Encore une fois, le premier ministre a insisté sur l'« urgence » de la réforme institutionnelle à apporter pour la Nouvelle-Calédonie. Les dernières tentatives des mêmes acteurs à sortir des accords de Nouméa se sont pourtant soldées par des échecs et ont amené les révoltes du 13 mai 2024. A chaque fois, l'alerte sur un passage en force et ses potentiels effets avait été lancée sans sérieuse prise en compte. On retrouve aujourd'hui beaucoup de schémas similaires malgré quelques différences de contexte. Si les mêmes causes produisent les mêmes effets, la peur d'un nouveau passage en force et ses conséquences est bien légitime [voir article Mediapart d'Ellen Salvi du 8 octobre 2025].
L'avenir institutionnel de la Nouvelle Calédonie ne peut se résoudre sans consensus d'après les accords, ni sans le peuple autochtone d'après l'ONU. Le FLNKS (parti indépendantiste principal) ne soutient plus l'accord de Bougival depuis le mois d'août. Pourtant, c'est bien cet accord que Sébastien Lecornu souhaite voir voté à l'assemblée nationale d'ici la fin de l'année. Une nouvelle fois, le gouvernement français opte pour le calendrier souhaité par les loyalistes, sourd aux alertes et répétant encore les mêmes manœuvres sous des formes à peine renouvelées.
Les rapports de domination du gouvernement français à l'égard de la population kanak et/ou indépendantiste de Nouvelle-Calédonie ont évidemment commencé dès la prise de possession en 1853 : spoliations, tensions, révoltes, massacres, et autres destructions de vies que provoque la colonisation de peuplement. Ces rapports ont fort heureusement évolués depuis, mais n'en demeurent pas moins des rapports de domination coloniale aujourd'hui. Pour comprendre cela et le danger de la méthode Macron et de ses alliés du départ comme Lecornu et Darmanin, il suffit de faire le bilan de ce que ces mêmes acteurs ont accompli jusque là. Il suffit de faire l'inventaire des passages en force en Nouvelle-Calédonie depuis l'arrivée de Macron à la présidence de la république, et de constater les résultats.
La première fois. Quand Emmanuel Macron arrive au pouvoir en 2017, la Nouvelle Calédonie est en plein processus de décolonisation dans le cadre de l'accord de Nouméa, suite des accords de Matignon-Oudinot. Un processus complexe unique portant un véritable espoir de destin commun, de vivre ensemble dans la reconnaissance de l'autre et des mémoires. En 2018, Macron fera sa première visite en Nouvelle-Calédonie. Edwy Plenel raconte bien dans son billet En Kanaky, la terre est le sang des morts comment dès sa première venue, Emmanuel Macron avait montré « le mépris d'un pouvoir qui s'imagine supérieur ». Il avait assisté au trentième anniversaire d'un des épisodes les plus tragique de l'archipel (le "massacre des dix-neuf" de la grotte de Gossanah à Ouvéa en 1988). Les gens de Gossanah avaient pourtant souhaité voir le président à une autre date par respect pour leurs morts, ce qu'il n'a pas respecté...
La deuxième fois. Les indépendantistes appelaient tous à reporter le troisième référendum qui allait survenir en temps de deuils coutumiers liés au covid 19, incompatible avec une échéance électorale pour la population kanak. Emmanuel Macron et son ministre des outres mer Lecornu n'ont pas respecté ces demandes. Le référendum s'est alors tenu sans la participation des indépendantistes en décembre 2021. Macron l'a tout de même considéré légitime et s'est réjouit publiquement en déclarant « la France est plus belle car la Nouvelle Calédonie a décidé d'y rester » [voir la France est plus moche].
La préparation de la troisième fois (De 2022 à 2024). Depuis ce référendum, la confiance est rompue pour de bon entre les indépendantistes et l'Etat français. Mais plutôt que de chercher à la regagner, Macron et Darmanin (alors ministre de l'intérieur et des outres mer) vont s'obstiner à ignorer les revendications indépendantistes et à collaborer avec les loyalistes les plus durs. En juillet 2022, la leader loyaliste radicale Sonia Backes sera même nommée secrétaire d'Etat en charge de la citoyenneté auprès de Darmanin. Les indépendantistes peinent de leur côté à retrouver une stratégie et espèrent un nouveau gouvernement pour discuter avec lui. L'Etat se montre inflexible et veut accélérer alors que les indépendantistes sont isolés : Darmanin dit vouloir discuter mais lance régulièrement des ultimatums, notamment pour que des discussions se cadrent autour du dégel du corps électoral. Pour lui, la question a été tranchée : « Pour la France, il n'y a plus de colonisation en Nouvelle-Calédonie, c'est une opinion des indépendantistes » (nc 1ère). Le sujet du dégel est alors central est nécessite de sortir de la lecture démocratique classique "un homme = une voix" pour en comprendre les enjeux dans une colonie de peuplement (voir les travaux de Benoit Trépied, Anthropologue).
La troisième fois. mai 2024. L'assemblée nationale s'apprête à débattre le projet de loi constitutionnelle pour le dégel du corps électoral. Son rapporteur est Nicolas Metzdorf, loyaliste radical allié de Sonia Backes qui en janvier avait offert un fouet à Darmanin. Le fouet étant un attribut des "stockmen" (population très majoritairement descendante de colons comme la famille de Nicolas Metzdorf), ce cadeau peut facilement être lu symboliquement. Après des semaines de manifestations pacifiques des indépendantistes et malgré une résolution du congrès de Nouvelle-Calédonie demandant le retrait du texte le 13 mai, le texte ira bel et bien au bout du processus.
Les débats commencent à l'assemblée nationale. Il fait nuit en Kanaky Nouvelle Calédonie à ce moment. Les gens du pays peuvent voir sur leurs écrans ces quelques député.es débattre avec les ministres macronistes et le rapporteur du texte, il n'y a pas grand monde dans l'assemblée. Au même moment dehors, ils peuvent aussi voir leur pays s'embraser. Le lendemain, le texte a été voté (351 voix pour, 153 contre).
S'en est suivi la période de révoltes, émeutes, insurrection, la terminologie varie dans les médias et les discours politiques pour désigner ces évènements. Les spécialistes admettent qu'ils sont au moins de l'ordre d'un soulèvement politique et social.
Manuel Valls et le conclave de Deva. Lors de sa prise en charge du dossier en décembre 2024, Manuel Valls (ministre des outres mer après la dissolution) s'est montré plus habile que ses récents prédécesseurs. Souhaitant retrouver le chemin du dialogue dans l'esprit des accords, il a manœuvré entre les positions radicales des uns et des autres, tout en veillant aux enjeux stratégiques de la France sur ce territoire. Cet article donne un large état des lieux de la situation. Le FLNKS ne demandait plus qu'une pleine souveraineté « entière et immédiate » et les loyalistes, aux manettes de la province Sud, ne montraient pas non plus de signes pour un compromis en réprimant collectivement la population kanak par des politiques discriminatoires (voir encore le même article). Les négociations cruciales qui devaient suivre ont pris la forme d'un conclave (à la mode depuis celui de Bayrou sur les retraites), où le projet posé sur la table par Manuel Valls était fondé sur une « souveraineté avec la France ». Presque tous les partis y ont trouvé leur compte, le FLNKS comme les loyalistes modérés. Seuls le Rassemblement-Les Républicain de Sonia Backes et Générations NC de Nicolas Metzdorf s'y sont opposés et ont quitté la table des négociations. Ils proposaient de leur côté un projet de « fédéralisme au sein de la république française » pouvant même suggérer une partition du territoire. (idée de Sonia Backes pouvant amener à une forme d'apartheid).
Le conclave de Deva (7 mai 2025) s'est donc soldé par un échec, et les discussions ont été amenées à se poursuivre à Paris dans un cadre nouveau.
L'accord de Bougival. Puisque les loyalistes radicaux ne se sont pas ouverts au compromis, une nouvelle séquence de négociation s'est ouverte à Bougival, non loin de Paris. Le 12 juillet 2025, après dix jours de négociations, un projet d'accord est enfin signé par tous les acteurs présents : le "pari de la confiance". Loué comme un véritable compromis équilibré par la plupart des partis, l'accord a ensuite été rejeté par le FLNKS qui a fini par désavouer ses membres signataires, jugeant le projet « incompatible avec le droit à l'autodétermination » et « porteur d'une logique de recolonisation ». Sur ce sujet comme pour beaucoup d'autres, Emmanuel Macron est silencieux depuis un moment. Manuel Valls a quant à lui appuyé sur l'importance d'aller au bout de cet accord, regrettant le retrait du FLNKS mais continuant malgré tout à avancer sans lui. Plus largement, le projet d'accord ne faisant plus l'unanimité a également ravivé des inquiétudes sur la gestion de l'Etat qui est déterminé à porter jusqu'au bout le "pari de la confiance" sans le parti indépendantiste historique.
Aujourd'hui, Sébastien Lecornu est de retour sur le dossier calédonien en tant que premier ministre. Les loyalistes se réjouissent une nouvelle fois de la nomination de celui qui avançait largement dans leur sens quand il était aux outres mer. Sur ce poste , Sonia Backes remercie également Manuel Valls qui selon elle « depuis l'accord de Bougival, ne ménageait pas ses efforts ». En effet, avant l'accord de Bougival, celle-ci ne portait pas le ministre en bonne estime.
La question qui se pose aujourd'hui avec la supposée « urgence » de la proposition constitutionnelle est donc celle qui s'est déjà posée de nombreuses fois auparavant : L'Etat doit-il encore suivre le calendrier voulu par les loyalistes, en avançant avec eux et sans le FLNKS ?
Si les mêmes causes produisent les mêmes effets, la réponse est évidemment non.