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Billet de blog 27 octobre 2023

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Cristof Yvoré, la peinture intérieure

Pour sa troisième proposition à la Verrière, Joël Riff convoque la peinture de Cristof Yvoré, montrant vingt ans de travail en treize tableaux alignés de façon chronologique sur le long mur du fond. Intitulée « Coi », l’exposition souligne la pérennité de son œuvre en déployant une communauté d’artistes dont les toiles sont accueillies par le mobilier créé spécialement par le duo belge Noir Métal.

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Illustration 1
Vue de l'exposition de Cristof Yvoré, Coi, La Verrière, Bruxelles, 2023 © Isabelle Arthuis/ Fondation d'entreprise Hermès

Il y a une évidence, presque une nécessité, à montrer la peinture encore trop peu connue de Cristof Yvoré (1967-2013), et ce malgré la belle traversée de son œuvre qu’avaient proposée les Frac Sud et Auvergne à l’été et à l’automne 2019[1]. Cet élan tient sans doute dans le sentiment de permanence qu’elle apporte. À Bruxelles, Joël Riff, désormais en charge de la programmation de la Verrière, transforme l’espace d’exposition de la Fondation d’entreprise Hermès en foyer propice aux convergences en proposant ce qu’il appelle des « solo augmentés », c’est-à-dire des expositions personnelles dont les œuvres entrent en dialogue avec celles d’autres plasticiens, par affinités, par filiation ou par inspiration. Après Marion Verboom, qui ouvrait magistralement la programmation de Joël Riff par une célébration plurielle de la sculpture, et Anne-Marie Laureys dont la pratique vient bouleverser le travail séculaire de la poterie, c’est donc la peinture qui est célébrée dans une exposition posthume. Dix ans après sa mort, Cristof Yvoré est exposé pour la première fois à Bruxelles.

Illustration 2
Vue de l'exposition de Cristof Yvoré, Coi, La Verrière, Bruxelles, 2023 © Isabelle Arthuis/ Fondation d'entreprise Hermès

La Zeno X Gallery à Anvers, qui représente le peintre, s’est impliquée dans le projet en mettant à disposition une vingtaine d’œuvres de l’artiste. L’exercice de Joël Riff a plutôt été d’en enlever pour ne retenir que treize tableaux qui retracent vingt ans de création picturale. Du fait de leur nombre restreint, chacun est emblématique du travail de l’artiste. Tous sont iconiques. Ensembles, ils forment un concentré de son œuvre, sa substantifique moelle. Alignés dans l’ordre chronologique de leur création le long du grand mur de la Verrière, chacun est séparé de l’autre par quinze centimètres, ni plus ni moins. Cristof Yvoré fait de la peinture. Il est dans le faire, dans le geste de la peinture. Ses compositions « invoquent une géométrie élémentaire. Il s’agit de carrés, sphères ou cylindres, plutôt que de fenêtres, bouquets ou bougies[2] » rappelle Joël Riff dans le livret qui accompagne l’exposition. La banalité déconcertante des sujets – fleurs, natures mortes, coin de table – invite le regardeur à chercher ailleurs la raison d’être de la peinture. Dans son atelier marseillais, l’artiste s’affranchit de tout en créant un monde clos, sans possibilité d’ailleurs. Sa peinture vient de l’intérieur. « Son atelier était toujours ouvert sur la rue où s’échappaient les odeurs nocives de térébenthine[3] » indique Joël Riff. « Au contraire de cet ancrage social, il ne faisait pas partie de ce que l’on appelle le monde de l’art français. Son œuvre circula dans la confidentialité, notoire artiste d’artistes. C’est ainsi, longtemps, qu’on rencontrait sa production par la confidence » poursuit-il.

Illustration 3
Vue de l'exposition de Cristof Yvoré, Coi, La Verrière, Bruxelles, 2023 © Isabelle Arthuis/ Fondation d'entreprise Hermès

Cristof Yvoré est le seul à occuper le grand mur de la Verrière, tenant la position centrale au sein d’une communauté d’artistes réunie pour l’occasion, en confrontant ses œuvres avec d’autres, chacune réalisée par un peintre différent. Cette mise en regard est rendue possible à la faveur de l’ambitieuse commande, passée spécifiquement pour l’exposition, de meubles métalliques amovibles qui servent ici de cimaises autorisant le vis-à-vis pictural. Imaginés par le duo belge basé à Bruxelles Noir Métal – ce qui permet d’ancrer le projet dans la ville –, ils reconfigurent complètement l’espace de la Verrière. Ainsi, passée l’entrée, le visiteur est stoppé par une cloison métallique suffisamment imposante pour obstruer la vue de la salle que l’on embrasse habituellement d’un seul regard. Il forme une sorte d’antichambre, un sas qui permet la transition avec l’extérieur.

Illustration 4
Vue de l'exposition de Cristof Yvoré, Coi, La Verrière, Bruxelles, 2023 © Isabelle Arthuis/ Fondation d'entreprise Hermès

S’il s’appuie sur des concordances formelles et des affinités de pensée pour construire cette mise en dialogue, Joël Riff s’est également entretenu avec la compagne de Cristof Yvoré, la peintre Valérie Bourdel, et son galeriste, Frank Demaegd. Ainsi, Raoul De Keyser (1930-2012) et Eugène Leroy (1910-2000), admirés par Yvoré, sont-ils présents par confidences. Le premier a poursuivi une ligne personnelle à la marge des grands courants qui ont façonné l’histoire de l’art contemporain, le rapprochant du second dont « la Neige » (1970) est présentée sur un chevalet en métal. Composée de plaques montées sur châssis, elle se révèle dans l’épaisseur de la matière picturale. Loïc Raguénès (1968-2022) et Cristof Yvoré étaient liés par une forte amitié. L’exposition bruxelloise réunit enfin les deux peintres qui curieusement n’ont jamais exposé ensemble de leur vivant. Raguénès peint a tempera, comme Fra Angelico. Le rideau rouge de sa toile « Oh les beaux jours » (2018) n’est qu’un prétexte pour explorer « l’expression même de la peinture[4] » selon la formule d’Éric Troncy.

Illustration 5
Vue de l'exposition de Cristof Yvoré, Coi, Mireille Blanc, Palette, huile sur toile, 2023, La Verrière, Bruxelles, 2023 © Isabelle Arthuis/ Fondation d'entreprise Hermès

Le choix de Mireille Blanc s’est imposé telle une certitude. Les deux artistes partagent une passion commune pour la matière huileuse, la facture poisseuse. Dans son approche, c’est la rencontre avec l’objet qui est déterminante. Celui-ci sera photographié puis étudié longuement à l’atelier avant de devenir peinture. Pour l’exposition, elle réalise « Palette » (2023), qui rend hommage à Yvoré. Œuvre de transition dans le travail de Milène Sanchez, « Jusqu’au cœur » (2023) est une toile assez violente. L’artiste utilise l’image comme matière première dans son processus de création, à l’origine des captures d'écran de films ou de photographies prises ou trouvées. « Bien que j'utilise des images pour produire une peinture, il ne s'agit pas de montrer ce que je vois, mais plutôt ce que je ne vois pas au début. Quelque chose qui serait impossible à dire ou à voir » explique-t-elle.

Illustration 6
Vue de l'exposition de Cristof Yvoré, Coi, Milène Sanchez, Jusqu'au coeur, huile sur toile, 2023, La Verrière, Bruxelles, 2023 © Isabelle Arthuis/ Fondation d'entreprise Hermès

La très grande table de bakélite renvoie à la peinture. Elle divise l’espace en deux, l’un sombre, l’autre clair. Comment est-ce qu’on présente la peinture ? Comment la montre-t-on ? « Coi », mot oublié composé de trois simples lettres que plus personne n’emploie ni n’écrit, désignait jusqu’au XIXème siècle, le genre pictural de la nature morte. Le terme anglais de « Still life » a longtemps été traduit par « nature coite » invoquant le silence et la tranquillité. Mais son immobilité a été comprise comme morte. Pourtant, c’est un silence existentiel, entre quiétude et stupeur, qu’expriment les toiles dépouillées de Cristof Yvoré. Dans cette rétrospective en treize tableaux, regarder la peinture en tant qu’objet, en comprendre la confection, parait essentiel. « Nous n’avons ici à faire qu’à ces délectables bouts. De purs morceaux, irréductibles[5] » écrit Joël Riff. « Et que l’on étudie les contours nobles d’une scène héroïque ou religieuse, c’est toujours de la peinture qu’on regarde, de la matière colorée étalée sur une surface ». À la Verrière, « Coi » invite à l’expérience de la permanence.

Illustration 7
Vue de l'exposition de Cristof Yvoré, Coi, Loïc Raguénès, Oh les beaux jours, tempera sur toile, 2018, La Verrière, Bruxelles, 2023 © Isabelle Arthuis/ Fondation d'entreprise Hermès

[1] Guillaume Lasserre, « Cristof Yvoré. Ce que peindre veut dire », Un certain regard sur la culture, 25 septembre 2019. https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog/080919/cristof-yvore-ce-que-peindre-veut-dire

[2] Joël Riff, « Coi », livret de l’exposition éponyme à la Verrière-Fondation Hermès, Bruxelles, 2023, p. 50.

[3] Ibid.

[4] Éric Troncy, « Le point de vue d'Eric Troncy : les monochromes océans de Loïc Raguénès », Numéro, juillet 2018

[5] Joël Riff, op. cit.

Illustration 8
Vue de l'exposition de Cristof Yvoré, Coi, La Verrière, Bruxelles, 2023 © Isabelle Arthuis/ Fondation d'entreprise Hermès

« Cristof Yvoré. Coi » - Commissariat de Joël Riff, en charge de la programmation artistique de La Verrière, Fondation d'entreprise Hermès, Bruxelles.

Du 7 septembre au 4 novembre 2023.

Du mardi au samedi de 12h à 18h, entrée libre, visite commentée chaque samedi à 15h (sur réservation).

La Verrière
Boulevard de Waterloo, 50
B - 1000 BRUXELLES

Illustration 9
Vue de l'exposition de Cristof Yvoré, Coi, Eugène Leroy, La neige, 1970, La Verrière, Bruxelles, 2023 © Isabelle Arthuis/ Fondation d'entreprise Hermès

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