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Billet de blog 10 juil. 2015

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Drôle de zoo !

On croise, à Paris, beaucoup de drôles de zèbres mais peu d'animaux.Autrefois, la capitale fourmillait de bêtes, car il fallait bien manger de la viande et elle passait au milieu des passants, en troupeaux apeurés et dangereux, se frayant un chemin dans les embarras, baissaient les cornes sous les coups de bâton, tendant le cou sur le pavé, jusqu'au coutelas du boucher. Des dindons en nombre, des poules et toute une basse-cour gloussaient parmi les cris des hommes ; et les rats, guettés par les chats, faisaient les affaires du vendeur de poison.

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Illustration 1
Trottoir du 11 ème - 2014 © Gilles Walusinski

On croise, à Paris, beaucoup de drôles de zèbres mais peu d'animaux.

Autrefois, la capitale fourmillait de bêtes, car il fallait bien manger de la viande et elle passait au milieu des passants, en troupeaux apeurés et dangereux, se frayant un chemin dans les embarras, baissaient les cornes sous les coups de bâton, tendant le cou sur le pavé, jusqu'au coutelas du boucher. Des dindons en nombre, des poules et toute une basse-cour gloussaient parmi les cris des hommes ; et les rats, guettés par les chats, faisaient les affaires du vendeur de poison. Il y avait des chevaux racés, réunis en élégant attelage ou de vieilles haridelles tirant des fardeaux, n'en pouvant mais, crevant de la morve entre les bras du chariot. Repas, cuir, crin, boyaux, force physique : le parisien ne vivait pas sans l'animal. Il adoptait pour son plaisir bichons et perroquets, chargeait la mule et livrait le cochon gras, au marché, sur pattes. Alors, les escarpins des riches pataugeaient avec les galoches des pauvres, dans la crotte, l'urine et le sang mêlés aux excréments de l'humain en une boue puante, engorgeant le ruisseau des rues.

Mais la mode vint à la révolution et à l’hygiénique. On n'avait jamais supporté l'ordure délétère des villes, les immondices à même la voie publique répandant leurs miasmes méphitiques, propageant les épidémies. La sensibilité fit des ravages. On détestait la souffrance des animaux. Peu à peu, on sépara les parisiens des autres bêtes, qui leur ressemblent trop pour qu'ils puissent tolérer longtemps leurs odeurs, leurs humeurs, leurs douleurs et leur révoltante, bien que comique, impudicité. Pour épargner la délicatesse du bourgeois, on inventa le camion réfrigéré et l'on bâtit des abattoirs loin des yeux des âmes sensibles, au féroce appétit. On débaptisa la rue du Marché-aux-porcs et on lui donna le nom plus romantique d'un fleuve de Pologne. On multiplia interdictions et règlements sur les animaux vivants comme sur les morts. Enfin, les halles quittèrent Paris, la volaille à plumes se replia à la campagne, nul coq urbain n'annonça plus l'aurore ; même les tigres désertèrent les moteurs. Des lions de pierre crachèrent de l'eau.

Aujourd'hui, les petits parigots dessinent des poissons rectangulairement normés, à la peau de chapelure. Les pigeons partout traqués se prennent les ailes dans les grillages, s'abreuvent au hasard des caniveaux, se nourrissent des déchets des hommes. Les chats ne connaissent plus la souris : stérilisés, ils deviennent obèses sur l'imprimé panthère du canapé. Quant aux chiens, ils ne vaguent plus comme avant, sous peine de fourrière ou de mourir aussitôt, écrasés sous les pneus d'un quatre-quatre au pare-chocs anti-buffles. Tout est cages, laisses, muselières, piques, filets, animaleries et carnets de vaccination. Il faudrait, comme à Tbilissi, une inondation providentielle pour que les animaux du zoo, enfin libérés par le déluge, investissent la ville qui n'a plus rien d'une arche de Noé. Seuls semblent subsister à leur aise, bien cachés, le cafard qui se satisfait d'un rien et le rat qui mange de tout.

Mais quand la nuit se décolore, les amants de Paris, refusant l'aube de leur séparation, ne distinguent pas les chants du rossignol et de l'alouette.

Texte écrit par Juliette Keating, le 10 juillet 2015

Illustration 2
Rue Saint-Antoine -Paris- 1979 © Gilles Walusinski
Illustration 3
Rue Guynemer - 2014 © Gilles Walusinski
Illustration 4
Rat plat... © Gilles Walusinski
Illustration 5
Plac Saint Germain des Prés - 2014 © Gilles Walusinski
Illustration 6
Hôtel de Sully - 2014 © Gilles Walusinski
Illustration 7
Fête de Ganesh - 1 septembre 2014 © Gilles Walusinski
Illustration 8
Avenue de Versailles -2014 © Gilles Walusinski
Illustration 9
Place de la République - 2014 © Gilles Walusinski
Illustration 10
Ézé d'Aksoum - 2010 © Gilles Walusinski
Illustration 11
Jardin des Plantes - 2014 © Gilles Walusinski
Illustration 12
Pont Mirabeau © Gilles Walusinski
Illustration 13
Avenue de Versailles -2014 © Gilles Walusinski
Illustration 14
© Gilles Walusinski
Illustration 15
Avenue Daumesnil © Gilles Walusinski
Illustration 16
Rue des Francs Bourgeois - 2014 © Gilles Walusinski
Illustration 17
Place de Valois - 2014 © Gilles Walusinski
Illustration 18
Paris 11 ème © Gilles Walusinski
Illustration 19
Marchand de poison - La Chapelle © Gilles Walusinski
Illustration 20
Place des Vosges - 2014 © Gilles Walusinski
Illustration 21
Rue du Bac © Gilles Walusinski
Illustration 22
Métro, ligne 9 - Paris 2015 © Gilles Walusinski
Illustration 23
Rue du Bac © Gilles Walusinski
Illustration 24
Place de la Concorde - 2015 © Gilles Walusinski
Illustration 25
Paris 18 © Gilles Walusinski
Illustration 26
Tuileries - 2015 © Gilles Walusinski

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