Pilotes de ligne : La règle des trois “ R ”... une aide au “ making decision ” !
R pour raisonnable, R pour réglementaire, R pour réalisable. L'efficacité pour un pilote est quand il y a lieu, de se poser ces trois questions, essentielles. Mais dans quel ordre ? J'ai souvent été effaré par le nombre de réponse qui citaient en premier l'aspect réglementaire....
À y regarder de plus près on s'accordera certainement à savoir d'abord si c'est réalisable, car bien sûr si ça ne l'était pas quel serait donc l'intérêt d'y réfléchir ? En second lieu vient facilement la question de savoir si ce que l'on imagine est ( bien ) raisonnable. Et donc en dernier vient l'aspect réglementaire.
Je songeais à cette fameuse règle que m'avait enseignée ce genre d'instructeur qu'on n'oublie jamais à propos de l'approche à vue désastreuse avortée in extrémis par un avion de Ryanair à Memmingen, près de Munich, en septembre 2012.
Les seuls éléments fournis par le bureau d'enquêtes Allemand, ( BFU ), dans le rapport préliminaire sur cet incident grave sont que l'avion se trouvait à 5400 ' dans le Nord-Est de la tour de contrôle ( TWR) pour cinq nautiques, au cap 117°, quand il a contacté sa fréquence, peu avant de commencer son virage à droite.
Partant de là, j'ai voulu savoir si un virage à droite pour intercepter l'axe de piste ( 238° ) était techniquement possible, aussi de connaître l'écart par rapport cet axe.
La géométrie fournit donc la réponse que voici : Au moment de commencer son virage l'avion est au Nord de l'axe de piste pour 1,1 Nm, et le rayon du virage qui permet d'intercepter cet axe est 0,71 Nm. Lire ici les commentaires du croquis ou cliquez sur l'image.
L'avion est quand même assez près de l'axe de piste quand il commence son virage, et le rayon nécessaire semble lui aussi bien faible.
Ainsi la question est-elle simple : Un Boeing 737-800, peut-il effectuer cette manoeuvre juste avant l'atterrissage ? Il s'agit de virer court et par ailleurs il n'est guère envisageable de s'incliner au delà de 25-30°. Le paramètre restant est donc la vitesse et la question devient, l'appareil peut-il voler suffisamment lentement pour pouvoir tourner aussi court qu'indiqué ?
Les lois de la Mécanique du Vol permettent de répondre et de répondre positivement.
Cette formule simple donne en effet la valeur du rayon de virage (en pieds) fonction du carré de la vitesse propre (en kts) et de la tangente de l'inclinaison. Lors des approches à vues l'inclinaison en virage recommandée est 30°, c'est la valeur que j'ai utilisée dans le calcul. La vitesse obtenue est 167 kts. Tenant compte de l'altitude (4000 ') la vitesse indiquée est alors 155 kts.
Ainsi la manœuvre envisagée est-elle possible, mais seulement dans le respect impératif d'une altitude max de 3300 ' en début de virage et d'une vitesse maximum de 155 kts (IAS).
La fiche d'approche ILS 24 montre que la route directe entre les points LUPOL et OGROB est au 117°, le rapport intérimaire indique que l'avion avait un cap 117°, il est donc très probable que l'avion suivait une route directe sur OGROB depuis LUPOL. Sur cette route il devait être sans doute à un peu plus de cinq Nm ( estimation du contrôleur) sur le Nord-Est de la TWR, et cela donne un peu plus de marge par rapport aux calculs effectués...
Je veux dire par là, que le fait d'envisager de tourner en finale depuis la route directe LUPOL - OGROB n'a rien de particulièrement excessif, dans le cadre d'une approche à vue, et que d'autre part le FMS (Flight management system) indique sur l'écran la même construction géométrique que j'ai décrite plus haut. De plus la trajectoire tracée sur les écrans tient compte de la vitesse de l'avion ( il suffit de ne pas imposer le survol du point OGROB ), et l'overshoot de l'axe sera visible si l'avion va trop vite...
16:31:58
You are cleared for standard ILS Approach runway 24...
You are cleared for standard ILS 24 ... telle est formulée l'autorisation reçue par le vol Ryanair à 11:31:58, en descente vers le point LUPOL.
Dans le cadre d'une procédure d'arrivée cette autorisation est parfaitement codifiée et a donc une signification extrêmement précise, qui ne peut être ignorée par un pilote de ligne. Cette phrase est codée par le simple emploi du mot " standard " devant le nom de la procédure d'approche, ici ILS 24.
Elle indique au moins trois éléments importants :
- L'équipage est autonome du point de vue navigation et DOIT suivre la procédure d'approche telle qu'elle est définie sur la fiche d'approche ILS 24. Cliquez sur l'image ou ICI pour voir cette procédure d'approche standard ILS 24. ( tracé en vert ).
- L'équipage est autonome d'un point de vue navigation sur le plan horizontal donc, mais aussi sur le plan vertical. Il doit poursuivre sa descente jusqu'à la piste , en respectant les paliers et altitudes de passages définies sur la fiche. À conditions bien entendu, de rester sur la trajectoire définie ( tracé vert ).
- Il n'y a pas de guidage radar, seulement une surveillance de la part du contrôleur d'approche, qui par ailleurs considère que l'avion ayant accusé reception de cette autorisation, va rester sur la trajectoire définie.
L'équipage du vol Ryanair reçoit simultanément l'autorisation d'approche standard et l'instruction de descendre au niveau 70, après LUPOL. ( descend level 70 out of LUPOL ), niveau qu'il devait maintenir jusqu'au point noté " D5.8 ALD " ( distance au VOR/DME du terrain de 5,8 Nm ) Ensuite descente vers l'altitude de 5000 ' jusqu'au début du dernier virage, au point noté D8.9 ALD en éloignement depuis la balise ALG. En approche standard l'équipage n'a pas à demander d'autorisation pour descendre, un point qui aura eu son importance, on le verra, dans cet événement.
Le vol Ryanair arrive donc à LUPOL au niveau 90 (FL 90) et s'apprête à descendre au FL 70, suivant l'instruction reçue.
L'incident se joue à ce moment là
En effet à LUPOL, l'avion au lieu de continuer vers la balise ALG, tourne vers OGROB manifestement ... dans le but de terminer en approche à vue main droite comme évoqué dans le briefing avant descente ( voir rapport BFU ). Il lui reste 20 Nm avant de débuter le dernier virage en finale et non seulement il faut perdre environ 6000 ' mais encore faut-il réduire la vitesse et préparer l'avion. En palier ce peut-être fait aisément en 5 Nm maximum, donc l'avion doit descendre de 6000 ' en 15 Nm, ce qui représente une pente de 4° (400 ' / Nm). Pas de difficultés particulières, mais il faut descendre.
C'est pourquoi il semble demander à augmenter le taux de descente ( can we “ increase ” “ our rate ”of descend ? ) Curieuse phraséologie d'ailleurs, on comprendrait mieux qu'il ait demandé à accélérer ( can we increase our speed ? ) . Augmenter la vitesse en descente permettrait naturellement d'augmenter le taux de chute.
Seulement voilà, en dessous du niveau 100 (FL100) la vitesse est limitée à 250 kts max, vitesse qui ne donne pas un taux de descente fabuleux surtout si on s'abstient d'utiliser les aérofreins.... D'où la demande de l'équipage do we have any speed control under flight level 100 une façon de demander au contrôle aérien si on peut s'affranchir de cette limitation à 250 kts....
Le contrôleur leur confirme la limitation à 250 kts, l'équipage répond (contrarié ?) qu'il maintient la vitesse standard (au dessous du FL 100 soit 250 kts), ...
À suivre.... ICI.