Christian Raimo est un enseignant et un auteur qui vit à Rome. C'est un observateur critique de la montée de l'extrême droite et du néofascisme en Italie, en particulier dans et à destination de la jeunesse, comme le montre un article paru en 2018 dans La Revue du Crieur. C'est un auteur prolixe qui a notamment chroniqué avec brio, dans un livre écrit à quatre mains, un horrible fait divers, le massacre, à Colleferro près de Rome, de Willy Monteiro Duarte, un jeune Italien d'origine cap-verdienne. L'ouvrage inscrit le drame d'une manière sensible et lucide dans son contexte social et sociétal pou nous faire réfléchir à l'état de la société qui l'a rendu possible.
C'est aussi un chroniqueur qui se lit notamment avec intérêt quand il parle de l'école, par exemple dans cette recension du film La salle des profs, sorti récemment. Ce long métrage du germano-turc İlker Çatak met en scène une crise en milieu scolaire autour de faits de vol dans une classe, puis dans l'école, entre le corps enseignant, les élèves et leurs parents... Il traite en réalité de questions éthiques et politiques, à propos de la délation, des préjugés, d'un coupable trop vite désigné, de la dimension éducative de l'école, des tensions entre tolérance zéro et éducation à la justice...
Ce qui fait conclure son commentaire à Christian Raimo de la manière suivante:
En réalité, au fur et à mesure que l'histoire progresse et que la crise s'amplifie et s'approfondit, un double mouvement se crée : l'institution scolaire montre son ombre et le film devient une œuvre non plus sur l'école mais sur le monde, c'est-à-dire sur le pouvoir. Quelle est la fonction de l'école ? À quoi éduque-t-elle ? À apprendre à dominer ou à libérer ? À reproduire la structure de pouvoir existante ou à la remettre en question au point de la détruire et d'en imaginer une nouvelle ?
Et alors, comme dans les meilleures relations éducatives, le vrai défi est de savoir si l'ancien est vraiment prêt à céder la place au nouveau, si cette autonomie que nous, adultes, proclamons toujours comme l'horizon du sens peut vraiment inclure une acceptation radicale du fait que nous, adultes, pouvons échouer, échouer complètement, même et surtout dans notre projet éducatif. Et cela n'est parfois pas du tout une mauvaise chose, c'est même souvent le meilleur résultat que nous puissions espérer pour grandir, même en tant qu'adultes.
Nous avons là, assurément, un bel exemple d'une pensée critique sur l'école, sur ses fonctions sociales et sociétales, ainsi que sur son incapacité à assurer une cohérence entre ses discours convenus et ses pratiques réelles dans le contexte d'une société inégalitaire et injuste.

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Mais voilà que la figure de Christian Raimo nous aide aussi aujourd'hui à nous alerter et à comprendre ce que signifie l'exercice du pouvoir par l'extrême droite.
Nous en avions déjà eu des signes annonciateurs en 2019 avec l'histoire ahurissante d'une enseignante de Palerme, Rosa Maria Dell'Aria, suspendue pour 15 jours sans salaire à la suite d'une dénonciation provenant de l'extrême-droite, parce que ses élèves avaient réalisé une vidéo comparant le présent au passé en se demandant quel était le sens de la commémoration du 27-Janvier, et des horribles lois raciales italiennes de 1938, au regard des drames contemporains de l'exil et de la mort en Méditerranée. Dans leur travail, ses élèves posaient davantage de questions qu'ils n'établissaient de comparaisons péremptoires. Mais un certain Matteo Salvini était alors ministre de l'Intérieur... L'enseignante injustement sanctionnée a ensuite été reçue au Sénat avec ses élèves par la rescapée de la Shoah Liliana Segre, et l'inique sanction a été annulée par la justice. Et d'ailleurs, tiens, un certain Christian Raimo avait considéré avec raison dans la presse que la suspension de cette enseignante n'était "rien d'autre qu'un acte squadriste".
Depuis lors, l'extrême droite italienne s'est emparée de la présidence du gouvernement et Giorgia Meloni, adepte de la flamme tricolore néofasciste et de l'intimidation tous-azimuts, a déjà attaqué en justice l'auteur antimafia Roberto Saviano et l'historien Luciano Canfora, le premier condamné à une amende pour avoir traité en 2020 Salvini et Meloni de "salauds" en lien explicite avec la mort d'un bébé en Méditerranée, le second soumis à une plainte retirée au dernier moment juste avant le procès pour avoir déclaré en 2022 que Giorgia Meloni était "néonazie dans l'âme".
Et voilà que le ministre de l'Instruction et du Mérite (sic) Giuseppe Valditara, membre de la Lega de Salvini, s'en prend maintenant à Christian Raimo, c'est-à-dire à un enseignant qui est aussi un auteur et une personnalité publique, en cherchant à le licencier pour des raisons qui ne concernent pas son enseignement, mais sa vie publique.
Quels sont les faits ?
En avril 2024, Raimo a déclaré dans une émission télévisée que "les néonazis doivent être matés", ou frappés ["picchiati"], ajoutant qu'il enseignait à ses élèves que "la démocratie n'a pu advenir que grâce à une opposition sérieuse au nazisme". L'expression peut certes se discuter, mais elle n'a rien de répréhensible. Dans un contexte de libre expression démocratique, dans une République dont la Constitution est née de la lutte contre le fascisme, elle ne saurait susciter une sanction sous prétexte qu'elle correspondrait à une forme de violence. Ce n'est pas justifiable.
En septembre 2024, Christian Raimo, qui a été entre-temps candidat aux élections européennes de juin 2024 sur la liste Alleanza Verdi e Sinistra [Alliance des Verts et de la Gauche], s'en est pris cette fois, non sans de bonnes raisons, à la politique lunaire du ministre Valditara en matière d'éducation.
Il est aujourd'hui menacé d'un licenciement pour avoir notamment déclaré, à propos de l'idéologie du ministre Valditara:
Il est clair qu'il y a un empire, et comme il se présente comme la peste noire, je pense qu'il n'est pas difficile de le faire tomber, parce que tout ce qu'il dit est si évident, si flagrant, si arrogant, si lugubre qu'il est facile de s'en rendre compte.
Il s'agissait là d'une allusion métaphorique à l'univers de Star Wars. Et de montrer l'iniquité d'une politique scolaire rétrograde, notamment incarnée par un retour général à une note de comportement décisive pour la sélection des élèves. Il s'agissait donc du droit fondamental de critiquer une politique en cours. Ce qu'il a explicité ultérieurement:
Je suis stupéfait et inquiet. Il me semble que c'est un principe évident de toute démocratie que de faire la distinction entre un ministère et une personne, et que le fait de pouvoir critiquer le pouvoir est un droit fondamental. Les critiques que je fais, je ne les fais pas dans une salle de classe en tant qu'enseignant, mais en tant que citoyen libre et en tant que journaliste. Je n'ai jamais insulté Valditara, j'ai seulement fortement critiqué ses idées et ses choix.
En attendant, Christian Raimo est aujourd'hui soumis à une procédure disciplinaire. Il risque de perdre son poste.. Et c'est grave.
Un appel signé par de nombreuses personnalités a été diffusé et définit clairement la situation:
Nous pensons que la voix et la passion de Christian Raimo constituent une valeur importante pour le débat sur l'école publique, qui est et doit rester un lieu de confrontation d'idées et de croissance démocratique, et que, pour cette raison, Raimo doit être défendu contre cette attaque. Nous pensons surtout que, loin d'être un cas personnel, ce type de réglementations et de mesures - dont le projet de loi sur la "sécurité" en cours d'approbation est un triste exemple - ressemble à ceux des gouvernements que nous appelons démocratures. C'est-à-dire des démocraties formelles, suspendues, des régimes, et non des démocraties libérales qui chérissent la liberté d'expression et de critique en tant que principe fondateur.
C'est pourquoi il faut mettre fin à cette dérive. Christian Raimo ne doit pas être sanctionné, sa liberté d'expression doit être garantie!
Charles Heimberg (Genève)
Addendum-complément du 10 octobre 2024
L'historien de l'art Tomaso Montanari a publié un billet de soutien à Christian Raimo qui reprend plus largement les propos, lucides, qui lui sont reprochés et qui servent de prétexte à le menacer de licenciement.
Titre du billet de Montanari: "En frapper un pour éduquer les autres".
Et sa conclusion:
Si quelqu'un comme Raimo risque de payer par la perte de son emploi le fait d'avoir exprimé son opposition, que nous faut-il de plus pour comprendre qu'il est temps de réagir, collectivement? Comme Piero Calamandrei [une figure de l'antifascisme] l'avait appris amèrement à ses dépens, "la liberté, c'est comme l'air: on comprend sa valeur quand il commence à manquer"... Et bien, nous y sommes: cela a commencé.
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