher un seul livre de la bibliothèque de classe, photocopier en grand nombre pour laisser reposer le papier, ne pas corriger le travail individuel sur feuille… Ces collègues stressé.e.s ne peuvent et ne veulent prendre aucun risque. Comment faire la classe dans ces conditions et rassurer nos élèves fragiles qui auront vécu une période anxiogène, enfermés dans des appartements ?

L’autre partie des collègues est prête à accepter que le risque zéro n’existe pas. Ces collègues mettront tout en œuvre pour assurer le maximum de sécurité mais ils ne pourront s’empêcher, à certains moments, de faire preuve de bienveillance envers les élèves pour ne pas se transformer en enseignant.e.s maltraitant.e.s. D’autant plus que les parents ont été alertés du fait qu’il était impossible de respecter strictement le protocole toute la journée, par exemple en terme de distanciation (1m). Nous avons quand même pu caler pour chaque classe, un moment à vivre à l’extérieur (plusieurs espaces verts dans l’école et à proximité) car on sait que la plupart des élèves sont restés confinés au sens propre et au sens figuré.

Reste à voir maintenant ce qui va arriver le jour de la rentrée des élèves … comment les enfants et les adultes vont réussir à vivre ce moment sans trop de dommages !" [Brigitte rentre le 16 mai].

3.1 Hispacho, Etat d’esprit 10 mai, enseigne en école élémentaire

"Demain je retourne dans mon « école élémentaire » que j’ai quittée il y a deux mois et demi. Je me rappelle encore de cette ambiance surréaliste, nous étions vendredi 13 mars, nous venions d’apprendre la veille au soir que le lundi suivant les écoles allaient fermer. Les élèves étaient inquiets, moi aussi, mais nous avons vécu une journée presque normale d’école, la dernière avant très longtemps – je n’imaginais pas à quel point. Dictée rituelle du matin, puis jeux de langue (« Ton thé t’a-t-il ôté ta toux ? »), maths (travail en groupe), récré, français, cantine, histoire, récré, sciences (en groupe, puis tout le monde au tableau pour voir les hypothèses des copains). Tout ça entrecoupé de petits moments off, on déconne, les élèves se lèvent pour aller chercher un stylo, une gomme, causer avec le copain («Benjamin rassis toi s’il-te-plaît ! » Je râle mais en vrai j’aime ça...) Les élèves me posent des questions sur la suite, on discute du moment historique que l’on vit, on échange, je passe dans les rangs, je mets ma main sur l’épaule de Léa qui a les larmes qui montent. On vit, on échange, on est ensemble, c’est encore l’école, mais elle connaît ses derniers instants. Lundi et les jours suivants, elle sera en état de mort cérébrale, au mieux de coma, donnant quelques signes de vie, laissant espérer un jour un réveil – mais avec quelles séquelles ?

Car demain, je ne retourne pas vraiment à l’école. Certes je me rendrai dans l’établissement qui en porte le nom mais c’est tout. Ce qu’on s’apprête à faire, ce sera au mieux de la garderie, sans doute un centre pénitentiaire pour jeunes enfants. Demain je me préparerai à devenir maton. Pensez-donc ! Dans nos « classes », les enfants ne pourront rien toucher qui n’est pas à eux, ne pourront pas approcher le moindre copain ou la moindre copine, ne pourront pas nous approcher – ni nous, nous approcher d’eux. C’est à peine s’ils auront le droit de respirer. En tout cas, ils devront rester assis sur leur chaise, six heures par jour au mieux, huit heures pour les malchanceux qui auront cantine.

Dans mon école, les enfants qui restent le midi devront apporter un repas froid – sans possibilité de le réchauffer - et ça tous les jours jusqu’à la fin de l’année. Ils pourront quand-même changer d’air en passant de ma classe à la cantine – sans se toucher, sans toucher à quoi que ce soit non plus, sauf pour aller pisser et se laver les mains, mais il faudra désinfecter derrière.

En récré, les enfants ne pourront pas être… des enfants. Ils seront sommés de jouer à distance les uns des autres, pas de ballon, pas de corde à sauter, pas de quilles, pas de billes, pas de frisbee, pas de. On parquera donc les enfants comme des bagnoles, à bonne distance les uns des autres. Quand ils rentreront du parking, ils auront l’immense chance de pouvoir aller se rasseoir dans leur cellule jusqu’à ce qu’on les libère.

 Je sais déjà que je n’enseignerai pas, j’ai besoin pour ça de m’approcher de mes élèves, d’aller voir leur cahier, de faire avec eux, de pointer du doigt ce mot qui ne va pas, ce calcul erroné etc. Mais je sais aussi que malgré moi je m’apprête à maltraiter des enfants qui subiront la connerie de ces enfoirés qui au doigt mouillé ont posé la date du 11 mai comme date de fin de récré. Et maintenant tous au bagne travail !

Certes, pour le moment, nous n’aurons que quelques élèves, ce qui sera relativement gérable. Oui nous aurons des masques et du gel, tout sera désinfecté deux fois par jour, très bien, la mairie a pour une fois l’air d’être responsable et de faire les choses comme il faut. Mais que nous apprêtons-nous à faire ? A imposer à des gosses des conditions de détenu.e.s quand on leur doit bienveillance et confort matériel… A leur apprendre, non pas des maths et du français, mais que pour le bien de la nation économique, de papa et de maman qui n’en peuvent plus de les avoir dans les pattes à la maison, ils n’ont plus qu’à attendre, là. Un adulte ne le supporterait pas – c’est ce qu’on inflige aux taulards, c’est ça justement la punition : attendre. Mais on va l’imposer à des gamins.

Notre hiérarchie s’en fout, de mon inspectrice à Blanquer en passant par le recteur et le DASEN, tout ce qui compte c’est de remplir les cases et d’annoncer fièrement (avec prime à la clé ?) que tant d’écoles seront ouvertes. En attendant, nous serons plusieurs enseignant.e.s à nous relayer durant la semaine, tout le monde ne sera pas là car ne vous en déplaise Madame l’Inspectrice, nous avons des enfants auxquels nous ne voulons pas imposer un quotidien de bagnard (« Est-ce bien normal qu’il y ait si peu d’enseignants à venir en présentiel dans votre école ? » nous demandait-elle récemment).

La pédagogie ? Rien à battre. La bienveillance ? On s’en cogne le coquillard. « Faites au mieux, je vous fais toute confiance, et bon courage » nous répond souvent notre hiérarchie. Elle peut se les enfoncer dans la gorge ses « bon courage », ce n’est pas elle qui va gérer le quotidien. Ses « faites au mieux », c’est du Blanquer dans le texte qui, à la question toute légitime de Léa Salamé sur France Inter récemment, sur ce que l’on pouvait faire à un enfant qui tombe et qui se blesse – peut-on lui faire un câlin ? - répondait « il faut privilégier le bon sens et le pragmatisme ». En gros démerdez-vous, mais si vous faites un pas de travers ce sera de votre faute. Mesdames et messieurs nos chef.fes de tout échelon, je vous vomis de nous imposer ça, je vomis votre pression et vos « je vous fais confiance ».

Demain, je me prépare à être maton, mais ce n’est pas mon métier, moi j’enseigne, et j’aime mes élèves. Je ne tiendrai pas bien longtemps."

3.2  « On a bien tout le gel qu'il faut, il est chez moi ! » 11 mai

"Ca y est, la fameuse rentrée que nous redoutions tous, est arrivée. Il est 8h10, je n'ai pas bien dormi cette nuit, réveillé à 6h, plus possible de retrouver le sommeil. Mes collègues sont en avance aussi et ont la même tête que moi : content.es de se revoir mais la mine inquiète. Que s'apprête-t-on à faire ? A transformer nos classes en bunkers, comme ceux échoués le long de la côte Atlantique : tristes et vides - ça me fait cette impression chaque fois que j'en vois un ? On le sait, il va falloir vider notre école, il va falloir tout réaménager, tout pousser, réfléchir à tous les détails : par où faire passer les élèves, comment faire pour qu'en tout point et en tout instant personne ne se touche ? Comment faire si un enfant touche quelque chose ? Est-ce que je peux placer mon bureau là ? Cette table ici ? Je fais quoi de la bibliothèque de ma classe ? Et s'ils veulent prendre un livre comment on s'y prend ? Et on va faire quoi en récré ? En fera-t-on vraiment une du coup ? On sera assez loin de cet élève ? Dans quel ordre je les fais sortir ? Est-ce que je vais vraiment mettre des marquages au sol ? Bah oui, obligé. Est-ce qu'on va pouvoir aller se promener, aller au parc ? « Non » me dit-on, trop dangereux.P.... ça va être long !

Ces questions, on se les posera dans la journée, on poussera bien nos meubles, on aura parfois les yeux mouillés, on verra que d'autres collègues aussi. Mais là tout de suite, à 8h10, c'est autre chose qui nous occupe : malgré nos demandes répétées orales et écrites, alors que le maire avait dit que « Oui il y aura tout ce qu'il faut », ce matin il n'y a rien. Pas de gel hydroalcoolique, pas de lingette désinfectante, aucune serviette jetable pour se sécher les mains après lavage. Non, il n'y a rien, juste une école fantôme, restée dans son jus depuis le 13 mars 2020 - ça me rappelle ces reportages tournés dans les écoles autour de Tchernobyl, ces écoles vides, avec les trousses encore sur la table, les règles jetées au sol et cette impression que la vie s'est arrêtée là, soudainement. Dehors les herbes folles ont repris possession de la cour, dedans ça sent la poussière et le ménage pas fait. En fait, c'est simple, on réinvestit des locaux totalement abandonnés pendant deux mois, et ça n'a pas l'air d'avoir interrogé la mairie. Le maire et son adjoint chargé des écoles ne sont pas souvenus qu'il y aurait des enseignant.es dans l'établissement le 11 mai. 

On appelle le maire, on est en colère. Il ne comprend pas pourquoi on s'excite, les enfants ne rentrent pas aujourd'hui. Haut parleur allumé, hallucination collective de la communauté éducative. Il vient bien de nous dire que nous n'avons pas besoin de gel puisque sans élèves !! Il nous traite de « casse-couilles », toujours en train de chercher la petite bête au moindre prétexte. Oui ça se passe comme ça dans les petites communes, les maires ne comprennent pas grand chose aux exigences de l'Education Nationale, s’emportent et pour eux, on fait au feeling, pas de quoi se mettre dans un état pareil. Vu la conversation de sourds, on lui demande de passer, ou au moins son adjoint. Oui il passera, peut-être - bah en fait non, il ne passera pas mais ne prendra pas le temps de nous le dire, idem pour son adjoint. On rappelle. Il ne comprend pas notre démarche, pourquoi on s’énerve. "Et en plus on a bien tout le gel qu'il faut, il est chez moi !".

3.3 La rentrée dans un espace-temps improbable, 14 mai

"Bon, on s’est énervé le jour de la pré-rentrée, on a râlé, on a enfin obtenu. La veille encore tout était loin d’être prêt, mais ça y est ce matin. On peut dire qu’on va pouvoir coller à ce fameux protocole sanitaire : dans les grandes largeurs jusqu’aux moindres détails, on va appliquer ce document de cinquante quatre pages, à la lettre, pas le choix, le moindre faux-pas ne nous sera pas pardonné.

Il est 7h40, dans quarante minutes on accueillera nos tous premiers élèves depuis deux mois. Je pose les dernières étiquettes au sol avec le prénom de chaque enfant. On a tout prévu : pour rentrer dans la cour, il faudra se ranger là, devant son étiquette distante d’un mètre des autres. Puis on décrira une courbe comme ça pour éviter de se rapprocher les uns des autres, sinon l’arbre ici gênera, la porte là rapprochera mécaniquement les enfants, etc. Une fois dans le couloir, ils se rangeront ici, devant leur étiquette. Là ils attendront, un par un, de passer se laver les mains, sous la surveillance d’un adulte, trente secondes chacun, puis se sécheront les mains avec du papier jetable, et sans rien toucher iront s’asseoir en classe à leur table en suivant le fléchage qu’on a prévu au sol. Ils n’en bougeront pas tant qu’on n’ira pas aux toilettes, mais avant il faudra se relaver les mains, toujours trente secondes sous l’eau par enfant.

Une fois aux toilettes, c’est chacun son tour, il faudra attendre sur son étiquette. Il y a une « dame-pipi » – je la plains, vraiment – dont le rôle majeur de la journée sera de passer derrière chaque enfant et tout désinfecter (abattant, robinet, poignées) avant le passage de l’enfant suivant. On ira se ranger sur son étiquette, dans l’ordre (mais avant on se sera de nouveau lavé les mains trente secondes). Ça y est, on pourra aller en récréation, enfin on dira « en promenade ». Coïncidence heureuse, c’est la seule activité garantie en prison. Et le manège recommencera.

7h50, Je réalise soudain que je ne me souviendrai jamais de l’ordre de tous ces enchaînements, alors, je m’improvise sur une feuille l’emploi du temps de la journée pour ne rien louper, j'écris :

" 8h30 : Accueil – lavage des mains – 30 secondes par enfant.
 10h05 : Passage aux toilettes : lavage des mains avant (30 secondes par enfant), la petite ou la grosse commission (moi je compte bien
              2 minutes quand-même...), lavage des mains en sortant (30 secondes par enfant).
 10h15 à 10h30 : « Récréation »
 10h30 : Lavage des mains avant de retourner en classe, 30 secondes par enfant
 11h20 : Lavage des mains avant de sortir de la classe, 30 secondes par enfant.
 13h20 : Lavage des mains avant de rentrer en classe, 30 secondes par enfant.
 15h05 : Passage aux toilettes : lavage des mains avant (30 secondes par enfant), la petite ou la grosse commission (moi je compte bien
              2 minutes quand-même...), lavage des mains en sortant (30 secondes par enfant).
 15h15 à 15h30 : « Récréation »
 15h30 : Lavage des mains avant de retourner en classe, 30 secondes par enfant
 16h20 : Lavage des mains avant de sortir de la classe, 30 secondes par enfant.
 16h30 : Ouf ! Sains et saufs, je les rends aux parents."

Vertige. Je le savais, mais ça devient concret : je vais passer ma journée à leur faire se laver les mains. Dix fois par jour. A raison de trente secondes par enfant, ça fait trois cents secondes pour un seul élève. Cinq minutes par enfant, multiplié par douze, ça fait une heure par jour rien qu’à leur laver les mains !

8h20 : Les parents et leurs enfants sont là. Ils sont masqués pour certains, moi aussi. Un enfant pleure au moment où je lui annonce d’aller se mettre devant son étiquette. Je me retiens, moi aussi, je veux pleurer. Je lui dis devant papa que « même si c’est impressionnant, que tu ne m’a jamais vu avec un masque ni tes copains, on va faire en sorte que ça se passe bien. Je te ferai bien un câlin mais je ne peux pas, regarde papa veut t’en faire un. »

Il va se ranger. Ils sont tous là, les douze élèves. « On y va les enfants. Suivez la ligne au sol jusque devant la classe ». Silence de mort. Pas un enfant ne parle.

A chaque rentrée d’habitude, il y a cette excitation palpable. On a mal dormi d’impatience, les enfants arrivent souvent en avance, s’attrapent et se racontent leurs aventures de l’été. « T’as vu ? On est dans la même classe ! » Tout le monde s’est mis sur son trente-et-un, on montre son nouveau cartable, sa trousse qui fait de la lumière et son hand spinner (toupie à main) double lame à explosion atomique, on va le mettre dans l’arène à toupies et on va bien voir qui sera le plus fort !

Mais ce matin, c’est la procession mortuaire. Mines abattues, angoissées, pas un bruit. Ils se suivent, respectent la distance, attendent sagement. Alors qu’un autre adulte les surveille au lavage des mains, je me mets face à la file indienne, je retiens mes larmes, je leur parle et leur demande ce qu’ils ont fait pendant le confinement. Quelques réponses timides. Je relance, je tente une blague. Bide. Puis les langues se délient. Un peu. « On a fait du vélo lundi c’était cool ». « Ah oui, tu es allé te promener où ? », «  Et toi ? ». Ouf, ils restent des enfants vivants, ils se livrent un peu. Bon signe.

Il est 9h, on est enfin tous en classe. Il a fallu pour ça se laver les mains, mais aussi se les essuyer. M..... ! J’avais oublié ça dans mon emploi du temps, et en fait il faut bien trente secondes de plus pour se les sécher, mettre le papier à la poubelle. On suit ensuite la ligne jusqu’à sa table.

On a donc mis trente minutes pour se nettoyer les pognes, qui ne vont pas tarder à se salir de nouveau, je leur donne pas trois minutes avant une main à la bouche. De nouveau vertige. Si c’est dix fois trente minutes, ça fait cinq heures à se laver les mains !…

Je dis bienvenue à tout le monde, on cause un peu, on explique ce qu’est ce coronavirus, les gestes à adopter. On dit qu’il ne faudra surtout pas se toucher, ni moi ni eux, qu’il ne faudra toucher à rien, qu’il faudra se ranger là, se tenir ici et ne pas déroger à la règle. Je suis dans la fabrique de la soumission, et c’est moi le chef d’atelier… M..... !

On travaille un peu, puis c’est l’heure de retourner…. Se laver les mains pardi ! La journée se passe, on suivra le protocole à la lettre. Les enfants resteront à distance. Les récrés ne seront pas si mal (je leur fais dessiner au sol ce qu’ils veulent à la craie, ils rejoignent leurs dessins, et s’inventent des coins dans lesquels les copains peuvent venir quand ils s’écartent). C’est la force des enfants, même dans les pires situations, ils me donnent de l’espoir : malgré tout ça, malgré mes angoisses d’adulte – et celles de leurs parents – ils sont contents d’être là, ils s’inventent des univers qui nous échappent, ils trouvent la petite faille invisible qui mène à la grotte des objets incroyables qui elle-même donne sur une vallée magique remplie de dragons et de sorcières.

A la fin de la journée, alors qu’en fait – j’ai compté – on aura passé une heure quarante à se laver les mains et à aller aux toilettes – plus que la théorie donc, mais pas cinq heures, ouf ! –, lorsque je demande « Comment s’est passé cette journée pour vous ?», une élève me dit « c’était trop cool ! », d’autres confirment. Ils sont incroyables, moi j’ai passé une journée de merde. Les enfants continuent de m’émerveiller.

Il n’empêche, de mon point de vue d’adulte, et surtout d’enseignant, que suis-je en train de faire ? D’apprendre à des enfants à se placer sur cette étiquette, d’attendre, de ne pas s’en plaindre, d’apprécier les quelques miettes de moments sympas qu’on est parvenu à s’aménager ? C’est moi qui doit leur apprendre d’avoir peur de cet ennemi invisible, qui se cache peut-être dans la trousse du copain, sur la craie du maître, sur la rampe des escaliers ?

Dans quel délire hygiéniste suis-je tombé (qu’on m’impose, cela ne vient certainement pas de moi) ? Quand on y réfléchit, où trouve-t-on un protocole aussi rigoureux ? Où doit-on éviter le moindre microbe, où nettoie-t-on drastiquement toute surface potentiellement touchée ? A l’hôpital. A l’hôpital en période de pandémie même. Je suis le chirurgien masqué qui doit rassurer ses patients. Tout va bien se passer Monsieur, vous êtes entre de bonnes mains, parce que je me les lave dix fois par jour."

III - Que disent les syndicats du secteur dans le  Puy-de-Dôme ?

Sud -Education 63 - Dans un message aux adhérents, il précise : « Le gouvernement a décidé de rouvrir les écoles à compter du 11 mai et les collèges à compter du 18, renvoyant nombre de responsabilités et de décisions à l'échelon local.
Certain·e·s vont donc retrouver leurs écoles dès lundi et leurs élèves le lendemain. D'autres retourneront dans leur collège dans la semaine.
Compte-tenu du protocole sanitaire à appliquer et du fait que la reprise ne concernera qu'une partie des élève, il est illusoire d'espérer un fonctionnement normal de l'école dans les semaines à venir. Nous savons qu'il  ne sera pas possible faire respecter les gestes barrières empêchant la transmission du virus. Le protocole sanitaire n'est pas applicable dans les établissements scolaires.
La situation est fortement anxiogène pour toutes et tous (enseignant·e·s, élèves, parents) et ne saurait apporter ni conditions favorables à l'enseignement, ni soulagement des difficultés scolaires réelles qu'implique le confinement.
D'après les compte-rendus de tous les syndicats qui siègent en CHSCT  (rappel: SUD éducation ne siège plus depuis les dernières élections professionnelles),
il est possible de ne pas se rendre dans son école pour garder ses enfants de moins de 16 ans (remplir une Autorisation Spéciale d'Absence), pour des raisons de fragilité en matière de santé pour soi ou un des ces proches (obtenir un certificat médical de son médecin traitant et remplir une ASA). » Suit des consignes pratiques.

Lire : « Des outils pour se défendre et agir » - site : https://www.sudeducation63.org

SNUIPP63-FSU- Dans sa « Motion au conseil des maîtres », parlant du protocole sanitaire à mettre en place dans les écoles, le SNUIPP63-FSU précise notamment : « … de nombreux points de ce protocole seront, en effet, impossible à mettre en oeuvre avec des enfants. Assurer la distanciation physique de 1 mètre à tous les moments de la journée (accueil, classe, récréation, passage aux sanitaires, pause méridienne...) et supprimer le matériel collectif et les jeux (y compris en maternelle), n’est pas possible.
Le Snuipp-FSU invite les équipes à utiliser tous les moyens pour que, face à toutes les incohérences et les impossibilités relevées dans ce projet de protocole, les autorités de tutelle (Education nationale et collectivité territoriale) fassent marche arrière sur la réouverture des écoles lorsque le constat aura été fait que cela n’est pas possible. 
»

Voir « Outil d'évaluation du protocole sanitaire » - Site : http://63.snuipp.fr/

VI - Appels et initiatives pour "le monde d'après"

Ecouter l'appel de Vincent Lindon,  ou  le lire :

Lire l'excellent panorama largement documenté d'Alain Bertho : "Et maintenant ? De la résilience à la résistance "

« Une alliance d’acteurs et de réseaux :

de nature très diverse : collectivités territoriales, organisations de la société civile, entreprises, centres ressources, centres de recherche et de formation, agences et structures étatiques ;
unis par la conviction que les territoires sont des acteurs majeurs de la transition vers des sociétés durables ;
ayant la volonté de mutualiser leurs expériences et leurs réflexions et de les mettre au service des territoires qui veulent s’engager dans une démarche globale de transition ;
partageant l’ambition de susciter un changement d’échelle des transformations en cours

Mission : Mutualiser les efforts et dégager des synergies dans le respect de nos différences, afin de faire naître et déployer une ingénierie systémique des transitions dans les territoires, à l’échelle nationale et européenne.

"Et si le monde d'après ne ressemblait pas au monde d'avant ?"
"La crise déclenchée par la pandémie mondiale du coronavirus a mis un coup de projecteur supplémentaire sur les dérives du système actuel, et la fragilité de nos sociétés. Et si on profitait de cette situation d’exception pour exiger que les cartes soient rebattues ?
Nous sommes à un carrefour. Nous pouvons décider de faire repartir la machine comme avant, tout en sachant pertinemment qu’elle continuera de provoquer les crises sanitaires, économiques, sociales et les catastrophes écologiques qui menacent de plus en plus gravement les conditions de vie civilisée sur Terre. Ou nous pouvons choisir la direction opposée : prendre dès à présent les mesures qui permettront la métamorphose de nos territoires et un changement radical du système, pour construire un monde basé sur la soutenabilité écologique et la justice sociale...
 »

« … dans le cadre de l’initiative “Inventons le monde d’après”, La Croix-Rouge française et le WWF France s’associent à Make.org et le Groupe SOS, en partenariat avec Unis-Cité et le Mouvement UP pour vous inviter à répondre à cette question cruciale : “Crise Covid-19 : Comment inventer tous ensemble le monde d’après ?“. Vos propositions qui seront plébiscitées lors de cette consultation constitueront un Agenda citoyen donnant à l’ensemble des acteurs de la société civile une boussole de vos priorités pour construire ensemble le monde de l’après-crise. ...A partir du 5 mai, la consultation passe dans sa deuxième phase, qui consiste à faire voter les citoyens sur les propositions pour les départager et déterminer ainsi les priorités pour inventer tous ensemble le monde d’après. »

Pour une écologie populaire et sociale : Contre la stratégie du choc, Face au virus, leur résilience et la nôtre.

Dépôt de plainte facilité - Covid-19 / Coronavirus
« Alors que partout l'épidémie d'infections au coronavirus progresse, et malgré les avertissements des instances sanitaires internationales, l'État français n'a pas pris à temps les mesures nécessaires pour protéger les personnes sur son sol. Les mesures prises récemment sont tardives, insuffisantes et incohérentes. De ce fait, de nombreuses personnes, dont du personnel médical, ont été et sont toujours exposées à des risques sanitaires, sont tombées malades ou sont décédées.
Le droit français protège les personnes de ces négligences, mises en danger et violences. Selon la situation dans laquelle vous vous trouvez, ce site vise à faciliter le dépot d'une plainte contre X à l'aide de dossiers pré-rempli assorti d'une notice explicative.
Selon votre situation (syndicat professionel, personnel médical, malade, proche de victime ou simple citoyen), les motifs suivants peuvent s'appliquer :
- Abstention volontaire de prendre les mesures visant à combattre un sinistre
- Violences involontaires
- Mise en danger délibérée de la vie d’autrui
- Homicide involontaire ... »

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Merci à Fabienne sans qui ce billet ne serait pas ainsi qu'à Brigitte et Hispacho (militant.es de SUD éducation 63)

* Passé le choc de la première vague épidémique sur notre territoire qui a vu l'extension transitoire d'un chômage partiel étendu, à défaut de télétravail, il s'agit d'y mettre fin le plus vite possible.

L'économie, notamment dans les secteurs de l'hôtellerie-tourisme, de la culture, du commerce non-alimentaire, des transports, a subi de plein fouet cet arrêt de l'activité. Nous allons vivre une période transitoire équivalente au plan Marshall de la fin des années quarante sous menace d'atteintes graves - voire d'une offensive globale - sur le droit du travail. Des milliards d'euros vont être injectés par la France et par l'Union Européenne. Où vont aller ces milliards ? La question est essentielle pour imposer une autre direction radicalement opposée en amorçant une reconstruction/transformation de nos économies dépendantes et capitalistes tout entière au service des grandes entreprises mondialisées et du profit maximum à court terme. Assister sous prétexte d'impuissance et se rendre complice de l'aggravation brutale de notre vie en société ou prendre des initiatives pour une reconstruction sur la nécessité et l'utilité sociale qui est apparu avec évidence durant cette première phase de l'épidémie en investissant massivement sans tarder dans la santé et l'éducation ? Une circonstance exceptionnelle pour engager une réelle transition écologique et sociale ou s'enfoncer dans une économie qui prépare les catastrophes à venir. La résistance est à l'ordre du jour, légitime défense des peuples pour leur survie.

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