L’ambassade d’Egypte à Berlin s’avère un exemple parfaitement réussi d’égyptomanie à l’orée du troisième millénaire.
Depuis la chute du mur et la réunification de l’Allemagne, Berlin est devenu un terrain propice aux expérimentations d’urbanisme. De vastes espaces vides sont disponibles et favorisent l’innovation des formes, des matières et des couleurs des édifices d’avant-garde. Quartier par quartier, ilot par ilot, les plus grands architectes contemporains rivalisent d’audace, tant pour les immeubles de prestige que pour les ensembles résidentiels.
Le cas des nouvelles ambassades est particulièrement révélateur de cette frénésie de « postmodernité ». En redevenant capitale, la ville a obligé les Etats étrangers à transférer leur mission diplomatique qui se donnent à voir dans le cadre d’une véritable exposition internationale d’architecture permanente. Dans le centre de Berlin et surtout au sud du Tiergarten quatre-vingt ambassades concourent à représenter une vision du XXI° siècle.
L’Egypte a opté pour un édifice de forme simple, avec deux hexaèdres rectangulaires emboités. Mais les matériaux, les couleurs et le décor de l’ambassade collaborent au dessein d’égyptomanie[1] de ses concepteurs. Les architectes Samir Rabie, originaire du Caire, et ses associés du cabinet Kendal de Berlin ont remporté le concours organisé en 1998. Le bâtiment a été livré en octobre 2001, pour un montant de 23 millions d’euro.
Les façades revêtues par des plaques de pierre polie et colorée font référence au fameux granite rose d’Assouan. Cette syénite prestigieuse est le matériau dans lequel ont été taillés de nombreux monuments emblématiques de l’Egypte ancienne. Tels certains colosses monolithes, comme celui de Ramsès II au Ramesseum. Tels encore les grands obélisques, vecteurs du contact de la terre avec le monde divin.
Sur la rue Stauffenberg, la façade rouge de l’immeuble semble aveugle, car sans fenêtre, à l’exception de l’entrée principale qui se manifeste par une niche en verre coloré sur trois étages, soutenue par deux hautes colonnes. Au-dessus et en retrait, un dernier niveau de métal noir alterne fenêtres et reliefs. Ici les couleurs opposées parlent pour l’Egypte antique. Kem, le noir, évoque la teinte du limon fertile du Nil, porteur de renouveau annuel et métaphore de la régénération dans l’Au-delà. Cette terre noire a donné jadis son nom de kemet, la noire, au pays des Pharaons. Son contraire, le rouge desher, incarne la couleur du désert aride au sable brûlant, desheret. Teinte du sang et du feu, agressive et menaçante, c’est aussi un symbole de force, de vie et de victoire dans l’ancienne Egypte.
Le décor de la façade associe des représentations symboliques avec quelques idéogrammes hiéroglyphiques. Les lignes ondulées de la partie inférieure symbolisent le Nil à la manière des reliefs et des peintures des tombes thébaines. Au-dessus s’élèvent des tiges de lotus et de papyrus, emblèmes respectifs de la Haute et de la Basse Egypte. Dans ces fourrés, de drôles d’oiseaux, les rekyt, nichés sur des paniers neb, lèvent des bras humains sur une étoile doua. A partir de cette formule hiéroglyphique usuelle des rites pharaoniques, on peut comprendre ici que le peuple entier célèbre le pays uni. Tout en haut, la ligne blanche munie de deux pointes verticales représente le ciel pet, comme dans les scènes égyptiennes, toujours situées entre le ciel et la terre. Enfin, le décor de l’étage noir comporte des tiges végétales et des palmettes symboles d’origine nilotiques.
Ainsi les architectes de l’ambassade égyptiennes de Berlin ont su intégrer les éléments décoratifs typiques du pays des Pharaons, sans recours toutefois aux poncifs trop attendus de la pyramide ou de l’obélisque qui auraient alourdi le projet au point de le rendre trop bavard. Ici l’égyptomanie du XXI° siècle reste sobre, alors même qu’elle se confronte au plus difficile lorsqu’il s’agit d’inspirer un édifice entier sans se limiter au décor superficiel. Nous en verrons bientôt d’autres exemples, plus discrets ou plus étonnants, qui amènent à constater la persistance de ce courant créatif parmi les innombrables cheminements du postmodernisme.
[1] Pour la signification du mot « égyptomanie » et sa distinction avec l’égyptophilie et l’égyptologie, consulter un billet précédent de ce blog, à voir ici.