Ainsi, le 7 mai 2021, le Premier ministre Jean Castex a validé la volonté de la présidente du département du Val d'Oise et du maire de Gonesse d'urbaniser coûte que coûte le Triangle de Gonesse. Les investisseurs privés se retirent du jeu ? Pas grave, l’État prend le relais en défendant l'implantation de services publics (établissement scolaire, administration centrale) ou encore le projet porté par une société d'économie mixte la SEMMARIS pour une annexe du MIN de Rungis. Tels sont les trois propositions citées pour le Triangle de Gonesse dans le « Plan pour le Val d’Oise » présenté par le gouvernement [1], On pourrait aussi remarquer que M. Castex avec le projet de Cité scolaire renvoie au département (au titre des collèges) et à la région (au titre des lycées) le soin de financer l'objet de leurs désirs.
Quand des acteurs publics prétendent défendre l'intérêt général des populations, en sacrifiant leurs enfants
Comment concevoir un projet de Cité scolaire prétendument « d’excellence », implanté dans un site frappé par deux Plans d’Exposition au Bruit (PEB), liés aux nuisances très élevées de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle au nord, et de celui du Bourget au sud ? On s’interroge sur les motifs d’une décision aussi irresponsable, défendue sans état d’âme par Mme Cavecchi, présidente du CD 95 dans sa « Contribution du Conseil départemental au Plan pour le Val d’Oise » de novembre 2020 [2], qui évoque le souci « d’un aménagement équilibré du territoire et d’une volonté de servir au plus près les habitants ». Proposition reprise par le préfet du Val d’Oise, qui a nourri l’intervention de Jean Castex de mai 2021. Et largement validée par la région Ile-de-France qui a ouvert cet été un appel d’offres pour la programmation de la construction de cette Cité scolaire [3]. Voir la carte (Figure 1) extraite du Cahier des Clauses Techniques Particulières (CCTP) qui montre la localisation du projet, perdu au milieu des champs, « à mille miles de toute terre habitée », aurait dit Saint-Exupéry.

On s’interroge sur les motifs qui justifient qu’un maire, une présidente de département, un Préfet, une présidente de région, autant d’acteurs publics chargés de l’intérêt général, puissent cautionner un projet de Cité scolaire sur le Triangle de Gonesse, dans un emplacement exposant des enfants et des jeunes à des conditions d’apprentissage aussi dégradées ? Tout ceci pour défendre coûte que coûte l’urbanisation d’un espace à 1,7 km de toute habitation, enclavé entre deux aéroports, le second site le plus nuisant d’Ile-de-France en matière de bruit après le Boulevard périphérique ?
De nombreuses études ont démontré que la pollution sonore vient au second rang des facteurs de morbidité en milieu urbain : augmentation de la fréquence et de la gravité des maladies cardio-vasculaires, troubles hormonaux, perte de mémoire, etc. Il s’agit d’un véritable « enjeu de santé publique » déclare Laurianne Rossi, présidente du Conseil National du Bruit et ancienne députée des Hauts-de-Seine [4]. Dans le cas du pôle de Roissy, les nuisances entraînent une perte de vingt-huit mois de vie en bonne santé pour les populations exposées, soit un million d’habitants.
La pollution nocturne est particulièrement néfaste en ce qui concerne la qualité du sommeil. Or Roissy est le seul grand aéroport européen qui ne dispose pas d’un couvre-feu, malgré des années de réclamations des riverains. Ceci en raison d’un chantage à l’emploi de la société américaine Fedex, qui a implanté sur la plateforme son hub européen de fret aérien, fonctionnant essentiellement en nocturne. « La nuit un bruit qui ne provoque pas le réveil induit néanmoins une augmentation de la pression artérielle et du rythme cardiaque tout en libérant de nombreuses hormones. Ce mécanisme de défense de l’organisme en cas de danger sollicité tous les jours conduit à des pathologies cérébrovasculaires et cardiaques, l’obésité et le diabète de type 2. » explique Michel Riottot de France Nature Environnement Ile-de-France [5]. L’OMS recommande 8 h de sommeil par jour en continu pour les adultes, mais les enfants ont des besoins supérieurs.
Le site du Triangle de Gonesse présente un cumul de nuisances, puisque que frappé par le deux PEB de Roissy et du Bourget qui s’additionnent. L’excès de bruit dans l’environnement nuit gravement à la concentration, au sommeil et par conséquent à l’apprentissage scolaire. Par ailleurs, le lieu étant survolé par 1500 avions /24 h, il se trouve aussi en situation de risque aérien : la Cité scolaire se trouverait à 500 m du lieu où le Concorde s’est écrasé et a fait 113 morts. Pour toutes ces raisons, il nous apparaît incompréhensible que des acteurs publics puissent vouloir à tout prix implanter à cet emplacement, un établissement accueillant des enfants et des jeunes.
La Cité scolaire ne peut servir de justification sérieuse à la gare du Triangle et la ligne 17 Nord
Alors qu’aujourd’hui les usagers des « transports du quotidien » souffrent d’un sous-investissement chronique se traduisant par une véritable galère, comment comprendre les raisons de tant de hâte à activer le chantier d’une gare prévue en 2028 ? C'est au nom d'un « intérêt supérieur » passant au-dessus des besoins locaux que cette fuite en avant est justifiée. Ne pas oublier que le Conseil Départemental 95 a voté - à la quasi-unanimité - une Société Publique d'Intérêt National (SPLA-IN) qui permet de s'affranchir des règles d'urbanisme habituellement en vigueur, au prétexte de simplification administrative. Pendant ce temps, le recours déposé en 2018 par un ensemble d’associations regroupées autour du Collectif Pour le Triangle de Gonesse (CPTG) contre la modification du Plan Local d’Urbanisme (PLU) de Gonesse n’a toujours pas été jugé, alors que quatre jours après cette décision du conseil municipal, le préfet du Val d’Oise a signé le permis de construire de la gare. A l'inverse de cette célérité administrative, les opposants vivent un imbroglio juridique qui dure depuis 4 ans. A l’issue d’un parcours du combattant slalomant entre différentes juridictions, le dossier a échoué à la Cour Administrative d’Appel (CAA) de Paris, chargé d'instruire les litiges ayant trait à la loi Olympique qui régit les JO de 2024, argument plaidé par la défense de la Société du Grand Paris (SGP) : du haut de son omniscience, cet organisme ne s’est même pas donné la peine d’invoquer une explication plausible... Mais le Conseil d’État - dans sa sagesse - a finalement invalidé ce jugement, au motif qu’on ne pouvait s’abriter derrière un évènement de 2024 pour justifier une gare mise en service en 2028 ! Résultat du positionnement de cette instance suprême : comme dans les jeux de l’Oie, la plainte retourne à la case départ de 2018 auprès du Tribunal Administratif de Cergy, en espérant ne pas lanterner à nouveau 4 années supplémentaires.
Les contestations juridiques n’ayant pas d’effet suspensif, la stratégie poursuivie par les bétonneurs est d’accélérer les travaux pour mettre les opposants devant le fait accompli, même si la justice donne ultérieurement raison à ces derniers. Et la Cité scolaire constitue un alibi commode - à défaut de glorieux - pour justifier le métro Le Bourget /Roissy qui représente un cas exemplaire « d’inutilité publique » [6]. J’ai largement démontré dans une série d’articles résumés dans un texte de synthèse intitulé « Ligne 17 Nord : l’indécence budgétaire à l’heure de la crise énergétique » [7] que cette ligne ne correspondait à aucun besoin, analysé critère par critère.
Relevons en particulier la question de la « centralité urbaine », censée permettre de substantielles économies de GES et servant d'argument marketing à la SGP pour justifier ses financements, notamment l'émission de 25 milliards d'« obligations vertes ». Rappelons le mythe du « super métro express, destiné à irriguer les banlieues » ! Mais cette centralité n’est offerte par aucune des gares de la ligne 17 Nord situées soit dans une zone agricole (Triangle de Gonesse), soit dans des pôles d’activités sans habitants (Le Bourget-Aéroport, Parc International d’Expositions à Villepinte, Aéroport de Roissy CDG 2 et 4), soit dans un village (Le Mesnil-Amelot, 1068 habitants en 2019). On estime qu’il faut 100 habitants + emplois / ha pour valider la construction d’un métro, la ligne 17 Nord traverse un territoire qui comprend en moyenne 17,5 habitants + emplois / ha, soit un taux près de six fois moindre que la norme en vigueur. Or, s'il y a un équipement qui a besoin de « centralité urbaine » pour fonctionner correctement, c'est bien un établissement scolaire, qui se doit d'être localisé au cœur d'un bassin d'habitat, afin qu'un maximum d'élèves puisse y accéder eux-mêmes, à pied ou à vélo. Sur la carte ci-dessous établie par l'APUR (Figure 2) qui a analysé chaque « quartier de gare », on voit à quel point le site pressenti pour accueillir la Cité scolaire est localisé au milieu de « nulle part ». Les cercles indiquent un périmètre de 800 m autour de chaque gare, qui détermine l'essentiel de la fréquentation future, liée à la proximité des usagers. Ici, elle est nulle : l'habitat permanent y est interdit. Et en face, de l'autre côté de l'autoroute A1, pas d'habitant non plus pour la gare Parc des Expositions au cœur de deux zones d'activités... évidemment sans population résidente.

Quand le secteur privé se désengage d’investissements non rentables
Le 7 novembre 2019, Élisabeth Borne, ministre de la Transition Écologique et Solidaire exprimait la volonté d’Emmanuel Macron de mettre fin au mégaprojet d’Europacity, « une conception datée de l’Aménagement du Territoire et de la consommation » déclarait-elle alors.
Nous autres opposants, estimons que si le Président de la République avait réellement voulu défendre un aménagement du territoire « soutenable », il aurait été jusqu’au bout de sa décision de faire sauter Europacity, en procédant à la sanctuarisation des terres agricoles ainsi libérées du Triangle de Gonesse. C’était d’ailleurs un des scénarios proposés par Francis Rol-Tanguy, sollicité par le gouvernement afin de trouver des solutions alternatives. Mais son rapport n’a même pas été rendu public.
Deux hypothèses possibles pour expliquer cette décision inachevée d’Emmanuel Macron, qui aurait pu redorer à bon compte son image peu écologiste, en apparaissant cette fois comme défenseur de l’environnement. Première hypothèse : Élisabeth Borne - qui n’a jamais caché son hostilité à Europacity - aurait obtenu un arbitrage en sa faveur. Deuxième hypothèse plus vraisemblable : le Président avait dû obtenir - en amont de l’abandon du mégacentre commercial - l’accord du groupe Auchan, empêtré dans un gouffre financier et heureux de se retirer - sans apparaître dans la décision - d’un investissement aussi risqué. Car l'enseigne se trouvait en très mauvaise posture avec une chute de son chiffre d’affaires, obligeant l’entreprise à abandonner 21 centres commerciaux en mars-avril 2019. Peut-être notre opposition a-t-elle permis à Auchan de sortir par le haut d’un tel guêpier ? Qu’on imagine la perte d’image si le groupe avait dû lui-même abandonner le projet d’Europacity en pleine pandémie… L’arrêt de ce mégacentre commercial et de loisirs marque en tout cas la perte d’attractivité du territoire du Grand Roissy auprès du secteur privé, déjà amorcé avec l’annulation du projet d’équipement sportif et de spectacles à Sarcelles (une Arena intitulée « Le Dôme »), pour cause d’appel d’offres infructueux. Là encore un projet d’équipement somptuaire qui n’était certainement pas destiné aux populations locales. Notons avec ironie que le Dôme et Europacity constituaient les deux projets-phares du Contrat de Développement Territorial Val de France (toujours pas modifié en conséquence), reliés eux-mêmes par la voie rapide du Boulevard Intercommunal du Parisis (BIP), autre grand projet dont j’ai démontré « l’inutilité à 97% » [8], contesté avec succès par une forte opposition, mais qui fait l'objet d'une tentative désespérée de relance par la présidente du Conseil départemental 95 !
Nous pouvons également citer comme preuve de désinvestissement général du secteur privé du territoire du Grand Roissy, les 25 projets programmés par l’Établissement Public Plaine de France en 2012, dont deux seulement sont achevés dix ans plus tard, générant la création de 5000 emplois, contre 104 000 escomptés. Et mettant en sommeil des centaines d'hectares de zones d'activités. Voir le détail de ce fiasco [9] qui a fait l'objet d'une publication sur le site du CPTG analysant l'avancée de chaque projet et qui mériterait d'être connue plus largement du grand public.
Au secteur privé, encaisser les profits ; au secteur public, endosser les pertes ?
Nous avons déjà exposé plus haut la situation de désengagement des investisseurs privés sur le Triangle de Gonesse... Ce qui oblige les pouvoirs publics à prendre le relais et venir au secours des élus bétonneurs du territoire qui s’entêtent à vouloir urbaniser ce site. Une décision doublement pénalisante puisque la dette de l’État a explosé avec la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, et qu’il ne dispose plus guère de marge de manœuvre pour financer des projets, a fortiori des Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII). Le scénario de l’horreur serait que l’État soit tenu de racheter les dettes provoquées par ces projets toxiques, de la même façon qu’il a été obligé d’éponger l’ardoise de SNCF Réseau.
Mais depuis l’annulation d’Europacity en 2019, le maire de Gonesse et la présidente du CD 95 ne décolèrent pas de s’être vus privés de ce mégaprojet, ses soi-disant « 10 000 emplois » et ses « 31 millions de visiteurs » et s’accrochent à des illusions. Car force est de constater une fuite en avant du Val d’Oise qui n’est jamais parvenu à bénéficier de l’essentiel du développement économique de l’aéroport de Roissy, par définition un pôle international très peu enraciné localement et dont la main-d’œuvre se recrute de plus en plus hors Ile-de-France. Alors que l'aéroport est désormais en pleine récession (il a supprimé 18 000 emplois entre 2008 et 2019 ; voir le détail [10]), tandis que les services de proximité manquent cruellement aux populations locales, les élus bétonneurs du Val d’Oise repartent sur une vision mégalomaniaque d’un « Grand Projet » seul en capacité de « sauver le territoire ». C'est ainsi que Mme Cavecchi défend pour le Triangle de Gonesse l'idée « d’implanter un totem ( ?), pas loin de la gare, qui attirerait différentes populations »[11]. Elle a donc adressé par l'intermédiaire du préfet une sorte de « liste au père Noël » [2] dressée en fin d’année 2020, comme autant de « cadeaux » réclamés au gouvernement pour le Val d’Oise. Nous faisons grâce au lecteur de cet inventaire délirant, où figure en queue de peloton l'évocation d'une « Cité scolaire internationale ». Constatons que ce dernier vœu constitue pour le Triangle l’unique projet repêché par le Premier ministre Castex dans son discours de mai 2021.
Une analyse des besoins en équipements scolaires complètement « hors sol »
Nous avons retrouvé l’origine des chiffres affirmés par la Région dans son appel d’offres, qui déclarait pour justifier la création de la Cité scolaire - sans indiquer ses sources - : « La population a augmenté dans les lycées de Sarcelles-Gonesse de 14% contre 7% moyenne régionale. »
Cette citation est extraite d’un document régional établissant une projection des jeunes en âge d'aller au lycée [12] qui globalise les informations pour les deux « Bassins d’Éducation » de Sarcelles et de Gonesse, rattachés à l'Académie de Versailles. Or ceux-ci couvrent un espace gigantesque sans unité qui comprend 54 communes, dépassant largement les 25 localités du seul secteur Est-95 rattaché à la Communauté d’Agglomération de Roissy-Pays de France (CARPF). Sur la carte ci-après (Figure 3), on voit que la partie hors CARPF comprend des communes importantes comme Deuil-la-Barre (22 300 habitants en 2019) ou Domont (15700) ou encore des bourgs ruraux comme Viarmes (5300) ou Luzarches (4800). Un périmètre qui ne tient aucun compte ni de la configuration de ce qu’on appelle les « territoires vécus »[13] par les habitants (c'est-à-dire l'organisation territoriale en bassins d’emplois ou bassins de vie), ni même du découpage institutionnel. On voit difficilement en quoi l’implantation de la Cité scolaire sur le Triangle de Gonesse (voir l’étoile à l'emplacement de la Cité scolaire et de la gare du Triangle, sur la carte de la Figure 3) pourrait répondre aux besoins des populations locales d’un territoire aussi immense et aussi peuplé (280 000 habitants) sans aucune unité socio-économique, dans un site complètement excentré par rapport à celui-ci, situé en dehors de tout espace habité, mal desservi en transports en commun (à titre d’exemple quelles liaisons de transports en commun praticables pour les élèves d'Asnières-sur-Oise, Noisy-sur-Oise ou Saint-Martin du Tertre ?), en limite de la frontière départementale avec la Seine-Saint-Denis (qui se révèle infranchissable, car au-delà, on entre dans le périmètre de l’Académie de Créteil) et non au cœur de ce vaste ensemble. Par ailleurs, on ne voit pas en quoi être reliés par le métro de la ligne 17 Nord presqu'entièrement situé en Seine-Saint-Denis, avec l’aéroport du Bourget au sud, le Parc d’Expositions à l’est et l’aéroport de Roissy au nord serait d’une utilité quelconque pour les enfants et les jeunes habitant l’un ou l’autre de ces deux bassins d'éducation.

Il apparaît plus que discutable de se baser sur une analyse aussi globalisante et sur un seul type de demande (les lycées) pour justifier l’implantation d’un établissement précis dont on a à l'avance déterminé le profil et le nombre d’élèves, ainsi que la localisation géographique.
A. Les filières envisagées
En matière de développement d’activités et d’emplois, l’urgence du Pays de France est de diversifier la palette des métiers offerts, beaucoup trop exclusivement tournée vers les cinq filières offertes par le pôle de Roissy : Transport dont aérien ; Logistique ; Commerce notamment international et commerce inter-entreprises (nouveau nom du commerce de gros) ; Tourisme et Hôtellerie-Restauration. Certaines filières ont perdu leur attractivité, en raison de salaires bas et de conditions de travail difficiles (logistique, restauration…) Ce n’est pas en recréant un énième établissement de formation dans l’international avec la Cité scolaire qu’on résout cette question. Il existe déjà le « Campus des métiers et des Qualifications du Hub de l’aéroportuaire et des échanges internationaux » qui a été labellisé à Roissy en 2016, et reconnu comme « peu actif » (!) par le Conseil Départemental du Val d’Oise lui-même. La filière Alimentation/Gastronomie est intéressante, mais il est assez paradoxal de vouloir bétonner par des implantations d'établissements d’enseignement agricole, des terres d’une profondeur et d’une capacité de rétention d’eau exceptionnelles qui pourraient assurer une fonction nourricière de grande qualité… Il est bien évident que ces constructions doivent être localisées sur la pléthore de foncier disponible situé à proximité.
B. Analyse de la demande par catégories
a/ Besoins en matière de lycées
L’appel d’offres lancé par la région ne présente que les besoins des effectifs de lycées qui effectivement vont augmenter, mais seulement jusqu’en 2027 d’après les études de la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP), rattachée au Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse. Par contre, elle ne prend pas en compte la situation des collèges qui donne des perspectives totalement différentes.
b/ Besoins en matière de collèges
En ce qui concerne la demande à prévoir en matière de collèges, on s’aperçoit que le positionnement du Val d’Oise au sein de l’Ile-de-France ne traduit pas la situation d’urgence décrite par Mme Cavecchi. En 2017-2023, certes, le département a connu une importante augmentation, qui n'est dépassée que par l'Essonne. Mais dès 2023, l’essentiel des besoins devrait se concentrer sur l’Essonne, seul département qui reste positif au cours des 16 années prochaines, comme on peut le constater sur le tableau ci-dessous (Figure 5). Et d'après ces prévisions, le Val d'Oise verrait son nombre de collégiens décroître.

Par ailleurs, au sein du Val d’Oise, la demande de notre territoire d’analyse est moins élevée que celle d’autres bassins du département. Le tableau ci-dessous (Figure 6) que j'ai établi d’après les statistiques de la DEPP montre en effet que les effectifs de collégiens des bassins d’éducation de Sarcelles et de Gonesse qui ont connu dans le passé les augmentations les plus faibles du département (à comparer au score du bassin d’Argenteuil par exemple) vont diminuer dès 2023 et ceci jusqu’en 2039. Et ce sont les deux territoires qui vont connaître les réductions les plus fortes au cours des 16 années prochaines. On voit donc que la position du Conseil Départemental 95 de localiser la Cité scolaire en périphérie de Gonesse repose sur une volonté politique d’urbaniser coûte que coûte le Triangle et non sur des besoins prioritaires en matière de collèges au sein du Val d’Oise.

c/ Besoins en matière d’enseignement supérieur
Nous ne disposons pas d’informations sur ce sujet. Contentons-nous d’observer que le département du Val d’Oise soutient le doublement de l’université de Cergy-Pontoise qui passerait de 20 000 à 40 000 étudiants, alors qu’Argenteuil - 3ème ville d’Ile-de-France et 110 000 habitants - ne possède toujours pas d’établissement d’enseignement supérieur à la mesure de son poids de population. Et le secteur Est 95 bénéficie de la proximité des deux universités de Villetaneuse et de Saint-Denis (qui pourraient être bien desservies par le tram-train T11 et ses correspondances, si le tronçon Sartrouville /Argenteuil était réalisé).
C. Analyse des besoins par commune
Notons par ailleurs que le Ministère de l’Éducation ne donne aucune information sur la situation infra-territoriale des deux bassins de Sarcelles et de Gonesse. Or, une analyse des évolutions démographiques 2013-2019 (Figure 7) montre des situations très contrastées selon les communes. Tout d’abord, contestons le rattachement au bassin de Gonesse de la commune de Garges-lès-Gonesse, ville-sœur de Sarcelles - dans la même continuité urbaine et habitée par les mêmes catégories socio-professionnelles - qui devrait logiquement appartenir à son bassin d’éducation. Plus globalement, en examinant les données statistiques concernant les principales villes de l’Est-95, on observe qu’au cours de la période citée par la Région (2013-2019) la population stagne dans les communes sous les pistes de Roissy (Gonesse, Goussainville) [14], tandis qu’elle croît dans l’ancien périmètre de l'intercommunalité de Val de France - qui correspond au bassin de vie de Sarcelles - : Villiers-le-Bel (+1528 habitants), Sarcelles (+1915) et Garges-lès-Gonesse (+1551).

En synthèse : une localisation indéfendable, nuisante et non prioritaire
Au terme de cette analyse, rien ne justifie ce double sacrifice des enfants et des jeunes pris en otage, qui seraient installés dans un emplacement à la fois soumis à des nuisances de bruit incompatibles avec des conditions d’apprentissage acceptables et dans une localisation excentrée par rapport aux populations locales et n’ayant aucun usage d’une gare en plein champ et d’une ligne desservant deux aéroports et des pôles d’emplois sans habitants.
A l’évidence, les acteurs du Val d’Oise ont décidé d’urbaniser à tout prix le Triangle de Gonesse et de placer la Cité Scolaire près de la gare de métro sur laquelle ils font une fixation obsessionnelle, sans avoir entrepris la moindre analyse fine de la demande locale en matière éducative. On a mis visiblement la charrue avant les bœufs, et déterminé l’équipement AVANT de connaître les besoins des populations. Ceci est d’autant plus choquant de la part de responsables publics chargés de défendre l’intérêt général et la santé des finances publiques.
Pourtant, des opportunités existent dans le tissu urbain de Val de France pour accueillir la Cité scolaire. Le projet du Dôme ayant été abandonné, il a libéré un emplacement disponible en plein centre-ville dans le principal pôle urbain de l'Est-95, Sarcelles (58000 habitants), très bien desservi par le RER D. De même, une localisation avait été envisagée initialement à Villiers-le-Bel, avant que cet équipement éducatif serve d'alibi pour urbaniser à tout prix le Triangle de Gonesse. Mais malgré toutes les tentatives de justification d'une gare de métro en plein champ, ce n’est pas un établissement de 2250 élèves - dont 300 en internat – générant au maximum un flux de 2000 personnes x 2 / jour qui pourrait remplacer les 31 millions de visiteurs prétendus d’Europacity ! Même si les fréquentations annoncées par Auchan étaient largement surestimées, on se rend bien compte que les deux chiffres ne sont pas à la même échelle. Rappelons les ordres de grandeur : il faut 6000 voyageurs à l’heure de pointe du matin (HPM) pour justifier un métro. Et de l’ordre de 300 000 à 400 000 flux /jour pour assurer la rentabilité de la ligne. On en est loin, avec 58 000 habitants dans les périmètres desservis par l'ensemble de la ligne 17 sud et nord [15].
Ainsi, le sacrifice des enfants et des jeunes au bénéfice d'un projet censé leur être destiné, réclamé par les élus du Val-d'Oise qui en sont les promoteurs et validé par Jean Castex dans son « Plan pour le Val d’Oise » apparaît particulièrement irresponsable. Les budgets attribués à ces GPII devraient être prioritairement fléchés au service des communes en croissance qui cumulent des besoins de transport du quotidien et d’équipement scolaire de proximité, en cœur de ville. L'entêtement des élus bétonneurs est d'autant plus scandaleux qu'une partie des financements affectés à la gare du Triangle de Gonesse et la ligne 17 nord suffirait pour le bouclage du tram-train T11 (anciennement "tangentielle nord"), une rocade en zone dense permettant de desservir 620 000 habitants, dont 110 000 Val d'Oisiens, avec deux gares pour le prix d'une ! [16]. On voit clairement où se trouve l'intérêt général des populations et de leurs enfants. Au lieu de s'acharner à vendre du rêve et à valoriser des projets de prestige, les bétonneurs du Val d'Oise seraient beaucoup plus utiles à la collectivité en s'investissant dans la réhabilitation et l'entretien des équipements scolaires existants - dont l'état est pitoyable, comme en témoignent les enseignants - et à construire des établissements "ordinaires" de bonne facture, au cœur des bassins d'habitat, là où sont les besoins.
NOTES
[1] « Le plan du gouvernement dévoilé : il y aura bien une gare et de l’urbanisation au Triangle de Gonesse », in Le Parisien, 7 mai 2021.
[2] « Contribution du Conseil départemental au Plan pour le Val d’Oise », novembre 2020. Remarquons au passage que là où d’habitude figure en en-tête sur la page de couverture la mention « Conseil départemental du Val d’Oise » est indiqué « Le Conseil départemental aux côtés des Val d’Oisiens », (naïveté ou cynisme ?)
[3] Région Ile de France, marché de prestations intellectuelles, « Étude de programmation pour la construction de la Cité scolaire à vocation internationale du Triangle de Gonesse », 2022.
[4] Interview de Laurianne Rossi par Auguste Canier, « Pollution sonore en Ile-de-France : le bruit n’est pas qu’une gêne ou une nuisance, c’est un enjeu de santé publique » in Le Parisien, 7 septembre 2021.
[5] Article Michel Riottot citant l’OMS et BruitParif, in « Liaison », décembre 2022, FNE Ile-de-France
[6] Frédéric Greber, Inutilité Publique, histoire d’une culture politique française, Amsterdam Éditions, 2022.
[7] J. Lorthiois, « Ligne 17 Nord : l’indécence budgétaire à l’heure de la crise énergétique »
https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/021122/ligne-17-nord-lindecence-budgetaire-lheure-de-la-crise-energetique
[8] J. Lorthiois, "Bêtisier du Val d'Oise : faut-il relancer le BIP, voie rapide inutile à 97%"
https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/231022/betisier-du-val-doise-faut-il-relancer-le-bip-voie-rapide-inutile-97
[9] J. Lorthiois, "Le fiasco du Grand Roissy : en dix ans (2012-2022), deux projets réalisés sur 25
https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/010722/le-fiasco-du-grand-roissy-en-dix-ans-2012-2022-deux-projets-realises-sur-25
[10] J. Lorthiois, "Le mirage des emplois de Roissy : une récession dès 2008, aggravée par la pandémie"
https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/011121/le-mirage-des-emplois-de-roissy-une-recession-des-2008-aggravee-par-la-pandemie
[11] "Nous avons attiré l'attention du Premier ministre sur le Val d'Oise", interview de Marie-Christine Cavecchi, in Collectivités, 28 Janvier 2021
[12] « Projection des jeunes en âge d'aller au lycée », IPR, Région Ile-de-France, Janvier 2021
[13] J. Lorthiois, "Concepts généraux : les "Territoires vécus"
https://j-lorthiois.fr/concepts-generaux/les-territoires-vecus/
[14] Ceci s’explique par la règlementation d’urbanisme du PEB de Roissy, qui malheureusement a été assouplie par un amendement porté en 2014 par les députés-maires MM. Blazy et Pupponi, qui prévoit la faculté d'opérations de réhabilitation en zone C d'un PEB. Mais l'augmentation nuisances liées à la croissance du trafic aérien entraînant des départs de population, le solde migratoire des villes est négatif.
[15] J. Lorthiois, "Ligne Nord : une 3ème radiale, quand l'attractivité de Roissy a baissé d'un quart ?"
https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/110822/ligne-17-n-une-3eme-radiale-quand-lattractivite-de-roissy-baisse-dun-quart
[16] J. Lorthiois, "Bêtisier de la ligne 17 : elle transporte pas, elle dessert pas, mais elle coûte"
https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/020521/betisier-de-la-ligne-17-elle-transporte-pas-elle-dessert-pas-mais-elle-coute