Gilles Bouquerel (avatar)

Gilles Bouquerel

Psychiatre d'Enfants à la retraite, touche à tout, bon à rien, mais pas vraiment...

Abonné·e de Mediapart

75 Billets

0 Édition

Billet de blog 13 novembre 2015

Gilles Bouquerel (avatar)

Gilles Bouquerel

Psychiatre d'Enfants à la retraite, touche à tout, bon à rien, mais pas vraiment...

Abonné·e de Mediapart

Autisme : au delà des comportements

Gilles Bouquerel (avatar)

Gilles Bouquerel

Psychiatre d'Enfants à la retraite, touche à tout, bon à rien, mais pas vraiment...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Voici un second extrait du livre de Barry Prizant « Uniquely Human », qui suit du reste l'extrait précédent, déjà publié dans ce blog. J'ai inclus ici son dernier paragraphe qui fait pont....

J'ai également , à l'attention des personnes pressées, où qui, malgré leurs efforts, ont du mal à saisir l'intention de l'auteur ou de son commentateur, fait un petit résumé des deux articles :

Abstract : Dans les deux extraits présentés du dernier livre de Barry Prizant "Uniquely Human", l'auteur montre les limitations d'un abord circonscrit aux seuls comportements, et propose d'aller au delà  pour s 'interroger sur les causes de tels comportements, que l'auteur analyse comme des réponses adaptées que les personnes autistes mettent en œuvre face aux défis qu'ils rencontrent. L'auteur insiste particulièrement sur les défis de la dysrégulation émotionnelle et sur les problèmes sensoriels à type d'hyper-sensorialité. En passant il montre les limitations d'une définition de l'autisme fondée sur les seuls comportements jugés inadéquats. Le commentateur tente d'expliciter son accord avec de telles visions.

Ce qui est plus utile est de creuser plus profond : pour demander ce qui motive ces comportements, ce qui est la base de ces motifs. Il est plus approprié et plus efficace, de demander "Pourquoi?" Pourquoi se balance-t-elle ? Pourquoi aligne t-il ses petites voitures de cette façon, et pourquoi seulement quand il arrive à la maison venant de l'école ? Pourquoi a-t-il regardé fixement ses mains onduler devant ses yeux, et toujours pendant la classe d'anglais et à la récréation? Pourquoi répète-t-elle certaines phrases quand elle est en colère ?

 Le défi de la dysrégulation

 Habituellement, la réponse est que la personne connaît un certain degré de dérèglement émotionnel. Quand nous sommes bien régulés émotionnellement, nous sommes plus disponibles pour l'apprentissage et la collaboration avec d'autres. Nous nous efforçons tous d'être vigilants, concentrés, et prêts à participer à des activités dans nos vies quotidiennes. Nos systèmes neurologiques y aident en filtrant une stimulation excessive, en nous disant quand nous avons faim ou sommes fatigués ou quand nous protéger du danger. Les personnes atteintes d'autisme, principalement en raison de la neurologie sous-jacente (la façon dont le câblage du cerveau fonctionne), sont particulièrement vulnérables aux défis émotionnels et physiologiques quotidiens. Donc, ils éprouvent plus de sentiments de malaise, d'anxiété et de confusion que d'autres. Ils ont aussi plus de difficulté à apprendre comment faire face à ces sentiments et ces défis.

 Pour être clair : la difficulté à rester bien régulé émotionnellement et physiologiquement devrait être une base caractéristique de définition de l'autisme. Malheureusement les professionnels ont longtemps négligé ce point, en mettant l'accent sur les comportements qui en résultent au lieu des causes sous-jacentes.

 Si vous connaissez une personne autiste, envisagez ce qui rend cette personne moins capables de rester bien régulée : des problèmes dans la communication, des environnements qui sont chaotiques, des gens qui rendent confus parce qu'ils parlent ou se déplacent trop rapidement, un changement inattendu, une inquiétude excessive au sujet de choses qui sont incertaines. Ensuite, il y a des défis associés, tels que les sensibilités sensorielles au toucher et au son, des perturbations, motrices ou lors des mouvements, la privation de sommeil, les allergies et les problèmes gastro-intestinaux.

 Bien sûr, les personnes autistes ne sont pas les seules à subir ces défis. Nous nous sentons tous dérégulés de temps à autre. Parlant devant un large public, vous pourriez sentir la sueur perler sur votre front, vos mains pourraient trembler, votre cœur pourraient battre la chamade. Le port d'un chandail de laine qui gratte pourrait être si irritant que vous ne pouviez pas vous concentrer. Lorsque votre routine normale du matin - café, journal, douche - est rompu par une intrusion inattendue, vous pourriez vous sentir chamboulé pour le reste de la matinée. Lorsque ces facteurs s'accumulent - vous manquez de sommeil, vous êtes sous le coup d'un délai, vous sautez le déjeuner, puis une panne de votre ordinateur survient - il est facile de devenir extrêmement agité.

 Nous avons tous ces défis, mais les gens atteints d'autisme sont inhabituellement mal équipés pour se débrouiller avec eux en raison de leur neurologie. Cela les rend beaucoup plus vulnérables que d'autres, c'est à dire que leur seuil de réaction peut être beaucoup abaissé et qu'ils ont moins de stratégies d'adaptation innées. Dans de nombreux cas, ils ont aussi des différences du traitement sensoriel : ils sont soit hypersensibles ou hyposensibles au son, à la lumière, au toucher, et d'autres sensations et donc moins capables de les gérer. En outre, de nombreuses personnes atteintes d'autisme sont naturellement dans l'ignorance de la façon dont d'autres pourraient interpréter leurs actions quand ils sont dérégulés.

 Se sentir émotionnellement dérégulé affecte différentes personnes de différentes façons. Souvent, les réactions sont immédiates et impulsives. Le comportement d'un enfant peut changer subitement, sans cause apparente. Quand un enfant est exposé à un bruit fort, par exemple, il pourrait chuter jusqu'au sol. Je vois souvent des enfants qui refusent d'entrer dans un cours de gym ou dans la cafétéria de l'école. Leurs enseignants pourraient croire à tort que cela est une désobéissance délibérée, une tentative planifiée pour échapper à une activité que l'enfant n'aime pas. La raison en est généralement beaucoup plus profonde que cela : l'enfant ne peut pas supporter le volume ou la qualité du bruit ou le chaos du cadre.

Quand je travaillais dans un programme préscolaire destiné à l'autisme basé dans un hôpital, les enfants mangeaient le déjeuner dans la salle de classe sur des plateaux montés de la cafétéria de l'hôpital. Une fois un enseignant et moi menions des enfants de quatre et cinq ans à la cuisine de la cafétéria afin qu'ils puissent voir comment les plateaux étaient nettoyés. Au moment exact où nous sommes arrivés, le lave-vaisselle de taille industrielle a vomi de la vapeur et soudain émis un SSSHHHH à haute fréquence ! Instantanément tous les enfants ont laissé tomber leurs plateaux, certains couvraient leurs oreilles et ils ont crié et courut vers la sortie. C’était comme si un monstre était soudainement apparu, à quelques centimètres de leurs visages.

 Voilà la dérégulation, soudaine et visible.

 Parfois, la cause du dérèglement est moins évidente. En visitant une école maternelle où je consultais, je marchais à l'extérieur avec Dylan, un enfant de quatre ans avec l'autisme, quand soudainement et sans avertissement, il a chuté au sol et a refusé d’aller plus loin. Je l’ai pris doucement et l’ai aidé à bouger, mais bientôt il s’est laissé tomber à nouveau. Comme je l'ai aidé à nouveau, nous avons entendu un chien aboyer. Il a immédiatement paniqué et essayé de fuir le bruit. Je me suis rendu compte alors que Dylan, avec son hypersensibilité auditive, avait entendu le chien depuis le début, mais son aboiement avait été si lointain que je ne l’avais pas intégré. Ce qui serait apparu comme un comportement non coopératif, aléatoire, ou une provocation était en fait une expression très compréhensible de la peur.

 Cela aussi est une dérégulation.

 Beaucoup d'enfants atteints d'autisme battent des bras, soit comme une expression de leur niveau d'excitation ou pour se calmer. Lorsque Conner se sentait joyeux, et parfois quand il était inquiet de la transition entre les activités, il faisait ce que ses parents avaient appelé sa "danse de la joie." Il se tenait sur ses orteils et avançait, puis le faisait à nouveau, tout en bougeant ses doigts devant ses yeux . Un thérapeute avait conseillé antérieurement aux parents de Conner de répondre fermement avec un « mets les mains en bas », et, si il ne respectait pas cet ordre, d'ajouter": "Assieds toi, assieds toi sur les mains" (À leur crédit, ses parents ont ignoré la suggestion, en aidant à la place Conner à indiquer ses sentiments ou en facilitant les transitions en lui disant à quoi il pouvait s'attendre.)

 Il est facile de rejeter les battements ou les balancements ou les danses comme autant de "comportements autistiques." Mais les parents élevant des enfants avec autisme, et les professionnels qui travaillent avec eux, ont besoin d'avoir une étape supplémentaire. Tels des détectives, nous devons examiner et considérer tous les indices disponibles et travailler à discerner ce qui est sous-jacent et qui déclenche une réaction particulière. Qu'est-ce qui rend l'enfant dérégulé ? Est-ce interne ou externe? Est-ce visible? Est-ce dans le domaine sensoriel ? Est-ce la douleur ou l'inconfort physique, ou un souvenir traumatique? Dans la plupart des cas, l'enfant ne peut pas expliquer le comportement par des mots, il revient donc à ceux qui sont proches de faire le tri parmi les indices.

 Stratégies d'adaptation et comportements de régulation

 Voici une ironie majeure : la plupart des comportements communément étiquetés «comportements autistiques" ne sont pas réellement du tout des déficits. Ils sont des stratégies que la personne utilise pour se sentir mieux régulé émotionnellement.

 En d'autres termes, dans de nombreux cas ce sont des forces.

 Quand un enfant avec des sensibilités sensorielles extrêmes entre dans une pièce bruyante et se colle ses mains sur les oreilles et balance son corps, ce type de comportement est à la fois un signe de dérèglement et une stratégie d'adaptation. Vous pourriez l'appeler "un comportement autiste." Ou vous pourriez demander «  qu'est-ce qui provoque ça ? » La réponse est double : l'enfant révèle que quelque chose ne va pas et qu'il a développé une réponse visant à exclure ce qui est lui cause de son anxiété.

 Que nous nous en rendions compte ou pas, tous les humains que nous sommes employons ces rituels et ces habitudes pour nous aider à nous réguler, à nous apaiser, pour calmer nos esprits et nos corps, et nous aider à y faire face. Peut-être, comme beaucoup de gens, vous trouvez énervant de parler en public. Pour vous calmer, vous pourriez prendre une série de respirations profondes ou un rythme d'avant en arrière pendant que vous parlez. Cela n'est pas exactement la façon dont les humains respirent ou se comportent généralement en public, mais un observateur ne jugerait pas ce comportement comme déviant. La personne comprendrait que c'est votre façon de composer avec le stress dans la situation et de calmer vos nerfs de telle sorte que vous puissiez faire de votre mieux.

Quand je rentre à la maison après une journée de travail, je vérifie immédiatement la boîte aux lettres, puis je trie le courrier, en plaçant les factures dans une pile, les magazines dans un autre, et en jetant ce dont je n'ai pas besoin pas dans le bac de recyclage. Il faudrait une distraction importante pour moi pour passer ce petit mais important rituel ; alors je me sentirais de mauvaise humeur à un certain niveau jusqu'à ce que j'en prenne soins. C'est une routine apaisante ; c' est la manière par laquelle je rentre à la maison. Quand ma femme a eu une mauvaise journée ou se sent inquiete, elle organise et nettoie. Si je reviens à la maison et trouve notre maison plus immaculée que d'habitude, je sais que quelque chose la tracassait. Les services religieux comprennent des strates de rituels réconfortants – en chantant et en priant, avec des gestes symboliques et des mouvements du corps pour permettre aux gens de laisser les soucis et les banalités de la vie quotidienne s'en aller et d'entrer un royaume spirituel plus élevé.

 Pour les personnes atteintes d'autisme, les rituels réconfortants et les mécanismes d'adaptation sont de toutes variétés : se déplacer d'une façon particulière, parler avec divers motifs, transporter des objets familiers, alignaer les objets pour créer un environnement prévisible et immuable. Même la proximité de certaines personnes peut servir comme une stratégie de régulation.....

Que nous précise là Barry Prizant ? Que les comportements n'existent pas par eux mêmes, qu'ils ont une cause, un but, une utilité, même si ces éléments doivent être cherchés, découverts, construits à partir d'indices. Mettons  des "Constructions dans l'Analyse des Comportements". Cet "au delà" des comportements pour l'observateur est en vérité un "en deçà" pour le sujet qui nous les présente, question de point de vue.

Bien évidemment l'auteur vise le "tout comportemental", c'est à dire  le système dans lequel la définition des problèmes, l'analyse, le niveau de l'action dans la prise en charge doivent rester strictement au niveau comportemental, système dont l'économie se cramponne à cet étage, même si le principe même de l'analyse comportementale invite à chercher la chaîne causes - comportement - conséquences du comportement.

C'est ce qui serait le "Nouvel Autisme", et même "l'Autisme selon la HAS", dont les amis auto-proclamés feraient la chasse au opinions dissidentes. Voilà un complet contresens, qui restreint et ampute les recommandations HAS/ANESM de ce qu'elles présentent véritablement comme caractéristiques majeures : le bon sens d'une part, l'ouverture de l'autre. Les réduire à l'injonction d'une nouvelle science de l'autisme réduite à quelques points, nommément le comportementalisme et les neurosciences est donc une incompréhension totale de son utilité, qui est de parvenir à établir un système coordonné de prise en compte et de prise en charge de l'autisme dans ses divers aspects, et pour la maximum de personnes concernées dans le vaste champs extensif de l'autisme

Le cadre comportemental (dont la définition de l'autisme) est une chose, le cadre comportementaliste (dans les prises en charge) une autre. Ces deux cadres ont leurs utilités, et leurs limites aussi. Le cadre comportementaliste est simple, robuste, en ce sens qu'il résiste à la montée en charge et à l'apparition de difficultés, et permet donc de tenir le choc, et de ne pas baisser les bras. S'il devient exclusif de toute autre vision, il est envahissant, et pousse au rejet : au delà d'une certaine limite, les cas résistants sont exclus sous divers motifs, "comme d’habitude". Une nouvelle cohorte de laissés pour compte apparaît, quand on sait qu'environ 50 % des prises en charge ABA, aux dires mêmes de leurs promoteurs, ne fonctionnent qu'imparfaitement. Ce simple fait est une incitation à la pluralité des mondes et des visions.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.