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Charles Heimberg. Historien et didacticien de l'histoire

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Billet de blog 23 octobre 2023

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En Suisse, une dernière salve raciste pour tous les ménages, puis la haine à 28,6%

En Suisse dans le cadre des élections nationales (fédérales), une dernière circulaire de propagande électorale a été adressée à l'ultime moment à tous les ménages. Elle débordait de préjugés racistes, de propos haineux et d'amalgames douteux. Et finalement, le plus grand parti de Suisse, gouvernemental et d'extrême droite par ses campagnes, a obtenu 28,6% des suffrages (+ 3%).

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C'était une feuille pleine de couleurs, sur papier glacé. La population l'a reçue juste avant les élections nationales du 22 octobre 2023. Ce n'était pas la première du genre, ni la première non plus à être à ce point raciste. Son propos était particulièrement indigne, associant grosso modo tous les malheurs de la société suisse à la figure de l'étranger, les malheurs du monde n'ayant par ailleurs aucune importance.

Illustration 1
Propagande électorale reçue par voie postale le 19 octobre 2023 (verso).

Sous un slogan démographique renvoyant à la nième initiative xénophobe en cours initiée par l'UDC, le brûlot égrainait toute une série de questions de société pour en attribuer la pleine responsabilité au seul bouc émissaire qui obsède les tenants de cette glose d'extrême droite: l'étranger.

L'étranger responsable de la crise du logement et de loyers beaucoup trop élevés.

L'étranger dont les enfants sont responsables des difficultés des autres enfants à l'école.

L'étranger responsable de la criminalité.

L'étranger responsable du bétonnage.

L'étranger responsable des embouteillages.

L'étranger responsable de primes maladie beaucoup trop élevées.

L'étranger responsable de violences de toutes sortes (qui sont par ailleurs importées).

L'étranger responsable de multiples coûts et charges financières pour la collectivité.

L'étranger qui menace rien moins que nos enfants et la nature...

Derrière cette prose haineuse où il est question de crimes et d'argent, c'est aussi l'idée subliminale de pouvoir d'achat qui est suggérée: ce pouvoir d'achat dont l'UDC s'est prétendue si préoccupée au cours de la campagne de 2023 alors que son ultralibéralisme doctrinaire lui a toujours interdit de défendre toute autre mesure que des baisses d'impôts pour les plus riches et des coupures dans les services à la collectivité.

Au cours de cette campagne 2023, la Commission fédérale contre le racisme (CFR), que l'UDC rêve depuis longtemps de dissoudre, a de nouveau pointé le caractère problématique de certaines de ses annonces ou affiches. La CFR a donc écrit à l'UDC en lui demandant de retirer certains éléments de sa campagne qu'elle considérait comme racistes. La réponse du l'UDC a été sans équivoque: elle a dénoncé une prétendue censure et en a rajouté une couche en toute impunité:

Illustration 2
https://www.udc.ch/actualites/publications/communiques-de-presse/attention-a-la-censure-la-commission-antiracisme-intervient-dans-la-campagne-electorale-et-interdit-celle-de-ludc/

Comme cela a été établi et argumenté ici, l'intitulé d'Union Démocratique du Centre (Parti suisse du Peuple, en allemand) est particulièrement mensonger, le parti de Suisse le plus voté étant bien, par ses campagnes de haine, un parti d'extrême droite. Ou plus exactement, même si cela devrait constituer un oxymore irréalisable, un parti gouvernemental d'extrême droite.

Le 22 octobre 2023, ce parti est resté le plus voté des partis avec 28,6% des suffrages (+3% par rapport à 2019). En réalité, ce n'est pas un raz-de-marée: l'UDC n'a repris qu'une partie des voix qu'elle avait perdues en 2019. Et cela fait désormais plus de 20 ans qu'elle est le premier parti du pays avec plus d'un quart des suffrages. Précisons toutefois que, cette année, avec 46,6% de participation et 26% de population résidente sans droit de vote, c'est en réalité juste un peu moins de 10% de la population qui a voté pour l'UDC (ce qui n'en est pas moins grave).

Illustration 3
Site de la 'Tribune de Genève', 23.10.2023

Mais pourquoi et comment un parti aux campagnes si haineuses peut-il rester durablement le plus fort? Est-ce à cause de ses campagnes ou malgré elles? Si les dirigeant-es de ce parti montrent tous les jours leur vrai visage, leurs magistrats se présentent souvent plus en rondeur. Par ailleurs, les doubles origines et identités de l'UDC, entre ce qui reste de l'ancien parti agrarien et les réalités outrancières de ses campagnes des vingt dernières années, permettent des euphémisations et des banalisations langagières qui contribuent sans doute à rendre possible l'élargissement de son assise électorale. Les termes usuels de 'droite populiste' et de 'droite nationaliste', courants dans des médias qui semblent tétanisés à l'idée de reconnaître qu'un parti gouvernemental se comporte comme un parti d'extrême droite, ne suffisent pas à qualifier la réalité de l'UDC et à faire en sorte qu'elle soit discutée dans l'espace public. Pourtant, cette discussion serait utile. Parce qu'en effet, l'existence d'un parti gouvernemental d'extrême droite constitue un oxymore difficilement supportable. Parce qu'en effet, des repères démocratiques ont été perdus alors que des lignes rouges étaient franchies. Parce qu'en effet, même dans l'esprit de concordance qui domine en Suisse, les autres partis représentés aux Chambres fédérales pourraient tout à fait constituer une majorité pour gouverner sans l'extrême droite.

Un autre effet possible, et inquiétant, de cette banalisation, est apparu dans le Canton de Genève, avec l'élection au Conseil des États, qui est la Chambre haute et la Chambre des Cantons, consistant à désigner deux représentant-es au scrutin majoritaire. Les deux sortant-es, qui se représentaient, proviennent de la gauche. En face, les partis bourgeois, droite et extrême-droite comprises, se sont tous unis en promettant qu'ils retireraient leurs candidat-es pour le second tour au profit des deux mieux placé-es parmi les leurs. Or, les résultats sont sans appel: les deux candidat-es les mieux placé-es de cette coalition se sont révélés être... les deux candidat-es d'extrême-droite, soit, pour l'une (arrivée quatrième), issue de l'UDC et, pour l'autre (arrivé premier), issu d'un Mouvement citoyen genevois antifrontaliers, n'ayant donc pas tout à fait les mêmes boucs émissaires, mais associé à l'extrême droite puisqu'il devrait forcément siéger avec l'UDC le cas échéant.

Perdre ses repères et ses valeurs face à l'extrême droite, c'est donc bien risquer de favoriser l'extrême droite.

Et ainsi, après le second tour, la Genève "internationale" pourrait être représentée à Berne par l'extrême droite et ses replis. C'est dire si on marche sur la tête. Au détriment d'abord de la défense des droits humains...

Charles Heimberg (Genève)

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