Non, l’éviction de Joël Martin n’est pas une « étrange affaire », comme le pense Jean-Paul Bourgès. Joël Martin en a lui-même donné sa version, à laquelle je vais m’efforcer de répondre – ainsi qu'à tous les lecteurs qui nous interpellent.
Joël Martin: « Madame Delacroix est une habile manipulatrice. On lui demande les motifs précis de mon éviction, elle dévie sur les propos précis qui m’ont été reprochés. Ces propos précis sont mes commentaires dépubliés par la rédaction, que ladite rédaction se garde bien de reproduire, au nom de « l’habitude ». Quelle esquive commode pour ne pas avoir à préciser quel article précis de la charte j’aurais violé. »
Mediapart ne reproduit jamais, pas seulement par « habitude », mais par principe, des écrits dépubliés au motif qu’ils étaient en infraction avec la Charte. Il y aurait là comme une incohérence.
Quels articles de la Charte les écrits de Martin violaient-ils ?
L'article 2, et en deux points, que voici:
1) Vous vous engagez à ce que vos contributions soient dénuées de propos injurieux, diffamatoires, portant atteinte à la vie privée, au droit à l'image, ou aux droits de la personnalité de quiconque.
2) Invectives et harcèlement n'ont pas leur place dans le Club.
Joël Martin reconnaît en avoir été informé : « Dans un mail avec copie à Edwy Plenel, Madame Delacroix précise ainsi le motif de ces dépublications : Dénigrement systématique d'un autre abonné, voilà le motif », écrit-il. Puis il poursuit : « 18 avril 2014, 16h06 : suite à ma contestation, Madame Delacroix, dans un nouveau mail avec copie à Edwy Plenel, assène ceci : L'expression “(...), le célèbre mouilleur de draps anti autisme” n'est pas une critique de la psychanalyse mais une attaque personnelle. » (C’est moi qui anonymise l’abonné mis en cause par Martin).
A quelle « contestation » répondais-je, en conservant en copie de nos échanges le directeur de Mediapart – que Joël Martin avait choisi d’alerter ? « J’aimerais connaître les motifs précis de cette dépublication qui ne contient aucune insulte ni diffamation mais une opinion tranchée sur la psychanalyse. », avait redemandé Martin.
Pour autant, les jours suivant, Martin persiste: « J’ai posté par la suite plusieurs billets et commentaires sans la moindre référence nominale à (...), mais indiquant mon opinion entre autres sur les affaires de la TVA, de La Fouine et d’un scoop du Canard piqué par Médiapart. »
Sept billets seront dépubliés entre le 18 et le 22 avril. Car s’il a fait mine de laisser tomber l’abonné d’abord incriminé, tout en en parlant incessament, Joël Martin a (re)trouvé d’autres sujets pour invectiver et dénigrer.
Le 22, Joël Martin est informé que ses droits de participation sont désormais en jeu: « A plusieurs reprises », lui écrivons-nous, « nous avons été conduits à dépublier des billets et commentaires que vous avez rédigés, au motif du non respect de notre charte de participation, à laquelle vous avez adhéré en vous abonnant à Mediapart. En particulier, je vous rappelle que notre charte, et la législation en vigueur, proscrivent les propos injurieux. Ainsi, vos contributions entrant dans l'une ou l'autre de ces catégories seront systématiquement supprimés. Faute d'un changement d'attitude de votre part, nous serons conduits à mettre fin définitivement à vos droits de participation. »
Ainsi le 23, un dernier message l’informe de la privation de ses droits de particpation.
Comme Mediapart l’a expliqué le 29 avril, « c'est avec regret, et malgré nos mises en garde successives, que nous avons dû supprimer son droit à contribution ». S’émouvoir de cette décision, c’est oublier la succession d’évènements qui l’ont entraînée.
Comme je l’ai évoqué cette semaine, ici ou là en commentaire, « la conception que nous avons d'un média participatif » est « de permettre l'expression citoyenne, le partage d'informations et d'analyses, la construction mutuelle de débats. Vous êtes censés, vous abonnés de Mediapart, respecter tout à la fois vos interlocuteurs, notre Charte de participation, la législation en vigueur, et le média qui vous accueille. Ni moi ni personne n'est là pour faire votre ménage. » En effet, « il n'y a pas de modérateur à Mediapart. Nous sommes tous en charge de la modération, en cas de nécessité et dans la mesure de nos disponibilités ».
L’absence de modération a priori est un choix fondateur de Mediapart. Il serait beaucoup plus facile de pratiquer comme nombre de sites d’information aujourd’hui: sous-traiter auprès d’un prestataire la validation – ou pas – de vos contributions avant même leur parution. Nous avons choisi d’accorder à nos lecteurs notre confiance, en leur laissant l’entière liberté de leurs propos : sans les valider par avance, mais aussi sans les surveiller constamment ni méthodiquement – nous n’avons ni les outils, ni les effectifs pour ce faire. Et c’est un véritable choix éditorial, et non dicté par nos finances.
Ce système ne va pas sans heurts ni crises épisodiques. Il est pourtant la condition de votre liberté.
Une liberté… en partage. Celle de chacun d’exprimer une opinion sans devoir subir en retour des noms d’oiseaux. Celle de participer à des fils de commentaires enrichissants plutôt qu’à des séances de pugilat.
Le reproche qui nous est le plus fréquemment adressé, ce n’est pas celui de brider la liberté de nos abonnés, mais bien au contraire notre laxisme. Cinq à dix alertes nous arrivent quotidiennement, qui bénéficient toutes d’un traitement personnalisé: c’est-à-dire que pour chaque billet ou commentaire signalé comme en contradiction avec notre Charte, nous évaluons les écrits incriminés avant toute décision.
En voici quelques exemples, piochés dans les alertes récentes:
« Je regrette que votre rédaction n'ait pas pris la peine, préalablement à la publication, de vérifier les allégations (...) » contenues dans un billet;
« Pourriez-vous fermer mon blog svp. Je n'apprécie pas les commentaires qui y sont laissés.»;
« Je tombe souvent sur des sites nauséabonds en suivant les liens publiés dans les billets de blogs - je précise : les billets, pas les commentaires. Merci de faire attention, et de ne pas participer à l'insu de votre plein gré à la publications de ces saloperies. »
« le degré d'insulte n'est pas tenable. Merci d'intervenir. »;
« Une fois de plus, on parle des "Socialauds", c'est indigne et ne fait pas avancer le débat!!! Merci d'intervenir svp! »
« putains de flic C'est un délit et Médiapart un support média COURTOISIE MAIS PAS INSULTES Je trouve cela inacceptable»
«Médiapart devrait être plus rigoureux avec les incivilités.»
Comme je l’annonçais dans le dernier Hebdo du Club, une Charte renouvelée est en préparation, et désormais presque prête. Le chantier des nouvelles pages du Club ayant pris du retard, nous n’attendrons pas, comme nous l'avions prévu, ce nouveau Club pour la mettre en ligne.
Alors que Mediapart compte désormais plus de 90 000 abonnés, il nous importe de faire comprendre à chacun les règles en vigueur dans cet espace participatif, dont les sociabilités – et les susceptibilités – ne sont pas le moindre aspect. Ainsi cette future Charte se veut plus pédagogique, moins théorique: « Seront donc évoqués le choix de son identifiant, les règles de modération des commentaires et billets (...). Nous rappellerons le libre choix de la rédaction dans la mise en valeur ou non des contributions de ses abonnés, sur Mediapart comme dans les moteurs de recherches, et préciserons les responsabilités de chacun. »