L’élection présidentielle doit être un moment de débat sur la fiscalité, son niveau, sa structure. La fiscalité est un des sujets où le clivage gauche-droite est le plus net, la droite veut baisser les impôts (ce qui suppose de diminuer les dépenses publiques et sociales, sauf à tabler sur l’effet Laffer), la gauche veut les augmenter tant pour financer des hausses de dépenses publiques (en particulier pour la transition écologique) que pour réduire les inégalités de revenu (en particulier sur les grandes entreprises et les plus riches, en minimisant les risques d’exil fiscal).
En même temps, l’expérience montre que l’élection présidentielle est le moment de tous les dangers, puisque les candidats peuvent faire des propositions irréfléchies que le président élu se croit obligé de mettre en œuvre, comme, pour Macron la suppression de la taxe d’habitation (sans ressource de remplacement prévue pour les collectivités locales), le prélèvement forfaire unique, le remplacement des cotisation sociales salariés chômage par la CSG. Nous présenterons et discuterons ici les programmes fiscaux des candidats, impôt par impôt.
Les impôts sur les entreprises
Durant le quinquennat d’Emmanuel Macron, les impôts sur les entreprises ont diminué de 29 milliards : baisse jusqu’à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés (14 milliards) ; baisse des impôts de production (10 milliards) ; extension du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, CICE (5 milliards). Début 2022, le taux de marge des entreprises se situe à un niveau satisfaisant, mais les politiques de baisses des impôts des entreprises n’ont pas eu d’effet favorable sur le solde extérieur.
L’opposition est très net entre les candidats de droite qui veulent réduire les impôts sur les entreprises, sans leur imposer la moindre conditionnalité et ceux de gauche qui veulent les restructurer, les augmenter, conditionner les réductions d’impôts à des engagements en matière d’emploi ou de transition écologique.
Valérie Pécresse veut supprimer la C3S qui est « un impôt de production absurde qui taxe le chiffre d’affaires, pénalise la compétitivité de nos entreprises et se répercute en cascade à toute l’économie[1] » ; puis, ensuite, les autres impôts de production pour un total de 10 milliards d’euros : « Quand les réformes auront effectivement permis de réduire les dépenses publiques, il pourra être envisagé de s’attaquer aux autres impôts de production, en veillant toutefois à ne pas réduire l’autonomie fiscale des collectivités locales ». Le patronat et certains économistes (du CAE) ont mené une grande campagne contre les impôts à la production. Les impôts à la production étaient en fait la taxe foncière (15 milliards), la C3S (4 milliards), la contribution foncière des entreprises (CFE, 15 milliards), la CVAE (14 milliards), soit 48 milliards au total. La taxe foncière et la CFE financent les dépenses des collectivités locales pour les entreprises ; elles correspondent à la taxe foncière et la taxe d’habitation des ménages. La CVAE est peu justifiable du point de vue de la fiscalité locale, mais elle a le mérite de dépendre directement de l’activité de l’entreprise et de frapper la totalité de la valeur ajoutée, les salaires et le profit, donc de ne pas inciter à la substitution du capital au travail. La C3S finance l’assurance vieillesse des non-salariés ; elle n’est plus payée que par les très grandes entreprises ; elle aussi dépend de l’activité de l’entreprise. La réduction de 10 milliards des impôts de production a déjà été réalisée en 2021 en divisant par 2 la CVAE et en réduisant de 50 % la valeur locative des établissements industriels pour la taxe foncière et la CFE. Après la suppression de la taxe d’habitation, c’était un nouveau coup à l’autonomie financière des collectivités locales. On voit mal comment une nouvelle baisse des impôts de production n’y porterait pas un nouveau coup.
Macron annonce vouloir « réduire les impôts de production qui pèsent sur l’industrie et l’agriculture, notamment en supprimant la CVAE pour toutes les entreprises ». La CVAE ne rapporte maintenant plus que 7 milliards (au lieu de 14, il y a 2 ans) ; l’État devra compenser la perte de ressources des collectivités locales, dont l’autonomie financière serait une fois de plus réduite.
Éric Zemmour va plus loin. Il propose de baisser de 30 milliards les impôts de production (C3S, CVAE, CFE) et, par ailleurs de baisser à 15% le taux de l’impôt sur les sociétés pour les PME. Marine Le Pen propose, elle, de supprimer la Cotisation Foncière des Entreprises (CFE) « qui pénalise les PME-TPE locales » et les impôts de production « qui nuisent à la relocalisation ».
En sens inverse, Yanick Jadot veut rétablir les impôts de production supprimés en 2021. Il veut instaurer à l’échelle de l’UE un taux minimal de l’IS de 25 % sur les multinationales. Son originalité est de vouloir instaurer : « un bonus-malus climatique dans la fiscalité des entreprises en fonction de la nature des activités ». « Les 150 milliards d’euros d’aides publiques perçues chaque année par les entreprises seront conditionnées au respect d’engagements fermes en matière d’empreinte carbone, de protection de la biodiversité, d’emploi, d’évasion fiscale et d’égalité entre les femmes et les hommes ». « Le Crédit d’impôt recherche, CIR,sera réorienter vers des projets visant à décarboner et à relocaliser notre économie ainsi qu’à préserver la biodiversité ».
Anne Hidalgo met, elle aussi, ses espoirs dans la hausse de la fiscalité des multinationales ; le taux minimum devrait être plus élevé que 15% dans l’UE.
Jean-Luc Mélenchon propose de rendre l’impôt progressif selon le montant des bénéfices et de pénaliser le versement de dividendes. Il propose un impôt mondial sur les entreprises. Il veut annuler les cadeaux fiscaux accordés aux grandes entreprises ces dix dernières années, taxer les entreprises ayant bénéficié de la crise sanitaire, supprimer les privilèges fiscaux du mécénat culturel Notons que le versement de dividendes à des contribuables français est déjà en fait pénalisé par rapport aux bénéfices non distribués par le PFU à 30%. L’impôt mondial sur les bénéfices devrait s’appliquer aux profits réalisés hors de France par des entreprises dont le siège social est en France, qui auraient été taxé à des taux inférieurs au taux français (25%) ou aux profits réalisés en France par des sociétés étrangères et transférés indument dans un paradis fiscal (un pays où le taux de l’IS est inférieur à un montant à fixer entre 15 et 25%). Ce n’est qu’un renforcement de l’accord sur la taxation des multinationales.
Fabien Roussel propose un IS progressif selon le chiffre d’affaires, modulé selon la stratégie des entreprises, pout taxer plus celles qui délocalisent, suppriment des emplois, polluent ; d (ce qui serait difficile à gérer). Il veut supprimer les exonérations fiscales « qui n’ont d’autre effet que de gonfler les profits ». Les aides aux entreprises non contrôlées seront supprimées (CICE, niches fiscales). Le CIR sera remplacé par un crédit bonifié pour la recherche et la formation des salariés. Il propose d’instaurer un impôt local progressif sur le capital des entreprises, avec une contribution nationale sur les actifs financiers (on voit mal comment un impôt local pourrait être progressif). La taxe sur les transactions financières sera renforcée.
Selon moi, il ne faut pas toucher aux impôts locaux des entreprises (CFE et taxe foncière) qui fiancent les dépenses des collectivités locales pour les entreprises (comme les infrastructures). La CVAE pourrait être utilisé à l’échelle nationale pour financer la SS. Par ailleurs, la fiscalité ne doit pas être trop compliquée et chaque impôt devrait correspondre à un objectif. Les objectifs écologiques doivent être atteints par la taxe carbone et la TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) plutôt que par la modulation de l’IS et de l’ISF. Il faudrait plutôt augmenter le taux de l’IS, effectivement le rendre progressif, de façon à utiliser les profits des grandes entreprises pour financer la transition écologique.
Les cotisations sociales
Les candidats de droite veulent réduire les cotisations sociales sous prétexte de favoriser l’emploi, en oubliant lre risque d’effets d’aubaine et la nécessité de financer la protection sociale.
Ainsi, Macron propose de tripler le plafond de la prime Macron qui permet actuellement aux entreprises de verser à leurs salariés 1000 euros (voire 2000 euros si accord d’intéressement) sans cotisations sociales ni impôts. C’est une mesure qui affaiblirait encore le financement de la Sécurité sociale : les entreprises seraient incitées à augmenter la prime plutôt que les salaires.
Pécresse envisageait une hausse des salaires financée par une baisse des cotisations. « Augmenter les salaires nets inférieurs à 2,2 SMIC de 10 %, dans les cinq ans. Le basculement progressif des cotisations vieillesse salariales vers les entreprises représentera déjà une hausse de 8,3 % du salaire net. L’État compensera les entreprises à hauteur des 2/3 de leurs coûts et négociera le tiers restant avec elles dans le cadre d’une conférence salariale et sociale annuelle : poursuite de la réforme de l’assurance chômage en renforçant la dégressivité des allocations, réforme des retraites, lutte accrue contre les fraudes sociales et fiscales, conclusion d’accords donnant/donnant avec les entreprises avec plus de flexibilité du temps de travail ». Le taux des cotisations des salariés au régime général est actuellement de de 7,3 %. Leur suppression augmenterait de 9 % le salaire net. Cependant, leur suppression jusqu’à 2,2 SMIC (soit 3 500 euros, le plafond de la Sécurité sociale) coûterait 40 milliards, qui s’ajouteraient aux 60 milliards d’exonérations de cotisations employeurs déjà existantes, ce qui fragiliserait encore plus le financement de la Sécurité sociale. La mesure entraînerait un effet de seuil injustifiable à 3500 euros. Elle aboutirait à ce paradoxe que seuls les cadres financeraient directement le régime général de retraite, dont ils bénéficient relativement moins. Le caractère paritaire de la Sécurité sociale serait fragilisé (comme la réforme du financement de l’assurance-chômage a fragilisé l’Unédic). La réforme mettrait en cause le caractère contributif de l’assurance retraite, ce que le Conseil constitutionnel devrait refuser, comme il l’a déjà fait pour une proposition similaire (le 6 août 2014). Cependant, compte-tenu des critiques du patronat, Valérie Pécresse a modifié sa proposition. Il ne s’agirait plus que d’une baisse de 2,4 % du taux de cotisations vieillesse des salariés (soit, d’une hausse de 3 % du salaire net), les entreprises étant ensuite incitées, par un Observatoire paritaire des salaires, à augmenter les salaires des 7% manquants, sachant qu’elles auraient des contreparties, en particulier en termes de flexibilisation des horaires. La mesure bénéficierait à tous les salariés, mais seule la partie des salaires sous plafond serait revalorisée ; elle coûterait environ 18 milliards à l’État. On peut lui faire les mêmes objections qu’à la mesure précédente : peut-on priver de ressources le régime général, dont les dépenses doivent augmenter à l’avenir ? Peut-on détruire le caractère contributif de la retraite ? De toute évidence, cette mesure annonce une baisse des retraites publiques.
Pécresse veut aussi supprimer le forfait social (une taxe de 20% sur les rémunérations extra-salariales) et les cotisations sur les distributions gratuites d’actions (c’est favoriser l’évasion sociale).
Le Pen veut permettre aux entreprises une hausse des salaires de 10% (jusqu'à 3 smic) en exonérant cette augmentation de cotisations patronales. Là aussi, cela induirait un fort effet d’aubaine pour les entreprises au détriment de la Sécurité sociale.
Zemmour veut augmenter le salaire des travailleurs modestes en permettant de toucher l’équivalent d’un 13ème mois par la baisse de la CSG s’appliquant de manière dégressive pour tous les salaires allant du SMIC à 2000 euros (ce projet a déjà été refusé par le Conseil Constitutionnel car tout impôt progressif doit être familialisé. Il veut permettre aux chefs d’entreprises de récompenser leurs salariés en instaurant une prime Zéro Charges (patronales et salariales) pouvant s’élever jusqu’à trois fois le salaire net mensuel. Il veut exonérer totalement d’impôts et de charges sociales les heures supplémentaires, défiscaliser la prime de participation des salariés, permettre le déblocage immédiat de cette prime sans aucune condition pour le salarié, supprimer le forfait social. Bref, il pousse à l’extrême la stratégie de constitution de création de niches sociales. Se pose toujours la question : comment financer la Sécurité sociale ? la réponse de Zemmour est : en privant les immigrés d’allocations. Pour nous, il faut faire l’inverse : toutes les rémunération salariales et extra-salariales doivent être soumises aux cotisations sociales et à l’IR.
Hidalgo veut Créer un bonus/malus des cotisations patronales selon la part des salaires (trop compliqué, il vaudrait mieux étendre les cotisations maladie et famille à l’EBE).
Mélenchon veut augmenter de 0,25 point chaque année le taux de cotisations retraite (c’est effectivement nécessaire pour accompagner la hausse du ratio retraités/actifs) et soumettre à cotisation les revenus extra-salariaux (oui, c’est nécessaire), mais aussi les revenus financiers des entreprises (peut-on faire payer des cotisations retraite sans contrepartie en droit à la retraite ?)
Roussel veut supprimer toutes les exonération sociales (peut-on supprimer les exonérations de cotisations au niveau du Smic, en même temps que celui-ci serait augmenté de 18% et que la durée du travail est réduite de 8,6% ? Cela fait quand même une hausse de 80% du coût du Smic pour l’entreprise). Les cotisations sociales des entreprises seraient modulées selon l’évolution de leur masse salariale (difficile à gérer et dangereux du point de vue de la Sécurité sociale qui taxerait moins les secteurs en croissance et plus les secteurs en difficulté), avec une cotisation sur les revenus financiers des entreprises. Le financement de la Sécurité sociale par les cotisations sera remis en vigueur. La CSG disparaîtra progressivement (quid des prélèvements sociaux sur les revenus du capital ? comment compenser la perte de 140 milliards d’euros ? c’est contradictoire avec la l’équité qui impose la taxation des revenus financiers pour financer les prestations universelles).
Selon moi, il est légitime que les prestations famille et maladie qui sont universelles soient financées par l’impôt (la CSG pour les ménages et, dans l’idéal, une CVAE pour les entreprises plus que des cotisations sociales). L’extension des cotisations employeurs à l’EBE (par la CVAE) est préférable à une formule compliquée (faire dépendre le taux de cotisations du comportement des entreprises). Les prestations retraite et chômage doivent être financées par des cotisations assises sur le revenu des personnes couvertes. Il faut prévoir la hausse des cotisations retraites si on veut éviter une forte baisse du ratio pension moyenne/salaire moyen.
Les impôts indirects.
Les programmes des candidats ne comportent pas de fortes hausses de la taxe carbone ou la taxe générale sur les activités polluantes. Pourtant, celles-ci seraient nécessaire pour inciter les entreprises à changer de techniques de production et les ménages de consommation. Leur produit pourrait être utiliser pour financer les investissements écologiques et pour compenser les hausses des prix pour les ménages du bas de l’échelle des revenus. Malheureusement, beaucoup de candidats préconisent à l’inverse une baisse de la fiscalité sur les produits énergétiques.
Macron, Pécresse et Zemmour proposent la mise en œuvre d'une taxe carbone aux frontières de l’UE pour « « se protéger contre le dumping social et environnemental », en oubliant que cela suppose la mise en place une taxe carbone importante dans les pays de l’UE, et en France.
Le Pen veut baisser la TVA de 20 à 5,5% sur les produits énergétiques (en oubliant les contraintes écologiques)
Mélenchon veut réduire la TVA sur les produits de première nécessité ; l’augmenter sur les biens de luxe.
Hidalgo veut baisser la TVA sur la facture de gaz naturel et d’électricité et la baisser sur l’essence en cas de flambée des prix. Elle veut créer une TVA à taux réduit sur les produits verts : réemploi, recyclage, produits bios. (compliqué, comment définir fiscalement un produit bio ?).
Jadot veut supprimer la TVA pour les produits bio (avec des problèmes de définition, en particulier pour les produits importés), la réduire le taux de TVA de 20 à 5,5 % pour les transports collectifs et les services de réparation, l’augmenter à 20 % pour les transports polluants. Il veut moduler la TVA en la baissant sur le bio, le réparable, et l’augmenter sur l’obsolescence programmée, le trop salé, trop sucré, les km inutiles parcourus par les produits (c’est d’une complication ingérable. Quid de la viande bio, par exemple ? des produits agricoles traditionnels ? des voitures de luxe à longue durée de vie ? ). Il veut supprimer les permis d’émission gratuit et introduire un mécanisme d’ajustement aux frontières. La contribution carbone n’augmentera qu’en cas de forte baisse du prix de l’énergie
Roussel veut réduire les impôts indirects (TVA, TICPE) qui pèsent trop sur les plus pauvres. Il veut baisser les taxes sur l’éléctricité et le gaz.
En fait, la France a besoin pour financer ses importantes dépenses publiques et sociales de ressources importantes, automatiques, faciles à gérer comme la CSG, la TVA, les cotisations sociales. Il est dangereux de les mettre en cause en les modulant.
Les impôts sur les ménages
Au nom de la hausse du pouvoir d’achat, tous les candidats de droite et d’extrême-droite proposent la suppression de la redevance finançant l’audio-visuel public. Celle-ci, actuellement de 138 euros par an, rapporte 3,8 milliards. L’audiovisuel public devra-t-il faire davantage appel à la publicité, au détriment de sa qualité (et malgré la pression des chaines privées existantes) ? Pour Zemmour et Le Pen, il serait privatisé, c’est-à-dire intégré à une entreprise capitaliste comme TF1-LCI, Cnews ou BFM, alors que l’essentiel des médias appartient déjà en France à 9 milliardaires. Macron (et Pécresse) promettent une subvention publique, mais à quel niveau, avec quelle garantie d’évolution ? Cette mesure est particulièrement malvenue dans une situation où seraient nécessaires, au contraire, des mesures contre la propriété des médias par le patronat, contre leur dépendance à la publicité, pour l’indépendance des rédactions, donc pour un financement public des médias, selon des modalités à affiner (tenir compte de leur audience certes, mais aussi de leur qualité, de la nécessité d’assurer le pluralisme, de compenser l’absence de ressources publicitaires).
Sur l’impôt sur le revenu
Macron propose de permettre aux couples vivant ensemble d’être taxés conjointement à l'impôt sur le revenu. C'est une proposition démagogique : les personnes mariées (ou, à un degré moindre, pacsées) prennent un engagement de mise en commun de leurs ressources, en particulier si elles ont des enfants, et un engagement de solidarité (qui joue en particulier si l'un/une des partenaires est en maladie ou en chômage de longue durée). En cas de rupture, la justice vérifie que l'un/l'une des partenaires n'est pas lésé/ée et peut lui attribuer une indemnité compensatrice. Les concubins ne prennent, eux, aucun engagement socialement reconnu. Selon la formule du premier consul Napoléon Bonaparte : "Les concubins se passent de la loi ; la loi se désintéresse des concubins". L'imposition commune sur simple déclaration de concubinage permettrait une nouvelle forme d’évasion fiscale. Une personne riche trouverait une personne sans revenu ; en faisant une déclaration commune, ils gagneraient 32 350 euros qu'ils se pourraient se partager (par exemple, 30 000 euros pour le riche ; 2350 euros pour le pauvre). Pour l’éviter, il faudrait contrôler le concubinage, demander une certaine durée, une inscription à la mairie ; on aurait alors les concubins inscrits et les concubins non-inscrits. Ce serait une nouvelle complication alors que le Pacs résout la question et sépare en principe, parmi les couples non mariés, ceux qui partagent leurs revenus et les autres.
Pécresse propose de défiscaliser les pensions alimentaires. L'impôt sur le revenu porte logiquement sur l'ensemble des revenus du ménage et tient compte de sa composition. Un parent isolé a droit à une demi-part supplémentaire. Il est logique qu’il (en fait, elle dans l’immense majorité des cas) paie des impôts sur la pension alimentaire qu’elle reçoit, de même qu’il est logique que le parent qui la verse, puisse la déduire de son revenu. Ainsi, la somme en question est bien taxée une fois à l’IR. Il ne faudrait pas créer une nouvelle niche fiscale, qui ne profiterait qu'aux mères isolées imposables, donc les plus à l’aise financièrement. Par contre, l'allocation de soutien familial (ASF), versée aux mères isolées dès lors qu’elles ne perçoivent pas de pension alimentaire, est d'un montant ridicule (116 euros par mois) ; les pensions alimentaires sont généralement beaucoup trop faibles. L'ASF devrait être fortement revalorisée (au minimum à 350 euros par mois, le seuil de pauvreté pour des enfants). Le ministre de la justice devrait donner des instructions aux magistrats pour revaloriser fortement les pensions alimentaires, de sorte que le coût financier du divorce pèse sur le parent le plus riche, qui n'a pas la garde (le père, en général) et pas sur les enfants. Dans ces conditions, l'ASF, comme la pension alimentaire, devront être considérées comme des revenus et être imposables
Pécresse propose de doubler le crédit d’impôt pour les emplois à domicile pour couvrir 50 % du coût d’un emploi. (C’est déjà le cas en fait avec un plafond de dépenses prises en compte de 12 000 euros par an (20 000 en cas d’invalidité), c’est une mesure pour les plus riches).
Le Pen veut exonérer d’impôt sur le revenu tous les jeunes actifs jusqu’à 30 ans « pour qu’ils restent en France et fondent leur famille chez nous ». Elle veut supprimer l’impôt sur les sociétés pour les entrepreneurs de moins de 30 ans pendant les 5 premières années pour éviter leur départ à l’étranger (ce sont des mesures pour les jeunes les plus riches). Elle propose d’Introduire une part fiscale dès le deuxième enfant (au lieu de la demi-part qui correspond au coût des enfants, mesuré par les UC : là encore, c’est une mesure pour les familles les plus riches).
Zemmour veut doubler le plafond du quotient familial[2] ; il veut rétablir la demi-part des veuves (en fait, la réforme la plus juste serait d’attribuer 1,25 part à tous les célibataires certifiant vivre seuls).
Jadot, Mélenchon et Roussel veulent supprimer le PFU et soumettre les revenus du capital financier à l’IR progressif. Roussel veut rendre l’IR plus progressif avec 15 tranches (l’idée que l’IR est d’autant plus progressif qu’il a de tranches est erronée ; à la limite, l’impôt le plus progressif comporterait avec une seule tranche, 100%, avec redistribution forfaitaire ; la demi-part supplémentaires des veuves sera restaurée (il serait préférable de donner 1,25 part à toutes les personnes vivant seules) ;
Mélenchon veut rendre l’IR plus progressif avec 14 tranches : rendre la CSG progressive avec 14 tranches (ce qui revient en fait à la fusionner avec l’IR). Il veut évaluer toutes les dépenses fiscales et transformer toutes les réductions d’impôt en crédit d’impôt. Il veut établir un « impôt universel sur les revenus des particuliers ». Jadot veut lui-aussi rendre l’IR plus progressif.
Mélenchon propose de « remplacer l’injuste quotient familial fiscal [3]actuel par un crédit d’impôt que pourraient toucher toutes les familles ». Les économistes sont partagés sur le Quotient familial (QF). Pour les uns, c’est un avantage fiscal injuste, qui bénéficie aux familles les plus riches[4]. Pour d’autres, dont je suis[5], c’est une composante obligée de l’impôt progressif. Mélenchon donne raison aux premiers. Pourtant, dans une famille, les adultes partagent leurs revenus avec leurs enfants. L’impôt progressif doit évaluer le niveau de vie de familles de composition différente ; un couple sans enfant avec un revenu de 5 000 euros, n’a pas le même niveau de vie qu’une famille de même revenu avec deux enfants. L’IR doit en tenir compte. La différence d’impôt entre ce couple et cette famille n’est pas un avantage fiscal, mais la simple reconnaissance de leur différence de niveau de vie. Les officines de défiscalisation proposent des placements en immobilier locatif, en Sofica, en outre-mer ; elles ne proposent pas d’adopter des enfants pour profiter de l’avantage fiscal que procurerait le QF. Pour une famille de deux enfants, le QF rapporte au maximum 1592 euros par enfants, soit 133 euros par mois qui s’ajoute à 67 euros d’allocations familiales, soit 200 euros, bien en dessous du seuil de pauvreté-enfant de 350 euros. Au-delà du RSA, une famille avec enfants a toujours un niveau de vie inférieur à celui d’un couple de même revenu primaire. Il est bizarre de prétendre qu’elle bénéficie d’un avantage fiscal.
Remplacer le QF par un crédit d’impôt uniforme n’a guère de sens car celui-ci ferait double emploi avec les allocations familiales ; à coût global inchangé pour les finances publiques, ce crédit d’impôt serait de 1075 euros par enfant, soit 89 euros par mois, soit 156 euros par enfant y compris les allocations familiales dans une famille à deux enfants. Ne pas tenir compte des enfants dans le calcul de l’impôt sur le revenu n’aurait de sens que s’il était acquis que les parents ne supportent pas la charge des enfants, qui serait socialement prise en compte en totalité. Pour assurer aux enfants un niveau de vie juste au seuil de pauvreté de 60 %, il faudrait verser à chaque enfant 350 euros par mois, mais pourquoi les enfants devraient-il vivre juste au seuil de pauvreté ? Pour assurer aux enfants le niveau de vie médian, il faudrait verser aux familles 580 euros par enfant. C’est alors que la suppression du QF serait justifiée. Chiche…
Jadot veut « supprimer le quotient conjugal pour une plus grande justice entre les femmes et les hommes ». Mélenchon veut « mettre fin au quotient conjugal, système patriarcal favorisant les inégalités salariales entre les femmes et les hommes ». L’État reconnaît actuellement le droit à deux personnes (de même sexe ou de sexes différents) de se déclarer en couple, d’annoncer en se mariant ou en se pacsant qu’ils mettent leurs ressources en commun (qu’ils partagent avec leurs enfants éventuels). Il en tient compte au moment de l’établissement de l’IR. Mettre fin à cette reconnaissance, ce qui reviendrait à surtaxer les couples dont les salaires sont différents. Considérons la famille A avec deux enfants, où un des conjoints gagne 4000 euros par mois, l’autre 2000 euros par mois ; considérons la famille B, avec deux enfants où les deux conjoints gagnent 3000 euros. Peut-on faire payer plus d’IR à la famille A qu’à la famille B, en prétendant que dans la famille A, le conjoint à plus fort revenu ne partage pas son revenu équitablement avec le reste de la famille, qu’il garde les 4000 euros pour lui, que son conjoint vit des 2000 euros de son revenu propre et les enfants des 67 euros d’allocation familiale ? Cela renforcera-t-il l’autonomie du conjoint à plus faible salaire ? Cela amènera-t-il son entreprise à augmenter son salaire ? Faut-il surtaxer les couples à salaires différents quand l’homogamie se développe ?
Il serait cohérent de tirer toute la logique de ce refus du partage des ressources dans la famille. Il faudrait d’abord réclamer une allocation mensuelle de 580 euros par enfant, puisque que les enfants ont droit au minimum au revenu médian, de 1170 euros pour tous les conjoints sans ressources propres quel que soit le revenu de son conjoint. Il faudrait aussi annoncer la suppression des pensions de réversion. Chiche ! Certes, il faut se battre au niveau de l’orientation scolaire et à celui de l’entreprise pour l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, mais ce n’est pas en niant le partage des ressources dans les familles. D’ailleurs, il se peut fort bien que les deux adultes de la famille A soit du même sexe… Certes, il faut se battre contre le patriarcat, la domination des hommes sur les femmes, mais faut-il se battre contre le couple, contre la famille ? Cela fait-il partie du combat écologique, du combat pour le socialisme ?
Fiscalité du capital.
Les candidats de gauche veulent rétablir l’ISF et augmenter les impôts sur les donations et successions que ceux de droite veulent réduire.
Macron ne propose pas de grande réforme des droits de successions, mais seulement de porter de à 150 000 euros l’abattement pour les enfants (au lieu de 100 000 euros), à 100 000 euros l’abattement pour les petits-enfants (au lieu de 1594 euros) et pour les neveux ou nièces (au lieu de 7967 euros). Cette mesure favorise, une nouvelle fois, les familles riches.
Pécresse veut augmenter de 30 à 50 % l’abattement sur la résidence principale à l’IFI (Impôt sur la fortune immobilière), une nouvelle mesure pour les plus riches Elle veut introduire « un choc de transmission de patrimoine, tout de suite », soit, la possibilité d’un don défiscalisé tous les six ans pour les parents et les grands-parents, d’un montant maximum de 100 000 euros, et des dons défiscalisés de 50 000 euros possibles tous les six ans pour les oncles, tantes et fratries. Ainsi, un jeune issu d’une famille riche pourrait recevoir 600 000 euros tous les 6 ans de ses parents et grands-parents contre 330 000 euros tous les 15 ans actuellement. La mesure ne profiterait qu’aux familles les plus riches, qui peuvent donner plus 330 000 euros à chacun de leur enfant. Toute réduction des droits de transmission favorise les enfants des classes supérieures et augmente des inégalités sociales déjà injustifiables. Pour favoriser la transmission des patrimoines, il faudrait au contraire rétablir l’ISF, augmenter la taxation des successions et des donations à partir d’un certain seuil en faisant le cumul des sommes reçues par une personne, et utiliser les sommes ainsi obtenues pour les bourses des jeunes des classes populaires et pour une allocation d’insertion des jeunes chômeurs. Par ailleurs, l’abattement pour les droits de succession serait porté à 200 000 euros (en ligne direct), à 100 000 euros en ligne indirecte ; le Pacte Dutreil serait élargi (abattement de 90% pour un engagement de détention de 10 ans).
Le Pen veut supprimer l’IFI et créer un IFF, un impôt sur la fortune financière (Il faudrait les deux). Elle veut supprimer les impôts sur l’héritage pour les familles modestes et les classes moyennes (une exonération de 300 000 euros par enfant en biens immobiliers). Elle veut exonérer les donations jusqu’à 100 000 euros par an tous les 10 ans pour les enfants et petits-enfants, soit 600 000 euros par enfant. Elle aussi veut élargir le Pacte Dutreil (exonération pour un engagement de détention de 10 ans).
Zemmour veut supprimer les droits de mutation jusqu’à 250 000 euros pour les primo- accédants ; permettre de soustraire 50% des intérêts immobiliers de son revenu ; sortir la résidence principale de l’IFI ; réduire à 15 ans la durée d’exonération des plus-values immobilières. Il propose de défiscaliser une donation de 200 000 euros tous les 10 ans pour les parents et grands-parents (soit 1 200 000 euros par enfant) et instaurer une franchise de 200 000 euros par enfant au moment de la succession.
Au contraire, Mélenchon veut rétablir et renforcer l’ISF en y intégrant un volet climatique. Il veut rétablir l’exit tax. Il veut augmenter les droits de successions sur les grandes donations et successions, avec la prise en compte de l’ensemble des sommes reçues tout au long de la vie, avec un plafond à 12 millions d’euros.
Il envisage de refonder la taxe foncière pour la rendre progressive et que chacun paie à hauteur de son « patrimoine total réel ». La taxe foncière est un impôt local ; la faire porter sur l’ensemble du patrimoine total réel (?) suppose qu’elle devienne un impôt national, qui ferait double emploi avec l’ISF qu’il veut justement rétablir.
Jadot veut rétablir un ISF sur les patrimoines supérieurs à 2 millions avec un bonus-malus selon l’impact des actifs financiers et immobiliers sur le climat. Il veut alourdir la taxation des successions de plus de 2 millions, la réduire sur les petites successions, instaurer un seuil de taxation de 200 000 euros ; taxer selon les donations et successions reçues tout au long de sa vie.
Hidalgo veut créer un ISF Climat et biodiversité pour financer la transition énergétique. Elle veut surtaxer les placements dans les énergies fossiles. Les recettes liées à la fiscalité écologique seront partagées, moitié pour des investissements écologiques, moitié pour les ménages les plus pauvres frappés par les hausses de prix. Elle envisage d’abaisser la fiscalité des successions pour 95 % des Français (difficile quand elle ne frappe déjà que 15 % des Français) en augmentant la fiscalité sur les très hautes successions (au-delà de 2 millions d’euros, ce qui rapporterait 8 milliards).
Roussel veut rétablir un ISF sans niches fiscales. La fiscalité des donations et successions sera plus progressive (avec une franchise à 170 000 euros) « en tenant compte de la richesse des héritiers » ; les niches de cet impôt seront supprimées.
Je suis sceptique sur l’intérêt de faire dépendre l’ISF de « l’engagement dans la transition écologique ». Je préférerai taxer directement les énergies fossiles et leurs emplois par la taxe carbone et la TGAP. Par ailleurs, l’ISF et l’impôt sur les successions frappent le capital ; ils doivent donc servir à des dépenses en capital (comme la prise de contrôle des entreprises) plutôt qu’à des dépenses de fonctionnement. Enfin, le système français de droit de donations et de successions favorise de façon excessive les transmissions en ligne directe ; le projet d’une taxation sur l’ensemble des fonds reçus tout au long de la vie va dans le bon sens.
Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
C’est un thème de la quasi-totalité des candidats. Les recettes de la fraude fiscale permettent souvent d’équilibrer financièrement (mais fictivement) le programme électoral. Les candidats de droite et d’extrême droite y ajoutent la lutte contre la fraude sociale (dont l’ampleur n’est pas du même ordre de grandeur).
Macron n’aborde pas le sujet. Pécresse prétend récupérer 15 milliards par en an en luttant contre les fraudes sociales et fiscales (mais son programme porte surtout sur les fraudes sociales, en particulier celles des étrangers). Le Pen propose de créer « un ministère de la lutte contre les fraudes (fiscales, aux cotisations et prestations sociales, aux importations, ententes, etc.) » : elle met surtout en cause la fraude aux prestation sociales, mais aussi le travail détaché, les prix de transferts, la fraude à la TVA et les paradis fiscaux de l’UE : Chypre, l’Irlande, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas. Zemmour pense gagner 5 milliards en luttant contre la fraude fiscale (et 10 milliards sur la fraude sociale).
Hidalgo pense gagner 6 milliards par la lutte contre la fraude fiscale. Jadot veut renforcer les moyens de la lutte contre la fraude fiscale. Il veut instaurer des taux minimas de taxation au niveau européen ; il veut « couper les relations financières et commerciales avec tous les États ne respectent pas des conditions élevées de transparence et d’échanges d’informations avec l’UE et ses États membres en matière fiscale ». Mélenchon veut faire de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale une priorité ; durcir les sanctions ; prendre des décisions unilatérales faute d’accord européen ou mondial. Pour Fabien Roussel, la lutte contre la fraude fiscale doit être rendue effective, avec des embauches massives dans les services de contrôle. La France doit proposer la création d’une institution internationale chargée de lutter contre la fraude fiscale : elle doit proposer l’instauration de serpents fiscaux européens (un taux plancher et un taux plafond pour tous les impôts).
Pour conclure : les projets en matière fiscale séparent nettement la droite de la gauche. La droite veut réduire les impôts et les cotisations sociales pour augmenter l’emploi et le pouvoir d’achat, comme si les dépenses publiques et sociales ne contribuaient pas au pouvoir d’achat et au bien-être de la population. La gauche finance un programme ambitieux de hausse des dépenses publiques par la hausse des impôts sur les plus riches et les grandes entreprises, au risque de l’exil fiscal. Dans les deux camps, certaines propositions sont malvenues.
[1] C’est une thèse saugrenue provenant du CAE. En fait, au premier ordre, à masse donnée, la C3S n’est pas plus pénalisant que les autres impôts sur la production.
[2] Le plafond actuel du QF est de 133 euros par mois. Si on y ajoute les 67 euros d’allocations familiales, le gain maximal est de 200 euros par enfant, ce qui doit être comparé au coût médian d’un enfant : 585 euros (0.3 unité de consommation pour un revenu médian en 2022 de 1950 euros). Au niveau du RSA, le gain est de 250 euros qu’il faut comparer au 350 euros, correspondant au seuil de pauvreté-enfant (0.3*1170 euros).
[3] La suppression du quotient familial figurait dans le programme d’EELV. Elle n’a pas été reprise par Jadot.
[4] Voir, par exemple, « Effets redistributifs de l’imposition des couples et des familles ».