L'Afrique du Sud a saisi la Cour de Justice Internationale contre Israël pour des faits de génocide. Mais la démarche accuse aussi Israël de manquer à son devoir d'empêcher un génocide d'être commis à Gaza et de ne pas poursuivre les personnes s'engageant dans l'incitation à commettre un génocide.
Selon la convention sur le génocide, chaque état signataire a obligation d’empêcher la commission d'un acte de génocide et de poursuivre les incitations au génocide.
Dans la convention, le crime de génocide est défini par son l'article 2* (voir ci-dessous). Je ne suis pas juriste. Une lecture naïve (de non-expert en droit international du génocide) donne l'impression qu'il peut y avoir matière à poursuivre Israël pour des actes entrant dans cette définition. En effet : « le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique [...] : meurtre de membres du groupe, [...] soumission intentionnelle [...] à des conditions [...] devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ». Ceci semble pour le moins exiger que les action Israéliennes à Gaza soit examinées à cette aune par la Cour. Les meurtres de civils sont avérés ainsi que la volonté de laisser les gazaoui dans une situation où la survie est difficile. L’intentionnalité semblerait découler des déclarations des officiels israéliens ainsi que de l'accumulation de ces actes sans la moindre tentative d'infléchir les dommages faits aux civils. Mais, je l'écris à nouveau, je ne suis pas juriste.
Cependant, en français, en France au moins, pour certains, (et non en droit) et dans beaucoup de langues le terme de génocide est étroitement associé à la Shoah. Certains voudraient même que ce soit l'unique évènement qui mérite ce nom (ce n'est pas mon cas). Sans aller jusque là, il semble que le terme génocide, dans le langage courant ne soit pas exactement celui de la convention sur le génocide. Il recouvre en plus, un caractère quantitatif où le nombre ou la proportion semble intuitivement faire partie de la « définition » ou tout au moins de l'acception populaire. Ce terme est fortement connoté, si fortement peut-être que « la référence » pour « juger » du crime de génocide est celui conduit par l'Allemagne et (certains de) ses alliés contre les juifs pendant la seconde guerre mondiale. Cela ne veut pas dire qu'il ne puisse, dans l'opinion, y avoir d'autres génocides mais que ceux-ci, pour cette acception, seraient « comparables » à la Shoah, probablement surtout quantitativement.
Il y a donc, à mon avis, deux notions de génocide, l'une juridique et bien définie, l'autre empirique et relative. Faute de distinguer les deux, le discours se heurtera nécessairement au rejet immédiat par ceux pour qui « la » définition n'est pas celle qu'on utilise implicitement. Quand l'Afrique du Sud accuse Israël devant la Cour de Justice Internationale, il s'agit bien sûr de la première. Elle n'accuse pas Israël d'avoir commis ou d'être en train de commettre une autre Shoah, avec 5 ou 6 millions de morts, représentant de l'ordre de 50% des juifs européens de l'époque. S'il faut vraiment essayer de comparer les horreurs, le nombre, monstrueux, de morts à Gaza est de 25 000 environ ce qui représente un peu plus de 1% de la population, entre 1% et 2% donc. Qu'on me comprenne, 1% c'est énorme, quasi-inconcevable, inacceptable, honteux et révoltant. C'est ce que j'avais exprimé dans un précédent billet. Je ne cherche pas du tout à minimiser les massacres commis à Gaza par Israël. Le but de ce billet est juste d'expliquer, à ceux qui n'ont pas en tête la référence à la convention sur le génocide*, ce que l'Afrique du Sud reproche à Israël et qu'elle a engagé ces démarches, en partie au moins, pour protéger les palestiniens d'encore plus de massacres (comme l'y oblige la convention). Il peut peut-être aussi servir de réponse constructive partielle à lettre-aux-antisionistes d'Olivier Tonneau. Et peut-être cela incitera-t-il à la prudence rhétorique ceux qui sont convaincus que les horreurs se déroulant à Gaza sont un génocide, quand ils s'adressent à des interlocuteurs pour qui génocide et Shoah sont irrémédiablement entrelacés. Peut-être la distinction peut-elle servir à ce que ceux de bonne volonté se comprennent au moins, à défaut de se mettre d'accord.
Dans l'acception juridique et dans l'objectif de prévenir un génocide, il semble difficile de donner tort à l'Afrique du Sud. C'est pourquoi l'annonce de l'Allemagne se portant partie au dossier devant la CIJ pour défendre Israël est si choquante : elle est aussi une opposition à l'Afrique du Sud dans son effort fondé d'arrêter le bain de sang. Cette position de l'Allemagne (« aucun fondement aux accusations de génocide ») **, semble injustifiable...
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* Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
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**Selon Associated Press : l'Allemagne dit qu'il n'y a aucun fondement aux accusations de génocide contre Israël par l'Afrique du Sud [vraiment ???]
On Friday afternoon, Germany said it wants to intervene in the proceedings on Israel’s behalf, saying there was “no basis whatsoever” for an accusation of genocide against Israel.
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