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Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

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Billet de blog 2 août 2023

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En Suisse, des récits à la place de la réalité

En Suisse, une officine de la Société d'utilité publique défend l'idée que « les récits créent la réalité ». Elle a financé et publié une étude très discutable sur les récits politiques dominants. À l'heure des fausses nouvelles, cette complaisance à l'égard des mythes et du relativisme dénigre l'histoire, les sciences sociales et la préservation des droits humains.

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Nous ne l'avions pas forcément vu venir. Mais, en Suisse, une officine de la Société suisse d'utilité publique, le "Think + Do Tank Pro Futuris" (sic), défend l'idée que "les récits créent la réalité". Elle a financé et publié une étude juste quelques jours avant la fête nationale suisse du 1er Août, qui se réfère elle-même à une narration mythique inventée que d'aucuns voudraient transformer en réalité. Or, cette étude sur les récits politiques dominants est elle-même très discutable, voire douteuse. Elle examine sans la moindre distance critique des récits inventés qu'on voudrait nous faire prendre pour la réalité. Mais c'est surtout, en amont, le projet sur les "nouveaux narratifs" qui interroge, même s'il est officiellement présenté comme cherchant à renforcer la démocratie. À l'heure des fausses nouvelles et des vérités alternatives, cette complaisance manifestée à l'égard des mythes nationaux et du relativisme, et cette idée qu'il faudrait leur répondre par d'autres mythes et "narratifs" inventés de toutes pièces, dénigre en premier lieu le travail de l'histoire et des sciences sociales, les faits qu'elles permettent d'établir, la dimension réflexive qu'elles rendent possible. Or, en termes de renforcement de la démocratie, la préservation des droits humains forcément fragilisée par cet air du temps relativiste, certains diraient post-moderne, qui permet de dire tout et n'importe quoi, et donc de faire tout et n'importe quoi.

Examinons tout d'abord la déclaration d'intention de ce projet publiée en 2022.

Illustration 1
Pro Futuris

L'objectif énoncé au départ est bien sûr non seulement audible, mais se comprend bien de la part de milieux intéressés à promouvoir le dialogue et la concordance au sein de la société suisse avec une posture clairement critique à l'égard des discours de haine de l'extrême droite.

Les partis devraient avoir pour fonction principale de développer des scénarios pour le futur et de définir leurs positions afin de guider leur électorat. Ceux qui souhaitent avoir du succès devraient conter leurs exigences politiques dans des récits crédibles, voire nouveaux, et esquisser une Suisse où la protection du climat ou le travail care, par exemple, formeraient des éléments centraux. Or, les partis suisses n’osent guère s’y mettre.

Des images de soi profondément ancrées et des narratifs dominants pas remis en question font que, dans l’esprit des politiciens, des changements majeurs ou même un changement de paradigme semblent impossibles. Les idées et les propositions de solutions allant à l’encontre des récits traditionnels deviennent quasi «impensables» et sont dès lors hors de portée. Ces dernières années, l’électorat n’a souvent eu le choix qu’entre une vision mythique et rétrograde de l’histoire, associée à une image du présent qui attise les peurs, et une politique matérielle à court terme pilotée par les titulaires du poste, sans raconter d’histoires et ni véhiculer d’image d’avenir. La campagne de votation sur l’initiative contre l’immigration de masse de 2014 [qui a été l'un des récents et pernicieux succès de l'extrême droite xénophobe incarnée en Suisse par ladite Union Démocratique du Centre (sic)] le démontre: même les opposants ont repris le récit du stress lié à la densité démographique. Nous manquons de narratifs nouveaux et tournés vers l’avenir.

Il est ensuite souligné que tous les partis politiques ont besoin de "narratifs", de récits entre passé, présent et avenir susceptibles de promouvoir les objectifs et les valeurs qu'ils défendent.

Un narratif politique a pour but d’intégrer les objectifs et les valeurs politiques du présent dans un récit faisant le lien entre un passé connu et un avenir auquel on aspire. Ainsi, le «rêve américain» est-il l’incarnation de la réussite économique fondée sur le respect de la liberté individuelle. Aujourd’hui, il est communément admis que la politique est tant un «lieu d’histoires» qu’un «lieu d’arguments». Ce sont surtout les histoires, les narratifs, qui demeurent en mémoire. Dès lors, il est important de connaître les caractéristiques de ces récits, leur impact et quels éléments influencent leur succès. Si l’on dit souvent que l’ère des grands récits idéologiques est révolue, les principales décisions politiques restent prises sur la base de narratifs (dominants). Pour travailler au moyen de narratifs, il faut tout d’abord que les partis politiques et les acteurs perçoivent et prennent au sérieux ce type de récits comme une forme pertinente de pensée et de communication.

Il apparaît alors que les narratifs en question sont surtout des mythes politiques et nationaux, posés là, mais qu'il n'est apparemment pas question de déconstruire.

Il est essentiel de reconnaître le rôle central des mythes politiques et des récits nationaux en politique. En effet, la manière dont nous racontons les histoires du passé façonne notre vision du monde et, par conséquent, nos attentes face aux lendemains. Parallèlement, elles limitent notre horizon futur. Un mythe politique se fonde sur un sujet connu du grand public en établissant un lien avec le présent. Il s’agit d’un récit chargé d’émotions, qui tisse un fil rouge particulier dans la réalité historique. En Suisse, il est évident que tous les narratifs ayant trait au serment du Grütli, au Pacte fédéral, à Guillaume Tell, à Winkelried ou à Marignan font partie de cette catégorie. Pareils mythes politiques forgent un sentiment d’appartenance.

Et puis, la lecture se fait nettement plus pénible.

Au sein des sociétés pluralistes, les débats sur l’interprétation de l’histoire se déroulent principalement dans les cénacles politiques et les médias. Les narratifs puisent dans le passé, source d’inspiration, pour cadrer politiquement les problématiques et les questionnements actuels. Un récit national passe à la postérité en fonction de la vision prospective qu’il fait miroiter. À partir de là, on peut par exemple prétendre que quelque chose d’acquis est menacé, doit être sauvé ou rétabli.

En fin de compte, les discussions et les luttes politiques procèdent donc de "narratifs" inscrits dans passé, présent et avenir qu'il faut savoir créer, maîtriser débusquer, faire prévaloir... mais en négligeant complètement ce que l'histoire et les sciences sociales peuvent dire de scientifiquement fondé sur ce passé et ce présent.

En bref: si l’on veut obtenir des changements politiques, on ne peut pas s’épargner de modifier les filtres de perception historique. Ceux-ci n’agissent pas seulement sur l’image du passé, mais aussi sur les futurs qui deviennent «concevables». Toutefois, un seul acteur (ou actrice) ne peut pas modifier, construire et établir un narratif si celui-ci ne trouve pas d’écho dans la société. Un (nouveau) narratif doit être repris, réutilisé et perfectionné par d’autres acteurs. Il faut que différents partenaires s’entendent sur les modalités du discours.

À chaque époque, des cultures mémorielles dominantes imposent des grilles d’interprétation. Il s’agit de représentations collectives et de grands récits porteurs de sens, profondément ancrés dans le patrimoine mémoriel de la population. Cependant, comme certaines contre-cultures du souvenir peuvent passer au premier plan, le potentiel de changement existe toujours. Reste que cette dimension doit être repérée, puis utilisée efficacement.

Dans ce texte un peu effrayant, même s'il vise, rappelons-le, à contrer les "narratifs" de l'extrême droite, il est donc question de "modifier les filtres historiques"; il y a donc des histoires (stories), réelles ou inventées, mais il n'y a pas du tout d'histoire (history), pas de travail scientifique pour interroger le passé selon une posture d'établissement des faits à partir de traces, et en fin de compte pas de quête de vérité. Il y a de la mémoire dominante dans chaque époque, mais elle peut se transformer au fur et à mesure, au gré des vents, dans un monde où finalement, quels que soient les faits, tout se vaudrait, le pire comme le meilleur, pour forger notre rapport au passé au service de causes du présent. Comme une sorte de mésusage permanent du passé.

Une enquête très discutable

À partir de ces considérants,  le "Think + Do Tank Pro Futuris" (sic) a commandé à des politistes une étude intitulée Des histoires sur la patrie: nouvelle étude sur les «narratifs nationaux» pour examiner la façon dont les acteurs politiques les utilisent. Sa présentation intégrale et son résumé ne sont disponibles qu'en allemand. Mais une synthèse est disponible en français. Et elle est elle aussi assez consternante.

Illustration 2
Futuris, Société suisse d'utilité publique

L'étude "s’est penchée sur la question de savoir quels acteurs politiques se servent de quels narratifs, c’est-à-dire de quels récits traditionnels sur la Suisse. 14'000 écrits ont été analysés en fonction de l’occurrence de certains mots-clés." Elle a ainsi abouti, non sans enfoncer des portes ouvertes, mais en parlant étrangement, nous y reviendrons, de droite et pas d'extrême droite, à la conclusion suivante: "les partis de droite sont dominants dans l’utilisation des récits nationaux. La Suisse, pays de défense et de liberté, est souvent mise en avant".

Elle a traité pour ce faire un corpus comprenant des "documents d’acteurs politiques (discours, communiqués de presse, prises de position ou encore brochures des explications du Conseil fédéral)".

Parmi les groupes d’acteurs étudiés figuraient les partis de droite, les partis du centre, les partis de gauche, les associations économiques, les syndicats / ONG ainsi que des organisations interpartis comme le Conseil fédéral.

S'agissant de discussions et de luttes politiques, et même si elles se situent en majeure partie dans ce cadre institutionnel national, il est quand même très réducteur, en ce terrible début de XXIe siècle confronté à tant de crises majeures, de prétendre confiner et circonscrire cette problématique dans le seul cadre de récits nationaux. La propagande d'extrême droite fondée sur les mythes nationaux et le repli sur soi est en réalité une tromperie mise en évidence par les aspects les plus sombres de l'actualité internationale. Pour ne prendre que quelques exemples, la négation du dérèglement climatique et de la dégradation majeure de la biodiversité, l'occultation des crimes de masse des fascismes et de leur mémoire, la complaisance à l'égard de régimes illibéraux ou dictatoriaux, le racisme et la stigmatisation des migrants, le sexisme et l'homophobie, ou encore le négationnisme sur le Covid-19 et les postures antivax, aucune de ces thématiques ne peut s'inscrire dans un seul pays et toutes sont portées par l'extrême droite dans d'autres pays et dans une perspective plurinationale. Pire encore, la multiplication des fausses nouvelles et vérités alternatives, amplifiée par des réseaux sociaux de masse, n'a évidemment rien non plus de seulement national.

Alors pourquoi cette étude porte-t-elle uniquement sur des récits nationaux complaisants, mythiques, dénués de toute perspective critique? Et tout d'abord, et surtout, pourquoi va-t-elle même jusqu'à occulter l'existence de l'extrême droite?

Sa grille d'analyse classe en effet les appartenances politiques des auteurs et autrices de tous les éléments du corpus en trois catégories qui sont plus que contestables.

Illustration 3

"Partis du Centre: Parti Vert-Libéral, Parti du Centre, Parti Libéral-Radical, Parti Bourgeois Démocratique [qui a en réalité fusionné dans le Parti du Centre avec le Parti Démocrate-Chrétien], Parti Évangélique, Parti Chrétien-Social, Alliance des Indépendants.

Partis de Droite: Union Démocratique du Centre, Ligue des Tessinois, Mouvement Citoyen Genevois, Démocrates Suisses, Union Démocratique Fédérale.

Partis de Gauche: Parti Socialiste, Parti des Verts, Parti du Travail, Liste Alternative."

En réalité, le bloc des partis de gauche ne pose pas de problème; celui dit des partis du centre désigne soit un bloc de droite, soit de préférence deux blocs distincts, l'un de centre-droit et l'autre clairement de droite, avec le Parti Libéral-Radical; enfin, et surtout, l'intitulé de "partis de droite" réservé au dernier bloc qui comprend tous les partis d'extrême droite, et en premier lieu l'UDC, est parfaitement invraisemblable et relève d'une tromperie manifeste. Il rappelle cette vérité alternative médiatique qui prévaut en Italie où la coalition gouvernementale en place, comprenant des libéraux conservateurs, des souverainistes d'extrême droite et des néofascistes est qualifiée de centre-droit dans les médias du pays, contrairement à ce que l'on peut observer en dehors de l'Italie où la réalité de l'histoire et des postures des Fratelli d'Italia est en général beaucoup moins occultée.

Quant aux récits nationaux qui sont recherchés, examinés et évalués dans cette recherche, il y en a six et ils sont formulés de la manière suivante:

«La Suisse est un pays épris de liberté et de défense, qui subit des menaces de l’intérieur et de l’extérieur.»
«L’indépendance, la souveraineté et la stabilité sont les garants de la prospérité économique de la Suisse.»
«La Suisse est un pays à forte tradition humanitaire, où l’on s’occupe de tout le monde.»
«La démocratie directe, le fédéralisme et la neutralité sont le modèle de réussite politique de la Suisse.»
«La Suisse est une nation multiculturelle fondée sur la volonté politique.»
«Les Suisses sont un peuple alpin.»

Ne s'intéressant ni à la recherche des faits et de leur vérité, ni à l'histoire de la Suisse proprement dite, l'enquête n'évoque donc pas d'autres affirmations ou questions sur lesquelles pourraient se fonder un travail d'histoire, mais aussi une narration politique, comme par exemple l'idée que "la Suisse doive sa prospérité à l'importance de sa place financière et de son économie particulièrement externalisée", ou l'idée que "la Suisse se soit construite grâce au travail de populations immigrées qui n'ont pas toujours été bien traitées", ou encore l'idée que "la politique internationale de la Suisse ait constamment cherché à valoriser son image humanitaire contrastant avec la nature problématique de certaines de ses activités économiques", etc.

En fin de compte, cette enquête sur les "narratifs nationaux", outre le fait qu'il est regrettable qu'elle se restreigne à cette seule dimension nationale, est elle-même fondée sur des conceptions et des récits inventés, elle-même marquée par cette vérité alternative et cette manipulation consistant à prétendre qu'il n'y aurait pas de partis d'extrême-droite en Suisse, elle-même inscrite dans le pernicieux relativisme qui émane d'emblée de la formulation générale de ce projet, quand tout vaut tout, tout est mis sur le même plan, tout se discute de la même manière.

La conclusion de l'étude telle qu'elle est synthétisée dans la presse se résume finalement au constat que "l'UDC parvient à faire passer ses messages mieux que les autres partis". Mais cela relève en réalité d'une évolution historique qui, encore une fois, dépasse les frontières de la Suisse, et concerne la montée des extrêmes droites dans un monde en crise dans lequel les horizons d'attente sont brouillés.

En outre, le même article de presse donne l'occasion au responsable de ce projet d'ajouter la précision suivante :

«Nous n’avons analysé que l’offre politique, et non pas son impact sur l’électorat. La force électorale de l’UDC et ses moyens financiers n’ont donc joué aucun rôle dans ce cadre.»

Or, cette question des moyens financiers est décisive puisque ceux de l'UDC seront deux à quatre fois supérieurs à ceux des autres partis pour les élections fédérales de l'automne 2023.

Et c'est bien à partir de ces moyens financiers que l'UDC développe depuis des années une propagande à la fois mensongère et sinistre, avec depuis longtemps ses petits moutons noirs et ses slogans de haine sans cesse répétés.

En outre, la question se pose aujourd'hui de savoir ce qu'il en est de l'inquiétant récit, du funeste "narratif", qui mène tendanciellement, dans de nombreux pays, Suisse comprise, la droite libérale traditionnelle à envisager de s'allier ou de collaborer avec l'extrême droite, quitte même à reproduire ses "narratifs", brisant ainsi les digues démocratiques et cordons sanitaires qui ont prévalu jusque-là dans les pays se référant à la démocratie libérale.

Des perspectives inquiétantes

Affirmer que, quels qu'ils soient, "les récits créent la réalité", en particulier quand ils concernent le passé, le présent et l'avenir, et s'en servir pour stimuler un débat sur les luttes politiques contemporaines, relève en réalité d'une logique particulièrement dangereuse. La lutte pour l'établissement de la vérité, et pour la faire reconnaître, est en effet au cœur de la perspective démocratique et de la défense des droits humains.

Un rapport au passé qui tournerait le dos au travail de l'histoire et à cette exigence de vérité, c'est une porte ouverte aux mensonges, aux manipulations, aux dénis, et aussi au renforcement de la souffrance des victimes des traumatismes du passé.

Tous les "narratifs" du passé pour le présent et l'avenir ne se valent pas. Ils ne peuvent pas être tous mis sur le même plan. Ils ne peuvent pas, ils ne doivent pas, s'extraire du travail de l'histoire, de la quête de vérité, de la nécessité de la reconnaissance et de l'inclusion.

Cela avait été avéré, et le travail d'histoire y a joué tout son rôle, au moment de l'Affaire Dreyfus où l'affirmation de la vérité s'est imposée face à un mensonge militaire d'État pour sauver et réhabiliter un innocent.

Cela a été avéré, et le demeure, d'abord et en premier lieu, face aux récits des faussaires négationnistes qui prétendent nier l'existence des chambres à gaz dans la destruction des Juifs d'Europe par les nazis.

Cela a été avéré, et le demeure, pour toutes les tentatives de négation des génocides dûment et systématiquement organisées et menées par leurs auteurs ;

Cela vaut encore pour toutes les stratégies engagées notamment par l'UDC pour mettre à mal en Suisse les travaux critiques de la Commission internationale d'experts Suisse-Seconde Guerre mondiale présidée par Jean-François Bergier sur l'attitude des autorités et élites économiques helvétiques vis-à-vis du national-socialisme alors que le récit mythique du Réduit national et de la seule défense armée du pays ne tenait plus la route juste après la guerre froide;

Dans une actualité plus immédiate, cela vaut aussi, en Italie, pour les familles des victimes de la tragédie d'Ustica du 27 juin 1980 confrontées à d'innombrables dépistages et mensonges militaires; ou pour les familles des victimes de l'attentat fasciste de Bologne du 2 août 1980 qui se retrouvent confrontées à de nouveaux mensonges de l'extrême droite prétendant envers et contre toutes les enquêtes effectuées qu'il se serait agi d'un attentat palestinien.

Alors, non, la complexité du travail de l'histoire ne peut pas consister à renoncer à la perspective de l'exigence de la vérité.

Alors non, tous les récits du passé ne se valent pas. Et l'histoire, même au service des meilleures causes, ne saurait se résigner, quels qu'ils soient,  à des accommodements narratifs détachés des traces et des connaissances scientifiques sur le passé.

Mais laissons la conclusion à une historienne, Elisa Signori, qui a tout récemment mis en évidence les manipulations de l'histoire par l'extrême droite italienne dans un article intitulé "L'usage politique de l'histoire, le gouvernement Meloni et Mithridate":

Le nom de mithridatisation est donné à cette stratégie médicale qui, à l'instar du roi du Pont, Mithridate, consiste à ingérer systématiquement des doses croissantes de poison afin de s'immuniser. On en a parlé à propos de l'antisémitisme fasciste, qui a été inoculé à doses croissantes dans la vie publique italienne, obtenant un acquiescement progressif de l'opinion publique jusqu'à l'entrée en vigueur des lois raciales. Peut-être que, même de nos jours, ce ruissellement de manipulations historiques produira un acquiescement fatigué à une histoire ad usum delphini construite d'en haut, mais les antidotes sont là, à portée de main, dans les librairies, les bibliothèques, les médias, dans la rigueur scientifique de la connaissance historienne.

Charles Heimberg (Genève)

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