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Billet de blog 11 août 2019

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Bêtisier d'Europacity n°8- L'imposture des 10 000 emplois prétendus

A l'issue du débat public de 2016, la direction d'Europacity a choisi les statistiques les plus arrangeantes, s'abritant derrière l’État, quitte à tordre la vérité et à prétendre ne supprimer AUCUN EMPLOI ! Mais depuis, la crise de la grande distribution, le dérèglement climatique, la concurrence entre grands pôles ont fortement décrédibilisé ce projet et rendu les promesses bien aléatoires...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

I. Europacity n’a JAMAIS effectué de véritable étude « Emploi »

I.1. Sémaphores : une pseudo étude cumulant les absurdités

La seule analyse financée par Europacity à ce jour apparaît particulièrement indigente et ne mérite guère le nom d’«étude ». Effectuée par le cabinet Sémaphores en 2011 [1], elle ne peut constituer une caution scientifique. Elle se base sur des statistiques de 2009 et ne comporte que 17 pages… Est-il pensable de s’appuyer sur des données aussi survolées, aussi anciennes, jamais approfondies ou réactualisées, pour justifier un projet dont l’ouverture serait désormais programmée en 2027 et dont les investissements mobiliseraient 3,1 milliards d’euros ? Surtout en comparaison des dépenses de publicité effectuées par l’opérateur Immochan (baptisé depuis Ceetrus), dont le montant atteignait déjà 30 millions d’euros en 2016, à l’époque du débat public ! Une somme sans doute largement dépassée depuis (notamment avec l’organisation en 2017-2018 d’un concours d’architecture, puis de l’exposition des œuvres des lauréats dans les locaux du 104-Paris...) Pire encore, le document Sémaphores jamais démenti comporte de très graves erreurs de méthode cumulées qui aboutissent à des chiffres aberrants, par exemple en additionnant les emplois escomptés pour le chantier et ceux du centre commercial et de loisirs après ouverture (totalisant 36 500 emplois sans aucune justification) [2]. Heureusement, en 2016, le débat public organisé par la CNDP (Commission Nationale de Débat Public), sous l’égide de Mme Brévan présidente de la CPDP (Commission Particulière du Débat Public) dédiée à Europacity, a été l’occasion d’émettre des évaluations plus crédibles.

I.2. Quand Europacity évacue la question de la cannibalisation des emplois

Au cours du débat public, le travail bâclé de Sémaphores a fait l’objet de vives critiques des opposants à Europacity. Mais fait plus grave, tout au long du processus, a été exprimé le refus persistant du maître d’ouvrage de calculer des « emplois nets » (obtenus en retranchant aux « emplois bruts » le nombre de postes supprimés par ailleurs, ce qu’on désigne souvent sous le terme de « cannibalisation d’emplois »), au prétexte que son méga-complexe ayant un caractère « unique », « exceptionnel »… cette « offre inédite » ne pourrait en aucune façon faire concurrence aux activités existantes ou futures du territoire (quelle preuve en a-t-on puisque les contenus du projet ne sont toujours pas définis, encore aujourd’hui?), au motif que les emplois bruts se confondaient avec les emplois nets… A l’inverse, dans son rapport final, Mme Brévan a bien spécifié que pour les experts, « l’hypothèse d’une totale étanchéité entre Europacity et les centres commerciaux existants à proximité reste peu crédible. » Il est en effet bien difficile de prétendre qu’ajouter 500 boutiques et 250 000 m2 de surfaces commerciales supplémentaires [3] n’aurait aucun impact sur l’activité et les effectifs des 5 centres commerciaux [4] situés dans un rayon de proximité de 5 kms [5], totalisant eux-mêmes 650 boutiques et 290.000 m2 comme il est indiqué sur les cartes ci-après (Figures 1 et 2).

Illustration 1
Figure 1 © J. Lorthiois
Illustration 2
Figure 2 © J. Lorthiois

 C’est dans ce contexte de « points de désaccords inconciliables » [6] que Mme Brévan a sollicité M. Degorre, directeur adjoint de l’INSEE Picardie, afin qu’il fournisse un « dire d’expert » indépendant [7], financé sur le budget propre de la CNDP. Ce dernier a analysé les différents points de vue, présenté des données réactualisées en 2013 par branches d’activités et produit à partir de ces statistiques deux montants fortement attendus : le total des emplois bruts estimés à 10 115 (arrondis à 10 000) ; et celui des emplois nets situés dans une fourchette comprise entre 7385 et 8100, soit un effectif moyen de 7700 emplois. C’est seulement ces résultats qu’il conviendrait d’utiliser, puisque M. Degorre a clairement précisé dans son propos que « l’absence de chiffrage de la cannibalisation dans le dossier du maître d’ouvrage au motif d’un « effet limité » n’est pas recevable ». Pourtant c’est le chiffre brut de 10.000 emplois - n’ayant aucune valeur statistique d’après son auteur - qu’ Europacity a toujours et partout diffusé dans l'ensemble de sa communication.

I.3. D’autres estimations bien plus pessimistes

Parallèlement, une autre étude très détaillée a été réalisée par le cabinet McKinsey[8] commanditée par l’inter-communalité Paris Terres d’envol présidée par M. Bechizza, maire d’Aulnay-sous-Bois, avec la participation des foncières propriétaires des centres commerciaux les plus proches (Unibail : Aéroville à Roissy ; Hammerson : O’Parinor à Aulnay), soit un groupe d’acteurs directement menacés par le mégacomplexe. L’originalité et l’intérêt de l’évaluation de McKinsey résident dans sa démarche prospective, établissant 3 scénarios différents suivant le degré d’attractivité généré par Europacity :

- scénario 1/ Un pôle commercial de rayonnement régional ;

- scénario 2/ Un pôle de loisirs/culture et commercial d’attraction nationale ;

- scénario 3/ Un pôle de « destination touristique » à rayonnement international.

On trouvera en annexe les différentes conditions nécessaires pour atteindre l’un ou l’autre de ces scénarios. Le troisième, le plus difficile à atteindre, correspond à l’objectif affiché par le maître d’ouvrage.

En synthèse, le cabinet McKinsey démontre que dans les 3 cas, les hypothèses affirmées par Europacity seraient largement surestimées, avec une offre partiellement substituable aux équipements existants. On peut s’interroger par exemple sur les possibilités d’atteindre l’une des conditions du scénario n°3 (« implanter des enseignes françaises majeures ») alors que l’UCV (l’Union du Grand Commerce de Centre-Ville, qui réunit les Galeries Lafayette, le Printemps, le BHV, le Bon Marché, Monoprix) s’est clairement positionnée contre Europacity [9]… Au total, d’après McKinsey, le mégaprojet générerait sur le Triangle de Gonesse un nombre de créations nettes (en intégrant les effets de la cannibalisation) compris entre 500 et 3000 emplois selon les scénarios. C’est pourquoi on peut craindre à moyen terme pour Europacity une réduction des effectifs implantés (ce qui ne signifie pas forcément « créés »), voire une fermeture de l’équipement s’il s’avère non rentable. Nous possédons dans le Val d’Oise un précédent – Mirapolis [10] - ouvert en 1987... qui a déposé le bilan en 1990 et fermé ses portes en 1991, dont les terrains sont actuellement toujours en friche. Il n’a pas résisté à la mise en service du parc Astérix en avril 1989, alors qu'EuroDisney n’était même pas encore ouvert (avril 1992) ! Visant un objectif initial de 2 millions de visiteurs, il n’a jamais dépassé une fréquentation de 400 000 personnes.

Par ailleurs, j’ai entrepris moi-même une évaluation sommaire des emplois bruts se montant à 7700-8000, basée sur des comparatifs de projets similaires dont on trouvera le détail dans le tableau suivant (Figure 3).

Illustration 3
Figure 3 © J. Lorthiois

J’aurais pu réaliser des travaux similaires à ceux que j’avais entrepris au sein d’un collectif d’experts pour le compte de l’ANPE en 1989-1992 lors de l’implantation du parc de loisirs EuroDisneyland, portant sur les emplois de la phase chantier et de la phase exploitation [11]. Malheureusement, faute de budget, le Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG) n’a pu financer une véritable étude approfondie que nous aurions pu conduire - avec une analyse / filières par enquêtes auprès d’un échantillon représentatif d’entreprises locales, un inventaire détaillé des qualifications de la main-d’œuvre du territoire, ainsi que des fiches métiers - qui aurait permis à la fois de préciser les emplois bruts et nets, en tenant compte du contexte socio-économique du bassin du Grand Roissy-le Bourget. Ce qui n’a jamais été fait.

Car les trois études citées plus haut (Sémaphores, Degorre, McKinsey) possèdent les mêmes carences : elles sont toutes trois macro-économiques, basées sur des statistiques nationales et ne tiennent aucun compte des spécificités du marché local de l’emploi et du travail : alors que du côté de l’offre du territoire, on observe la présence d’entreprises ultra-spécialisées sur quelques créneaux ; du côté de la demande locale, une main-d’œuvre très peu qualifiée et polyvalente. Donc une importante inadéquation Emploi / Travail [12]. Ce qui réduit très largement les capacités des entreprises d’Europacity – projet lui-même ultra-spécialisé sur quelques métiers (moins de 1% de la palette répertoriée au niveau national) dont la plupart déjà en tension – de pouvoir embaucher des actifs résidents [13]. La promesse de 75% d’emplois pourvus par la population locale relevant d’un vœu pieux totalement inatteignable : il s’agirait tout simplement de faire 12 fois mieux que Roissy 9 fois plus gros (!), principal pôle du territoire qui occupe 6,5% des actifs du bassin, 5,3% en comptabilisant les chômeurs [14]

Dans la dernière réunion du débat public organisée le 28 Juin 2016 à Garges-lès-Gonesse, les résultats des trois études ont été présentés, que je résume dans le tableau suivant (figure 4).

Illustration 4
Figure 4 © J. Lorthiois

Précisons pour mémoire que l’étude ECODEV commanditée par l’EPA Plaine de France en 2012 citée dans la liste des expertises n'a aucunement à l'être, puisque contrairement à ce qui a été affirmé au cours du débat public, le chiffre de 11 580 emplois directs indiqué dans le rapport n’a aucune valeur statistique : les consultants de ce cabinet n’ayant pas eu accès à l’évaluation de Sémaphores, ont du se contenter de recopier les données établies à cette époque qui leur ont été communiquées oralement par Europacity, sans autre explication.

Notons par ailleurs qu’est totalement évacuée par les uns et les autres la question du phasage du projet. Pourtant, au cours du débat public, Europacity a bien précisé que seule une première tranche serait réalisée à l’ouverture du centre (soit aujourd’hui en 2027), d’environ 60% du projet. Il conviendrait donc de ne prendre que 60% des effectifs nets prévus à terme, soit un maximum de 4400 à 4600 emplois à l’horizon 2027 en se basant sur l’analyse de M. Degorre. On se reportera à mon article sur Mediapart pour le détail de ce calcul.[15] Aucune date n’a été précisée pour la mise en œuvre de la deuxième tranche du mégacentre commercial et de loisirs : à titre d’exemple, celle de Disneyland n’a été mise en œuvre que 10 ans plus tard.

I.5. Un solde final non stabilisé qui varie selon les sources de 500 à 8000 emplois…

En conclusion, selon les cas, nous obtiendrions pour le projet - à terme et donc non en 2027 - un solde final compris entre 8100 et 500 emplois… Ce qui représente une énorme marge d’incertitude portant sur un écart de 7 500 emplois !! Il est donc tout à fait problématique qu’ Europacity privilégie systématiquement le montant le plus élevé, celui de M. Degorre, mais sans aucune validité puisque non corrigé, alors que cet expert a bien spécifié qu’il fallait prendre en compte le phénomène de cannibalisation pour calculer les emplois nets. Et les effectifs seraient prétendument atteints dès 2027, alors qu’il s’agit des effectifs à terme (2037 ?) Constatons que depuis la production de l’étude de la CNDP en 2016, le maître d’ouvrage semble s’être totalement dispensé d’un approfondissement, voire d’une réévaluation quelconque du nombre d’emplois, comme si cette donnée statistique « brute » était ratifiée une fois pour toutes par l’État, donc aussi incontestable qu’immuable ! Et que l’artifice lié à la confusion emplois 1ère tranche / emplois à terme était désormais glissé définitivement sous le tapis !

Depuis le débat public, la direction d’Europacity répète partout à l’envi le chiffre erroné de 10 000 emplois. Ce nombre est bien entendu indiqué sur le site du maître d’ouvrage, avec en note cette affirmation mensongère soulignée par nos soins : «données confirmées par une expertise indépendante commanditée par la CNDP en 2016 »… en contradiction totale avec la position de M. Degorre citée plus haut (point I.2) ! Cette stratégie fallacieuse a atteint pour le moment son objectif : matraqué par des moyens publicitaires exceptionnels, le chiffre est repris partout en chœur - comme parole d’évangile - par le maire de Gonesse, la communauté d’agglomération de Roissy-Pays de France, le Conseil Départemental du Val d’Oise, la Chambre de Commerce, le Conseil Régional… et la quasi-totalité de tous les médias !! L’étude McKinsey a été oubliée, au prétexte qu’elle était portée par l’intercommunalité de Seine-Saint-Denis la plus proche du site et des foncières propriétaires de centres commerciaux menacés, donc juge et partie. Comme si l’étude de Sémaphores portée par Europacity, l’intercommunalité de Roissy-Pays de France et les élus de l’est du Val d’Oise constituait un modèle de neutralité ! Et la qualité du travail du premier cabinet est sans aucune comparaison avec l’amateurisme du deuxième…

Ainsi, l’argument « Emploi » continue à être mis systématiquement en avant par la direction d’Europacity, comme rempart irréfutable aux critiques qui se multiplient sur les thèmes environnementaux (« Oui, bien sûr, ça sacrifie des terres agricoles, mais 10 000 emplois, dans une zone aussi touchée par le chômage, ça ne se refuse pas ! »), alors que les promesses proclamées par le porteur de projet de ce gigantesque GPII « grand projet inutile et imposé » apparaissent de plus en plus illusoires. Car depuis 2016, le contexte semble de moins en moins favorable à la faisabilité du « scénario 3 » décrit par McKinsey.

II. Il ne suffit pas de peaufiner le menu pour nourrir les convives !

En effet, depuis 2016, les bouleversements du contexte rendent les perspectives d’emplois proclamées par Europacity encore plus aléatoires. A la fois la mauvaise conjoncture qui s’abat sur la grande distribution, la gravité du dérèglement climatique, les modifications du comportement des citoyens inciteraient à réviser largement à la baisse des statistiques dont les plus fraîches datent de 2013. Pourtant le groupe Auchan - qui a accusé pour la première fois 1,1 milliard/€ de déficit en 2018 [16] - continue à marteler des perspectives mirifiques de moins en moins crédibles. Comme si multiplier les promesses (dont les échéances ne cessent de s’éloigner)… valait réalité tangible. Croit-on que répéter en boucle des statistiques virtuelles d’emplois sans aucune preuve concrète pourrait miraculeusement sur le terrain à la fois tarir la hausse du chômage, déclencher des embauches, stopper l’explosion des déplacements domicile-travail et la galère des transports pour aller quérir de plus en plus loin un éventuel employeur? L’entreprise Europacity peaufine sans cesse son menu qu’elle diffuse à l’envi à grands renforts de publicité tapageuse, multiplie les campagnes de communication (cf. le lancement d’Europacity compétences [17] le 22 mai 2019), mais pour le moment personne ne s’affaire aux cuisines et les assiettes des convives restent désespérément vides ! Comme s’il suffisait de dire « A table ! » pour rassasier…

II.1. Quand le désamour frappe la grande distribution

Pour la première fois en France depuis 40 ans, l’ensemble de cette branche d’activité est en récession (-1,7% annuel). La clientèle exprime un rejet grandissant de ce mode de consommation : avec la réduction de la taille de la famille française (passée de 3,5 à 2,3 personnes) les hypers apparaissent surdimensionnés : « Qui a envie de faire ses courses dans un magasin grand comme un, voire 2 stades de foot ? Trop fatigant, trop déshumanisé »[18]. Les citoyens adoptent de plus en plus un comportement qui se veut éthique et responsable, ils font état d’un besoin d’authenticité, de proximité, privilégiant les produits bio, les circuits courts entre producteurs / consommateurs. La grande distribution est rendue partiellement responsable de la crise que traversent les agriculteurs et les marges pratiquées au détriment des petits producteurs sont de plus en plus dénoncées[19]. Édouard Leclerc de renchérir : « Une partie des difficultés des groupes intégrés comme Casino, Carrefour ou Auchan vient de ce que les financiers ont pris le pas sur les commerciaux»[18]. En effet, pour compenser la chute des ventes, ces groupes se recyclent en spéculateurs immobiliers : la société Immochan transformée en Ceetrus est pressentie pour le réaménagement de la gare du Nord dont elle multiplierait par 5 les surfaces commerciales [20]. Mais à la surprise générale, la CDAC (Commission Départementale d’Aménagement Commercial) de Paris, un organisme habituellement taxé de « machine à dire oui » [21] se rebiffe. Et quelle crédibilité accorder désormais à l’argument « Emploi », prôné par des enseignes comme Carrefour, Auchan, Castorama qui multiplient fermetures de magasins et licenciements ?… Sans compter la systématisation de caisses sans personnel, faisant travailler gratuitement les consommateurs [22] ! Constatons que s’adapter aux « nouveaux besoins » de la clientèle est le cadet des soucis des majors de la grande distribution, qui préfèrent se repositionner sur des activités de spéculation foncière autrement plus lucratives !

II.2. La concurrence de grands projets de loisirs/culture s’exacerbe

Par ailleurs, de grands projets de loisirs concurrents ont émergé depuis le débat public de 2016, qui seraient opérationnels bien avant l’ouverture « annoncée » d’Europacity en 2027 (rappelons que la livraison des premières gares de la ligne de métro prolongée n°14 accuse déjà 3 ans de retard). Premier sur les rangs, Disneyland a décidé de réaliser une extension de son site, avec la programmation pour 2025 (avec ouverture partielle dès 2022) de trois nouvelles zones à thèmes disposées autour d’un grand lac, dominé par une montagne de 40 m. Jadis spécialisé dans l’univers féérique des contes populaires, le géant américain entend surfer sur la mode des « super héros » de bandes dessinées et de science fiction. Ainsi chacune des zones sera dédiée aux derniers succès du box-office (film d’animation Reine des neiges, saga de Starwars, «super héros» de Marvel [23]). Les 2 milliards d’investissements prévus valent largement le budget d’Europacity, car Disney bénéficie déjà de la notoriété d’une marque universellement célèbre, d’un excellent positionnement de premier site touristique européen avec 15 millions de visiteurs, possède une large partie du patrimoine foncier, une excellente desserte existante et s’appuie sur des succès planétaires et ses propres productions (rachat des studios Marvel en 2015). Citons également à titre plus accessoire l’agrandissement et la modernisation du Jardin d’Acclimatation - porté par Bernard Arnault - qui a rouvert en grande pompe en Juin 2018. 60 millions/€ de travaux ont été nécessaires pour réhabiliter les anciennes installations, construire 17 nouvelles attractions et 12 lieux de restauration. L’objectif est de viser le deuxième rang des parcs de loisirs français, en passant de 2 à 3 millions de visiteurs, pour devancer le Puy du Fou. Quant à la volonté des élus de l’est du Val d’Oise de vouloir conforter un pôle culturel en banlieue nord, rappelons qu’au niveau régional, c’est l’intercommunalité Plaine Commune avec son pôle de Saint-Denis qui bénéficie dans son Contrat de Développement Territorial d’un cluster « Territoire de la Culture et de la Création », validé par la Préfecture d’Ile-de-France en 2014 [24]. Quant à la concurrence internationale, la soi-disant « expérience unique » que pourrait offrir le site de Gonesse ne peut en aucun cas rivaliser avec l’offre de Dubaï pour les clients avides de démesure [25].

II.3. L’urgence écologique ringardise les projets « climaticides »

Aujourd’hui, un projet de type Europacity apparaît de plus en plus démodé avec l’accélération du réchauffement climatique… Le mégacomplexe de commerces et loisirs semble en effet très destructeur en matière environnementale : fortes émissions de gaz à effet de serre liées aux touristes escomptés notamment les usagers des aéroports, consommation énergétique équivalente à une population de 140 000 habitants, destruction de biodiversité, encombrements des réseaux de transports, menaces sur l’alimentation en eau, bétonnisation d’excellentes terres agricoles, etc. Un seul exemple : pendant la canicule, à 5 h du matin, la température accusait une différence de 8 à 9° entre le centre-ville de la capitale et les champs de maïs du Triangle de Gonesse constituant un îlot de fraîcheur [26]. Avec la myriade d’autres projets d’urbanisme cumulés sur la plaine de France (zones d’activités d’Aérolians, Sud-Roissy, Demi-Lune, International Trade Center, Terminal 4 de l’aéroport de Roissy, extension du Parc d’Expositions de Villepinte, réhabilitation de la friche industrielle de PSA, équipements des Jeux Olympiques du Bourget, CDG Express, ligne de métro 17 Nord, etc.), cet ensemble [27] constitue une véritable « bombe climatique » selon l’expression de Jade Lindgaard, journaliste à Mediapart [28].

*

* *

 En synthèse, il est à remarquer que depuis l’émergence du projet Europacity en 2010, nous sommes en pleine méthode Coué. Sur des maquettes magnifiques (dépourvues du moindre avion, mais on a oublié la bande son avec un décollage/atterrissage toutes les minutes et demie aujourd’hui et toutes les minutes si le Terminal 4 de Roissy se réalise), nous sont présentées de belles boîtes, fort affriolantes, avec des titres ronflants censés réenchanter les consommateurs blasés que nous sommes, en affichant une destination « bling-bling » des locaux (centre culturel pour enfants, théâtre contemporain, parc aquatique, halle gastronomique, centre de congrès, hôtel «branché abordable », hôtel « design et convivial »[29])… Ce qui semble bien prématuré, alors que les contenus ne sont absolument pas garantis, puisque pour le moment les candidats à l’implantation ne se précipitent guère (pour le programme culturel par exemple ont successivement jeté l’éponge la Réunion des Musées Nationaux, la Cité des Sciences de la Villette, les réserves de Beaubourg et maintenant du Louvre)… Comme s’il suffisait de doter les équipements escomptés d’architectes de renom pour les matérialiser. Pire encore, la faisabilité de certaines activités pressenties semble dangereusement compromise. Citons par exemple le cas du « centre culturel dédié au 7ème art » prévu dans la programmation, qui bénéficie depuis 2018 de son architecte lauréat (UNStudio, Ben van Berkel et Caroline Bos29), alors que la Cité du Cinéma de Luc Besson située à une dizaine de kilomètres de là - à Saint-Denis - est actuellement en grande difficulté financière.

Mais la direction d’Europacity veut sans doute nous faire accroire que multiplier les contenants dispense de les remplir de contenus !! (Fig. 5)

A suivre, prochain article : Bêtisier d'Europacity, chapitre 9

https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/071019/betisier-d-europacity-ch-9-pub-douteuse-sondage-truque-manifestation-parachutee

Illustration 5
Figure 5 © Nexus / J. Lorthiois

[1] Sémaphores, Etude Impact Emploi Projet Europacity, Novembre 2011, mise à jour 2015.

[2] Voir mon analyse détaillée, in Le Bêtisier d’Europacity, chapitre 2, « La prolifération d’emplois fantômes ». https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/140617/betisier-deuropacity-2-la-proliferation-demplois-fantomes

[3] Dans les surfaces commerciales nous comptabilisons les 20 000 m2 de restauration - comme il est d’usage pour les centres commerciaux - et non comptabilisés à part - comme le fait le porteur de projet -.

[4] Non compris le petit centre commercial Leclerc en centre-ville de Gonesse et celui plus éloigné des Olympiades (Carrefour) à Goussainville.

[5] Distance mesurée à partir du point central d’Europacity indiqué sur le plan de l’architecte Bjarke Ingels.

[6] Titre de l’article d’Anthony Lieures, in Le Parisien/Val d’Oise du 06/07/2016.

[7] Arnaud Degorre, Analyse des impacts du projet EuropaCity en termes d’emploi, CNDP, juin 2016, 28 p.

[8] McKinsey, Evaluation d’impact économique du projet Europacity, Paris Terres d’envol, mai 2016, 119 p.

[9] Avis défavorable déposé le 20 Février 2018 lors de l’enquête publique de la DUP de la ZAC du Triangle de Gonesse.

[10] http://nonaeuropacity.com/informer/culture-loisirs/mirapolis-ou-la-chute-du-geant

[11] Cette étude-action a duré 3 ans, mobilisé 4 consultants et 60 agences du service public de l’emploi, soit environ 300 personnes. Basée sur une centaine d’enquêtes d’entreprises, et un échantillon de plusieurs milliers de demandeurs d’emplois le rapport intitulé EuroDisneyland, bilan prévisionnel de l’Emploi comportait 4 volumes, totalisant 432 pages (1990).

[12] Pour une analyse théorique de l’adéquation Emploi/ Travail sur un territoire, se reporter à l’article :                     https://j-lorthiois.fr/concepts-generaux/un-programme-emploi-travail-pour-son-territoire/

[13] https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/210717/betisier-deuropacity-4-des-qualifications-inaccessibles-la-main-doeuvre

[14] https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/250119/betisier-du-pole-de-roissy-1-utilite-locale-pour-son-territoire-6

[15] Voir le détail du calcul dans mon Bêtisier d’Europacity, chapitre 6 :

https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/090818/betisier-deuropacity-6-emplois-avec-trop-de-zeros-ne-sait-plus-compter

[16] http://www.lefigaro.fr/flash-eco/auchan-holding-plus-d-un-milliard-d-euros-de-perte-mesures-en-vue-dans-le-pole-distribution-20190308

[17] Cf. Cette réunion à Villiers-le-Bel a mobilisé plusieurs centaines de personnes.

[18] Odile Plichon, in Le Parisien « Crise de la grande distribution, les gagnants et les perdants », 15 juillet 2019

[19] Voir le succès de la marque « C’est qui le patron ? », in Que choisir, « Décryptage d’un phénomène », 15 nov. 2016.

[20] https://www.ekonomico.fr/2019/07/europacity-relance-le-centre-commercial-de-la-gare-du-nord-a-larret/

[21] https://www.lineaires.com/la-distribution/cdac-la-machine-a-dire-oui-!-37207?sso=1565356362

[22] https://www.nouvelobs.com/economie/20190808.OBS16954/l-ouverture-d-un-hypermarche-sans-caissiers-le-dimanche-a-angers-fait-polemique.html

[23] BFM TV, 24 mai 2019. https://www.bfmtv.com/culture/extension-de-disneyland-paris-un-lac-geant-et-une-montagne-de-40-metres-vont-etre-construits-1698134.html

[24] Préfecture de la Région Ile-de-France, 11 avril 2013.

[25] Que vaut une misérable descente à ski à Gonesse, comparée au vertigineux parcours de 2,8 kms d’une « tyrolienne » à Dubaï, suspendu à un filin depuis une plate-forme à 168 m du sol, à la vitesse de 130 km/h ?

[26] Voir https://www.youtube.com/watch?v=Na8S_VlNDhs&feature=youtu.be

[27] Voir l’excellente vidéo de la SCOP Fair : https://blogs.mediapart.fr/scopfair

[28] Jade Lindgaard, in Mediapart, « De Gonesse à Roissy, une bombe climatique au Nord de Paris », 26 juin 2019

[29] Le Moniteur, « Les architectes arrivent en force sur le projet Europacity », 9 fév. 2018

ANNEXE - RÉSUMÉ DE L’ ÉTUDE MCKINSEY

« Évaluation d’impact économique du projet EuropaCity »

Commanditaire : Paris Terres d’envol, mai 2016

 L’étude de McKinsey présente l’intérêt de tabler sur 3 scénarios :

Scénario 1/ Europacity est un pôle commercial de rayonnement régional

- Les visites sont générées par l’offre commerciale, plus riche et variée qu’ailleurs

- Suppose un grand choix d’enseignes relativement « classiques »

- L’offre de culture/loisirs représente un « supplément d’âme » qui l’avantage sur d’autres centres commerciaux

- Attractivité : 14 millions de franciliens, 1 million de touristes

- Chiffre d’affaires capturé sur les équipements commerciaux de proximité : 340 M/ €

Entre 3 400 et 4 300 emplois cannibalisés.

Scénario 2/ Europacity est un pôle d’attraction multi-modal de rayonnement national

- Les visites sont principalement générées par l’offre de loisirs et culturelle

   Des dépenses supplémentaires sont effectuées dans les commerces

- Suppose des enseignes internationales connues, des grands magasins français

- Offre de loisirs de type parc Astérix

- Offre culturelle de qualité, de type Louvre/Lens ou Centre Pompidou/Metz

- Attractivité : 18 millions de franciliens, 4 millions de touristes

- Chiffre d’affaires capturé : - sur les équipements commerciaux IDF : 1Md/ €

                                                       - sur les parcs de loisirs & sites culturels IDF : 100 M/ €

Entre 6 200 et 7 600 emplois cannibalisés.

Scénario 3/ Europacity est un pôle de « destination touristique » à rayonnement international

   Il s’agit de l’hypothèse portée par le maître d’ouvrage

- Les visites sont générées par une offre touristique spécifique fortement attractive

de type musée d’Orsay ou Centre Pompidou /Paris

- Les franciliens préfèrent aller à Europacity que vers une destination hors IDF ;

et les touristes viennent spécialement ici plutôt qu’ailleurs en IDF

- Suppose des enseignes commerciales internationales de forte renommée et inédites en France,

des enseignes françaises majeures

- Attractivité : 31 millions de visiteurs dont 25 M de franciliens, 6 M de touristes

- Chiffre d’affaires capturé : - sur les équipements commerciaux IDF : 1Md/ €

                                                         - sur les parcs de loisirs et sites culturels IDF : 170 M/ €

Entre 7 000 et 8 800 emplois cannibalisés.

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