Ils sont nombreux à pérorer régulièrement contre les programmes d'histoire (primaire et collège) du haut de leurs titres de noblesse médiatiques.
Ils rêvent d'un "roman national" linéaire (des dates), symbolique (des lieux), mythique (des personnages) qui cimentent "La Nation" ...
Heureusement, leur verbiage ne reste pas sans réponse et de nombreux spécialistes de l'histoire (enseignants, chercheurs) ont expliqué, en s'appuyant sur une argumentation raisonnée et illustrée, les erreurs grossières de ces affabulateurs (voir ici ou ici, là ou encore là). Ces réponses et ces arguments n'ont malheureusement pas eu l'impact médiatique que l'on aurait pu souhaiter. J'aimerais apporter ici une dimension sentimentale et irraisonnée à ces réponses. Les tenants du "roman national" désirent un mythe fondateur ; ils sont aussi peut-être nostalgiques de celui de la fin du 19ième siècle. Ce roman qu'ils appellent de leur voeux ne doit leur renvoyer que la carte postale d'une France qu'ils fantasment. Ce n'est pas de l'histoire (discipline scientifique).
Ce qu'ils veulent c'est une histoire, le récit familial des ancêtres qui flatte les sentiments et l'imagination (ex : mon grand-père anarchiste se plaisait parfois à prétendre être un descendant illégitime d'Henri IV).
Ma vie et mon histoire, comme celles de la plupart de mes concitoyens, sont incompatibles avec une telle histoire ; un tel conte. Si j'ai passé l'âge d'user les chaises de nos écoles mes enfants vont bientôt commencer. Quel "grand récit fédérateur", "basé sur [quels] grands personnages" ?
Puisque que nous sommes dans la carte postale et que c'est un poncif : commençons par ces ancêtres les Gaulois ... Les ancêtres de mes enfants sont certainement tout à la fois basques, berbères, et celtes mais on ne peut vraiment exclure des ancêtres perses ou bantous.
Pour suivre la chronologie, si chère à certains, parlons un peu de Rome :"Vercingétorix vaincu, Rome apportant la civilisation au territoire de France". Si cela peut faire plaisir à certains, c'est une idée complètement erronée comme l'ont montrés les récents travaux sur le sujet. Par ailleurs quant à parler de Rome, il est bien plus intéressant et fédérateur d'étudier l'ensemble du monde méditerranéen du temps de la République : échanges - unification(s) - résistance(s) ; et d'observer qu'aujourd'hui encore cette zone géographique est encore au centre de nos préoccupations. Le passage à l'Empire nous renseigne sur la "fragilité naturelle" de la république et est l'occasion de commencer une histoire de l’Europe qui dans mes souvenirs est absente (avant la seconde moitié du XXième siècle)
Après Rome, les conteurs d'images d'Épinal se plaisent à peindre quelques figures mérovingiennes (Clovis), carolingiennes (Charles Martel, Charlemagne) puis capétiennes. La successions des noms oubliés des anciens rois n'est pas d'un grand secours à la compréhension ni de l'histoire (d'Europe) ni du monde d'aujourd'hui. Si Charles Martel à repoussé les arabes en 742, mon père aimait à remarquer : "pas tous ! la preuve ;-)". La figure de Charlemagne à l'échelle européenne est bien plus riche et complexe que sa présentation franco-française : Français ? Allemand ? Germanique ? Européen ? L'étude (à l'école) du moyen-âge pourrait-elle être une brique dans la construction d'une vision européenne renouvelée ...
La Renaissance est, pour ces admirateurs du récit, une nouvelle occasion de se concentrer sur quelques portraits (François 1er, Henri IV, ...) oubliant que la société ne se résume pas à un homme ou une femme. Je pourrais ainsi continuer à parcourir la galerie des personnages adorés des amateurs de romans qui veulent réduire l'histoire et le monde à une collection de petits médaillons peints.
Les élèves de nos écoles ont plus sûrement besoin de comprendre les interdépendances des pays européens, l'évolution des rivalités sociales, économiques et politiques liés aux guerres de religions (entre chrétiens mais aussi entre monothéistes), les dynamiques politiques et économiques qui ont conduit à la traite des esclaves ou à la colonisation ainsi que leur conséquences dans le passé et aujourd'hui. De même, l'étude des dynamiques sociales de l'époque contemporaine est bien plus enrichissante que la régurgitation des dates marquantes de la vie de M. Bonaparte.
Au-delà de la nécessaire compréhension du passé, je ne peux imaginer comment réconcilier dans un "roman fédérateur" les aïeux de mes enfants : les nostalgiques de l'OAS et les anciens combattants du FLN algérien peuvent partager poliment un dîner de famille, peuvent s'accorder sur des faits mais auront les plus grandes difficultés à s'accorder sur une figure unique, allégorie positive, de leur histoire commune. Je n'envisage d'autre alternative pour mes enfants que de regarder l'Histoire en face pour comprendre le passé, préparer l'avenir et laisser les anciens à leur froides querelles.
Notre histoire et nos histoires sont infiniment plus riches et plus complexes qu'une succession de figures parisiennes. Il est ainsi heureux et essentiel que cette richesse et cette complexité se reflètent dans l'enseignement de l'histoire dans nos écoles.
Ismaël