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Billet de blog 6 novembre 2015

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LOI MACRON: A CONCERTER AVEC MODERATION

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A peine la création d'une mission spéciale sur l'application de la loi MACRON était-elle annoncée que le député Richard FERRAND, également rapporteur du projet de loi et président de cette nouvelle commission, explique que "cette mission va tout faire pour accélérer la mise en place des mesures votées… et lever tous les freins qui ralentiraient sa mise en œuvre".

Ce qu'oublie de mentionner Mr FERRAND est que, pour certaines de ses dispositions, les principaux freins à l'application de la loi tiennent à sa mauvaise rédaction.

Ainsi, en ce qui concerne les dispositions relatives au notariat, les rédacteurs des décrets éprouvent quelques difficultés à appliquer concrètement les dispositions relatives au tarif et à la libre installation, difficultés que nous avions par ailleurs anticipées ( http://blogs.mediapart.fr/blog/hugues-lemaire/100815/loi-macron-le-piege-des-decrets-dapplication ) .

Concernant le tarif, la principale difficulté provient de ce que la loi, en retenant la notion de coût pertinent et de juste rémunération, aura un effet anti-social inévitable, la moitié des actes notariés étant actuellement produits à perte, c'est-à-dire rémunérés bien en dessous de leur  prix de revient  et sans rémunération raisonnable. Ces actes produits à perte concernant en général les clients les moins fortunés, la conséquence directe de la réforme sera d’augmenter le coût d’accès de ces clients au service notarial, quand ils ne devront pas y renoncer purement et simplement.

En ce qui concerne la libre installation, la loi prévoit que " I- les notaires... peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparait utile… Afin de garantir une augmentation progressive du nombre d'offices à créer ... cette carte est assortie de recommandations sur le rythme d'installations …

II- Dans les zones mentionnées au I-, lorsque le demandeur remplit les conditions...le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office de notaire... créé. Un décret précise les conditions d'application du présent alinéa.

III- Dans les zones, autres que cellesmentionnées au I,...leministre de la justice peut refuser une demande de création d'office..." (art.52)

Le dispositif mis en place est donc celui d'une libre installation, dès lors que l'on se trouve en zone carencée, l'intervention du ministère de la justice se limitant à vérifier les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommé en qualité de notaire.

Il n'est donc ici question d'aucun contrôle à priori, ni sur le nombre de libres installations possibles, ni sur une éventuelle procédure d'ordre ou de préférence. Tout au plus est-il précisé que la carte est assortie de recommandations sur le rythme d'installations, ces recommandations ne pouvant par nature consister en des règles contraignantes qui limiteraient à priori le nombre d'installations possibles.

C'est bien ce que risquent de faire valoir les diplômés  notaires qui rêvent de pouvoir s'installer librement, et qui n'entendent pas se soumettre à d'autres contrôles que ceux expressément prévus par la loi.

Lors de sa venue au Conseil Supérieur du Notariat le 28 octobre dernier, le ministre de l'Economie a tendu la main à la profession en souhaitant l'associer à la rédaction des décrets relatifs au tarif. Notons que cette main tendue l’a été alors qu'un premier projet de décret avait déjà circulé, projet que nous avions par ailleurs commenté lors d'un précédent billet ( http://blogs.mediapart.fr/blog/hugues-lemaire/180915/est-il-pertinent-detre-raisonnable ) , et semble-t-il abandonné par suite d’un  trop grand nombre d’incohérences.

Le ministre a également précisé qu'il réfléchissait à un système permettant de limiter et de contrôler le nombre d'installations dans les zones dites carencées, ce contrôle pouvant prendre la forme d'un concours, de l'application de la règle "premier arrivé premier servi" (qu'il ne trouve pas pertinente), ou d'un tableau d'ordre national . On pourrait lui suggérer le tirage au sort, déja pratiqué dans certaines filières.

Or, ainsi que l'a très justement fait observer un président de Conseil Régional de notaires, la liberté d'installation contrôlée n'est ni plus ni moins qu'un oxymore.

Et c'est là que l'on prend conscience du dogmatise qui a prévalu tout au long de l'élaboration de cette loi, qui conduit maintenant au constat simple, mais évident ,que les décrets ne pourront être conformes à la loi, au risque d’arriver au résultat inverse de celui recherché. Et l'on y ressent  le manque de réalisme de dispositions prises dans la chaleur ouatée de bureaux ministériels en dehors de toute conscience des modes de construction historique et sociologique des règles régissant la profession notariale.

Ce qui est d'ailleurs confirmé par la petite assertion de notre jeune ministre devant les élus de la profession, lorsqu'il a évoqué la question de la garantie collective mise en place par la loi du 25 janvier 1934, sur rapport - fort instructif - de Mr Marcel LACHAZE.

Lors de sa venue, notre nouveau ministre de tutelle (?) a bien insisté sur le fait que la concertation en cours sur le tarif et la libre installation n'était pas une co-rédaction des décrets, et que concerter ne voulait pas dire co légiférer. Propos rappelés dès le lendemain lors du point d'étape sur l'application de sa loi.

Le notariat ne prétend aucunement remplacer le législateur, si tant est que la loi ait effectivement  été rédigée par celui-ci, et non par des technocrates comme cela est trop souvent le cas.

Il peut néanmoins légitimement se poser la question de savoir s'il n'eut pas mieux valu que cette concertation ait lieu bien en amont de la rédaction de cette loi, ce qui aurait permis d'éviter à notre ministre de l'Economie les déconvenues qu'il connait actuellement, et qui risquent de conduire à ce que les décrets d'application de sa loi soient au final contraires aux dispositions de cette même loi.

S'il est très souvent reproché au Notariat sa trop grande prudence, et souvent par ceux-là même qui lui imposent toujours plus de responsabilités et de contraintes, cette prudence notariale aurait donc été bien utile à ceux qui, pris à leur propre piège, se trouvent maintenant dans une impasse.

Est-il donc réellement de l’intérêt d’une profession d’aider ceux qui ont voulu en anéantir les vertus,  à sortir de l'impasse dans laquelle ils se sont sciemment mis, au risque de devoir en assumer une part de responsabilité en cas d’échec ?

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