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Billet de blog 27 janv. 2023

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À Toulouse, « Furie Française » fait sa loi

Le groupuscule d’extrême-droite a mené une campagne pour faire annuler un atelier de lecture animé par deux drag-queens dans une médiathèque toulousaine. En quelques jours, la haine LGBTQIphobe qui s’est déchaînée contre les deux artistes a fait céder la mairie.

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Hommage par Furie Française, anciennement La Meute, à Emmanuel Cueff, le 7 novembre 2021

A Toulouse, des identitaires nommées Furie Française

« Pédophiles gauchistes », « erreurs de la nature » : les insultes contre les deux drag-queens pleuvent sur les réseaux sociaux. Aux racines de cette violence, il y a le collectif Furie Française. Proche de l’Action française, de Génération Zemmour, de la Cocarde ou encore de l’Union Nationale Interuniversitaire (UNI), ce petit groupuscule fait du tapage en région toulousaine. En avril dernier, ce puissant alliage d’extrêmes-droites avait manifesté devant la cathédrale de Toulouse pour dénoncer « l’islamisme et le climat anti-chrétien ».

En septembre, pour mettre en exergue l’insécurité régnant supposément à Toulouse, il font prendre une couleur rouge sang à une fontaine en y versant du colorant. Ce mode opératoire ne peut que nous faire penser à celui des Remparts de Lyon, qui, en début janvier, avaient tacheté de faux sang le nom d’Axelle Dorier pour renvoyer à l’insécurité. Anciennement appelé « La Meute », Furie Française fait partie des collectifs d’extrême-droite ayant bénéficié de la dissolution de Génération Identitaire (GI), dont les membres ont adhéré à des structures plus ancrées localement.

On peut ainsi apercevoir sur une photographie postée sur le compte Instagram de Furie Française en septembre 2021, soit peu après l’émergence du groupe, un militant portant un t-shirt flanqué du slogan « Defend Europe », renvoyant à l’opération xénophobe éponyme, à laquelle GI avait participé. Anne-Thaïs du Tertre d’Escœuffant, dite Thaïs d’Escuffon, l’ancienne porte-parole de Génération Identitaire, réside également en région toulousaine, mais rien n’indique qu’elle soit membre de Furie Française. Ce bref portrait doit nous indiquer que les militants furieux sont chevronnés et disposent d’un puissant réseau de soutien au sein de l’extrême-droite réactionnaire.

Illustration 2
Un membre de la meute porte un t-shirt Defend Europe le 26 septembre 2021, du nom de l'opération menée par GI

La Manif pour Tous ajoute son grain de sel

Il y a une grande différence entre colorer l’eau d’une fontaine et parvenir à faire plier la mairie de la cinquième ville française, chacun en conviendra. Comment s’est donc déroulé l’opération ? Le 9 décembre 2022, le compte officiel de la Manif pour Tous publie sur Twitter un média présentant l’atelier de lecture. On y voit Shanna Banana, drag-queen, expliquant face caméra la déroulé de l’atelier. Une vidéo somme toute fort sympathique, à laquelle un esprit ouvert ne trouve rien à redire. « PARENTS, REVEILLEZ-VOUS ! » tonne toutefois l’homophobe Manif pour Tous, qui fait le lien (capillotracté) avec le « Wokisme » régnant à l’IEP de Paris. Sous le tweet, la panique morale prend forme : « pédophiles », « tarés les wokes », « déviants », « pourriture », « salissure »…

Dans la foulée, le collectif part également en croisade contre un évènement du même genre à Bordeaux et contre la saison 2 de Drag Race, une série diffusée sur France TV. L’intolérance organisée aurait pu s’arrêter là, mais c’est sans compter l’entrée dans la danse de Furie Française (à laquelle la Manif pour Tous ne manifeste aucun soutien explicite). Le groupuscule redécouvre l’affaire le 21 janvier, et annonce immédiatement la création d’une pétition pour annuler l’atelier de lecture destiné aux enfants âgés de 3 à 6 ans. Il lui reproche son « hypersexualisation », dénonce une « propagande politique », « Le tout payé par VOS impôts » rajoutent les identitaires. Il faut vraiment être dans l’ignorance la plus totale de la culture drag pour en faire cette description, mais passons.

L’atelier est encadré par l’Espace diversités laïcité de la mairie de Toulouse. L’objectif de cet espace est de « faire de la lutte contre les discriminations un préalable à toute action politique et citoyenne. ». Cet atelier, dont le but n’est évidemment pas d’endoctriner les enfants mais « d’aborder des histoires qui prônent la bienveillance », des thèmes comme la monoparentalité ou l’autisme, y a donc toute sa place et ne présente un danger pour les enfants que dans les fantasmes des réactionnaires.

Une victoire symbolique pour l’extrême-droite

Il serait évidemment bien vain d’expliquer tout cela à l’extrême-droite. En quelques jours, la pétition de Furie Française, publiée sur mesopinions.com, récolte plus de 5 000 signatures. Le 24, soit trois jours après le lancement de la pétition, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc (Les Républicains) cède à la pression et choisit avec un cynique choix de mot de « réorienter » l’atelier en en conditionnant l’accès à la majorité révolue. Il justifie cette réaction par la crainte de « trouble à l’ordre public ». La mairie, qui compte parmi ses adjoint un membre influent de la Manif pour Tous, indique également que « Ce choix de programmation […] peut déstabiliser une partie du public. ».

Pour contrebalancer cette nouvelle, le maire toulousain promet de demander au ministre de l’Intérieur la dissolution de Furie Française. Une grande défaite pour une petite victoire ? De leur côté, les identitaires se frottent les mains. Furie Française communique en grandes pompes, remerciant l’extrême-droite pour sa prompte mobilisation. La section locale de Reconquête ! adresse ses félicitations au collectif, pendant que la Manif pour Tous appelle le maire à traiter avec sévérité un autre atelier, maintenu.

La dissolution de Furie Française semble, quant à elle, bien improbable. Pour l’extrême-droite, c’est une nouvelle victoire hautement symbolique, qui vient s’ajouter à celle, encore plus éclatante, de Callac, où l’extrême-droite était parvenue à rejeter l’accueil de réfugiés dans la commune bretonne. Une dynamique d’autant plus inquiétante que l’affaire de Toulouse n’a eu qu’une résonance restreinte dans les médias nationaux, contrairement à celle de Callac.

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