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Psychiatre d'Enfants à la retraite, touche à tout, bon à rien, mais pas vraiment...

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Billet de blog 23 mars 2016

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Autisme : Un Psychiatre Presque Comme les Autres

On nous promet une belle soirée sur l'autisme, le 30 mars, sur France 2. Tout d'abord un film "Presque comme les autres", scénarisation du livre témoignage de Francis et Gersende Perrin sur leur fils Louis, et ensuite un « débat ». Il y aura la ministre chargée du domaine, des témoignages de parents.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ça va encore être la fête aux psychiatres, je sens ça, comme après la projection du « Cerveau d'Hugo » où, sous le regard bienveillants des Hautes Autorités d'alors (on avait même invité la ministre de l'Ère Sarkozy!), on avait cassé du psy, responsable de tous les malheurs de l'autiste.

On avait quand même invité une Professeure, une Chère Confrère, et même collègue psychiatre, qui n'avait pas trop défendu notre profession, à ce qu'il m'en souvient. Des familles d'autistes déchaînées, enfonçaient le clou de notre malfaisance générale, de notre ignorance crasse et de notre responsabilité avérée dans tous les errements qu'ils avaient constaté dans leurs parcours du combattant. Les bonnes dames ministres avaient acquiescé, bien entendu, tellement ravies de se défausser du mistigri.

Alors, ça va recommencer, c'est certain, ce 30 mars. Et re-ministre, et re-parents pleins de furie, et re-film réquisitoire contre les mauvais psys, vous savez ceux qui recommandent, les monstres, de « faire le deuil de votre enfant », qui cul-pa-bi-li-sent les parents, quand ils n'y sont pour rien, et moins encore , qui ne font rien, les bougres ET le font mal, comme les tacherons qu'ils sont. Les seuls, les uniques objets du ressentiment universel, les ennemis de l'humanité. Les ignobles qui ne sont pas certains que l'Autisme, qui est unique comme chacun sait, c'est seulement une maladie du cerveau d'origine génétique qui survient à l'insu du plein gré de chacun, et qui ne sont pas certains non plus que, non, ce n'est pas une maladie, mais un HAN DI CAP, Autiste un jour, Autiste toujours, et je ne vous cite là que quelques poncifs de la nouvelle bienpensance dans le domaine.

La ministre, comme à l'habitude, sera dans ses petits souliers, elle qui ne voit dans la fin programmée de son apostolat que la cessation de ses tourments autistiques : non, elle ne sera plus obligée d'aller au Sénat se faire dérouillarder, non, elle ne sera plus obligée de trembler devant les chefs des hordes associatives de parents agressifs, véhéments et menaçants, non elle ne sera plus obligée de cautionner et faire financer des institutions « expérimentales », supposées faire des miracles, et qui, pour de vrai, n'en font aucun (il ne faut pas le dire), mais pour très cher quand même. La paix enfin, à l'horizon mai 2017.

Les psychiatres, comme d'habitude seront injuriés, vilipendés, accusés, et on prendra bien soin de ne jamais les défendre : après tout, ils n'ont fait qu'avec ce qu'on leur donnait, et s'ils sont responsables de leurs actions, ils ne le sont pas collectivement de celles des autres, et pas responsable de la gabegie du fonctionnement de la machine publique, bien entendu parfaite, mais qui montre qu'elle est incapable ni de fomenter, ni de conduire un changement profond dans la durée, juste faire vivoter l'ancien dans un perpétuel recommencement, et créer quelques vitrines d'aspect moderne en pensant « pourvu que ça dure ».

Et les psychiatre se tairont, baissant la tête sous l'injure, les bons comme les moins bons, les actifs et les contemplatifs dans le domaine, les grands et les petits.

Et tout continuera comme avant, dans le meilleur des mondes possibles et chacun à sa place.

Je suis, moi aussi, un psychiatre presque comme les autres, qui ne se resouds pas à cautionner par son silence l'excès d'opprobre dont sa profession toute entière fait l'objet.

La date de mon diplôme en psychiatrie est 1976, en pleine période psychanalytique, dire que j'en ai subi les effets c'est peu dire : j'en ai été constitué de cette psychiatrie là, ça a dicté l'angle de ma manière de faire. Essayer de faire ce qu’on peut, en utilisant ce qu'on ressent dans la relation avec les enfants, les adolescents, les adultes. Savoir où l'autre vous place, où vous vous placez par rapport à l'autre, savoir ce que votre placement, et la façon dont vous le modulerez, dans la communication pré verbale, verbale, gestuelle peut produire comme effet, en l'adaptant sans cesse aux résultats obtenus, voilà l'essentiel de mon ancienne pratique

Je persiste à penser que cette psychiatrie là, elle est fondamentalement un outil formidable, particulièrement dans la gamme des autismes, ce que je préfère nettement au « Spectre », en français plus fantomatique qu'optique.

Vouloir l'abraser, voire la prohiber dans un processus de purification anti-psychanalytique, ou même, comme la psychiatrie américaine, faire comme si « ça » n'existait pas me paraît absurde, surtout si une telle potentialité existe, comme c'est le cas en France.

Une politique, et surtout une politique publique qui ne se centrerait que sur cette volonté d'éradication se priverait d'une partie efficace et vivante de nos potentialités.

Mais il faut aussi s'enrichir, se nourrir des apports, en particulier américains, si formidablement divers et vigoureux, dont, bien entendu, les apports développementaux et comportementaux. Mais des apports d'aujourd'hui, pas dans leur état historique de voici 35 ans.

S'enrichir aussi de la tradition américaine du rendre compte, de la preuve, qui n'existe quasiment pas en France.

C'est quand même une visée plus intéressante que de faire le procès permanent de nos soi-disant 30 années de retard à cause de la psychanalyse, qui ne veut pas dire grand-chose, d'autant que, quand on aura pendu le dernier psychanalyste à la porte de son institution, on trouvera que, finalement, il vous manque.

Et j'en suis aussi, presque comme les autres, à ne pas me résoudre à voir ma discipline enterrée vivante sous les vivats de foules enfin réconciliées sur nos cendres à venir.

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