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Billet de blog 10 août 2025

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Disparition de Gilles Rotillon, militant de l’escalade et de l’alpinisme populaires

Retour sur la vie et l’engagement de Gilles Rotillon, grimpeur et alpiniste, infatigable militant de la FSGT, théoricien et acteur de l’émancipation par le sport.

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Le 11 juillet 2025, Gilles Rotillon nous a quittés, emporté brutalement par un accident vasculaire cérébral. Quelques semaines plus tôt, il participait à l’Université du sport populaire, une initiative ambitieuse, construite avec le soutien, entre autres, de la Confédération générale du travail (CGT) et de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), entre les murs de la Sorbonne. Il n’y avait, bien sûr, rien d’étonnant à y retrouver Gilles Rotillon, tant l’engagement militant a toujours été au cœur des réflexions et des pratiques de cet acteur fondamental de l’escalade populaire.

Gilles Rotillon n’était certes pas aussi connu que nombre de grands alpinistes et grimpeurs qui ont bâti leur carrière sous les projecteurs des médias, mais il a joué un rôle déterminant dans la démocratisation de l’alpinisme et, surtout, de l’escalade. C’est au sein de la FSGT, cette fédération sportive née en 1934, portée par le sursaut antifasciste des années 1930, que Gilles Rotillon a œuvré, patiemment et avec une détermination sans faille, à rendre la verticalité accessible aux classes populaires. 

Si Gilles Rotillon a beaucoup pratiqué l’alpinisme avant que des problèmes de santé ne l’obligent à se tenir loin de la haute altitude, il a toujours nourri des sentiments ambivalents à son égard. Le livre L’Alpinisme ? Laisse béton !, qu’il écrit avec Louis Louvel et publie en 1985 aux Éditions du Scarabée, traduit bien cette relation ambiguë : partant des efforts historiques de la FSGT pour penser et construire un alpinisme travailliste, les deux auteurs en arrivent à la conclusion que ce sport (le mot lui-même en ferait hurler quelques-uns !) est indécrottablement un privilège de classe, bourgeois et intellectuel, et qu’il serait presque vain de continuer à se battre pour l’ouvrir aux classes populaires.

Un jugement couperet, qui les conduit à penser que l’escalade doit avoir toutes les attentions des militants du sport populaire. Une orientation « radicale », défendue par la FSGT, qui, dans les années 1980, délaisse la haute montagne, qu’elle avait pourtant tant investie, pour se consacrer au développement de l’escalade sportive en milieu urbain. 

Illustration 1
Face sud de la Meije, vallon des Étançons, massif des Écrins.

Inviter la montagne en ville

Pour Gilles Rotillon, qui s’impose vite comme un théoricien majeur de l’escalade, cette démocratisation supposait, en effet, un préalable : réduire, à défaut d’éliminer, le risque inhérent à la pratique de ce sport. L’équipement des voies pour réduire l’engagement, la formation à l’autonomie pour s’émanciper des guides et autres moniteurs et le développement de l’escalade sur bloc et sur murs artificiels étaient autant de moyens de démocratiser un sport qui n’avait que trop souffert de l’image de l’alpiniste héroïque bravant la mort et mille dangers.

Ce n’est donc pas pour rien si, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, Gilles Rotillon fut de ceux qui développèrent, en France, le concept de salle artificielle d’escalade, avec bien d’autres militants du sport populaire, comme le professeur d’EPS Yves Renoux, Louis Louvel et l’architecte Jean-Marc Blanche. Apparus à la Fête de L’Humanité (dès 1955 !), puis dans des écoles et des centres de loisirs, ces murs et ces blocs permirent à l’escalade de sortir des falaises… ou d’inviter la montagne au cœur des villes et des quartiers populaires. 

Quelque quarante ans plus tard, la marchandisation a fait son œuvre, avec l’apparition tous azimuts de salles artificielles privées aux tarifs tout sauf « populaires », dans lesquelles les salariés font souvent face à des conditions de travail difficiles et à une déqualification de leurs métiers. Une « prédation » qui, bien sûr, n’a pas échappé à Gilles Rotillon, qui tenait toutefois à préciser : « Ce ne sont pas les bobos qui ont choisi l’escalade par distinction en cherchant à se l’approprier, mais la recherche de rentabilité du capital qui a vu chez les bobos déjà pratiquants un marché potentiel qu’il n’y avait qu’à essayer de développer » (« L’escalade est-elle un sport de bobos ? », article publié sur le blog Mediapart de Gilles Rotillon).

Reste que des dizaines de clubs FSGT continuent de proposer une approche accessible de l’escalade et de l’alpinisme (car la vieille fédération a fini par y revenir !), tant d’un point de vue financier que géographique et sportif. Une preuve, parmi d’autres, que l’engagement de Gilles Rotillon n’a pas été vain. 

Au-delà du béton des villes

Mais cet engagement ne s’est pas limité au béton des villes ! Et on retrouve la pensée et l’œuvre de Gilles Rotillon dans des projets d’escalade en plein air, avec toujours comme boussole cette démocratisation par la réduction du risque. L’un des plus ambitieux, et toujours bien vivant, est sans doute l’école d’escalade d’Hauteroche, dans le Dijonnais : une falaise de 40 mètres de haut parcourue par une centaine de voies, de tous les niveaux, et bien équipées, un endroit idéal où s’émanciper des premiers de cordée en apprenant à grimper en tête. Une école de l’autonomie en plein air, en quelque sorte.

Parallèlement à son militantisme sportif, Gilles Rotillon était économiste de l’environnement, professeur émérite à l’université, et, là aussi, militant, notamment à travers le collectif Les Économistes atterrés, dont il était membre.

Il y a quelques mois, dans une heureuse (et énième !) convergence entre sa passion pour l’escalade et sa formation d’économiste, il s’exprimait en soutien à des salariés de salles d’escalade privées engagés dans un mouvement de grève avec la CGT, s’attachant à expliquer pourquoi et comment ces mobilisations avaient pu émerger. Militant, engagé et pédagogue, jusqu’au bout. 

Guillaume Goutte
(Article initialement publié sur Alpine Mag.)

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