Bruxelles, 24 mai 2017. En tête de tous les hit parade de ces derniers mois chez mes amis : Jean-Luc Mélenchon, dit Méluche, en abrégé JLM. Une personnalité puissante qui, selon l’expression consacrée, « ne laisse personne indifférent », surtout à gauche. J’ai découvert avec surprise autour de moi des engouements qui dépassaient de très loin une adhésion raisonnée et des détestations qui ne visaient pas seulement son projet politique. Le personnage a de l’étoffe. C’est un créateur et un leader naturel mais qui supporte peu la contradiction : on est avec lui ou contre lui. Sa posture « tous crocs dehors » déteint sur beaucoup de ses supporters – heureusement pas tous – qui font du zèle. Et, automatiquement, cette posture clive.
Pourtant, la plupart de ces amis sont belges, comme moi. Donc pas concernés à 100%. Certains m’ont pourtant vertement reproché de ne m’être finalement rallié à la candidature de JLM qu’avec un manque flagrant d’enthousiasme. Même si, comme eux, la vie politique française me passionne – elle semble tellement plus sexy que la vie politique belge –, je ne suis ici qu’un commentateur, pas un acteur. C’est en Belgique que je vis et que je peux avoir prise sur le cours des choses. Or nos deux sociétés, que l’usage de la langue française rapproche, sont complètement dissemblables pour presque tout le reste. (Voir mon introduction au numéro 98-99 de la revue belge Politique consacrée à la France vue de Belgique, coproduit par Mediapart.) La France n’est pas transposable chez nous. L’extraordinaire implication dans la campagne française de certain-e-s de mes compatriotes que la vie politique belge fait bailler d’ennui a un petit côté exotique suspect.
Mais c’est aussi parce que je l’envisage depuis la Belgique que toute une partie du discours de JLM ne peut que me hérisser. Ici, personne ne prétend appartenir à une « grande nation » dont on attend qu’elle donne une direction à l’Europe, voire à l’humanité. Notre petite taille rend modeste. La Wallonie ignore le nationalisme tandis qu’à Bruxelles, ma ville, plus de la moitié des habitants sont de nationalité étrangère ou nés étrangers. On n’y fait pas semblant d’avoir un passé commun, fut-il glorieusement révolutionnaire. Nos bagages identitaires différents, nos références culturelles bigarrées constituent autant de matériaux pour construire un présent et un avenir partagés ouverts sur le multiple. C’est ainsi que, comme Bruxellois de la deuxième génération issu d’une immigration particulière (juive polonaise), je m’y suis toujours senti à l’aise sans n’avoir rien à renier.
Alors, la sauce nationale-républicaine dans laquelle JLM s’est senti obligé de noyer un authentique programme de gauche articulant lutte résolue contre les inégalités sociales, écologie radicale et refus de l’Europe libérale, ça me coupe l’appétit. Si j’étais un Français d’origine algérienne, je n’aurais pas oublié que ces drapeaux français devenus des objets de vénération pour la France insoumise étaient ceux qui flottaient sur les commissariats où les combattants de l’indépendance étaient torturés. Et si j’étais un Français musulman, de foi, de culture ou de fierté, j’aurais beaucoup de mal à encaisser cette prétendue « laïcité à la française » qui pousse JLM en toute occasion à traiter en mineures les musulmanes qui ont choisi de se couvrir la tête pour des raisons qui ne le regardent pas.
Issu d’une minorité, c’est dans la continuité de ma propre histoire que j’accorde une attention particulière aux droits et à la dignité de toutes les minorités. Celles-ci ne peuvent jamais être sacrifiées sur l’autel d’un « populisme de gauche » assumé qui aura choisi, pour des raisons que je préfère ne pas sonder, de renforcer une unité nationale fantasmée autour de symboles ambigus.
En énonçant ceci, je n’oublie rien de l’espoir suscité par le talent et l’intelligence tactique de JLM, renforcée par la pusillanimité de ses concurrents à gauche. Mais pour emporter mon enthousiasme de voisin impliqué en plus de mon adhésion, ce n’était pas suffisant.
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