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Billet de blog 29 septembre 2024

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L'abandon de la voie routière BIP relance l'utilité de la desserte ferrée T11

Trop souvent, les décideurs en matière de transports (élus, administrations, entreprises…) confondent allègrement la fonction de TRANSIT (traverser rapidement un territoire) de type BIP et la fonction de DESSERTE (faire du cabotage entre pôles d’habitat et assurer les liaisons avec des pôles d’emplois) de type tram-train T11. L'intérêt des usagers n'est absolument pas le même !

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A plusieurs reprises dans le cadre de ce blog, j’ai précisé la différence entre un transport de TRANSIT et de DESSERTE. Je remets pour mémoire cet encadré (Figure 1), qui vient en appui de la nécessaire relance de la rocade ferrée T11, après l’abandon de la voie routière express Boulevard du Parisis (BIP), décidée le 25 septembre dernier, par la présidente du Conseil départemental, Mme Cavecchi, qui déclare : « Nous ne demanderons pas à M. le Préfet du Val d’Oise de confirmer la déclaration d’utilité publique de l’Avenue du Parisis »… Rappelons pourtant qu’en 2022, le département avait fait appel de la décision d’annulation de l’arrêté d’utilité publique du projet et que la poursuite des travaux avait été validée par le Conseil d’État. Mais Mme Cavecchi de poursuivre : « Notre priorité pour l’avenir du territoire a toujours été de concilier amélioration de la mobilité et préservation du cadre de vie de tous les Val d’Oisiens. C’est le sens de la décision que je prends aujourd’hui ».

Illustration 1
Figure 1 Encadré Transit / Desserte © J. Lorthiois

Sur la carte jointe ci-dessous (Figure 2), on constate plusieurs éléments de comparaison, qui plaident largement en faveur de T11

a/ le type de transport

Il y a peu de points communs entre :

  • une voie routière express, par définition exerçant une fonction de transit (d’où son qualificatif « express ») formant un barreau reliant deux axes autoroutiers d’échelle métropolitaine (A 15 et surtout A1), même si le terme de « Boulevard urbain » ou d’« avenue du Parisis » a pour but de donner le change [1];
  • une ligne de transports en commun en tram-train qui assure une fonction de desserte en faisant du cabotage de ville en ville, reliant des pôles d’habitat à des pôles d’emplois, à l’échelle de 3 bassins locaux : ceux d’Argenteuil, de Saint-Denis et de Bobigny. L’échelle métropolitaine étant assurée également par les connexions de cette rocade avec des lignes rejoignant le cœur d’agglomération.

Précisons qu’un tram-train présente de grands avantages par rapport à un tramway, puisqu’il ne se mêle pas à la circulation automobile, mais circule sur des voies dédiées SNCF, ce qui permet des vitesses bien supérieures.

b/ le tracé

Ceux du BIP et de T11 sont presque parallèles, tous deux en rocade (liaison banlieue/banlieue), par différence avec une liaison en radiale (liaison périphérie d’agglomération /centre, comme A15, A1 ou les différents RER ou Transiliens). Un type de transport qui manque cruellement dans nos banlieues - surtout en grande couronne - traversées par de multiples radiales qui vident les communes « pôles de main-d’œuvre »[2] qui ne sont pas des pôles d’emplois, sans les desservir. Notons que T11 est une des rares lignes ferrées située uniquement sur la même rive droite de la Seine, ce qui évite des ouvrages d’art importants pour traverser le fleuve (en raison de ses méandres, ce peut être à plusieurs reprises).

c/ la longueur

T11 est un peu plus long (28 km) que le BIP (21 km), dont 15 km restaient à construire. La voie ferrée T11 est facile à gérer parce que courte (pour mémoire, rappelons à titre de comparaison la longueur de l’axe de desserte SNCF le plus difficile à gérer en Ile-de-France : le RER D avec ses 197 km !).

d/ la densité du territoire traversé

Le BIP circule dans un territoire en périphérie d’agglomération, de moyenne densité. Les 14 communes traversées représentent environ 300 000 habitants. Un nombre double pour les populations desservies par T11 (620 000 hab.), dont le désenclavement de 27 quartiers sensibles. Argenteuil (110 000 hab.), cinquième ville d’Ile-de-France [3] sera particulièrement bien lotie, avec deux gares remarquablement situées, l’une en plein cœur d’un des plus importants quartiers sensibles franciliens (Val d’Argent, 50 000 hab), et l’autre en centre-ville. 

Illustration 2
Figure 2 © M. Kayadjanian et J. Lorthiois

e/ Les connexions

Le BIP relie deux autoroutes : A 15 à A1 (l’axe le plus fréquenté d’Europe, 100 000 véhicules /jour à hauteur de Gonesse, 200 000 à hauteur de Saint-Denis), dont deux tronçons sont déjà mis en service aux deux extrémités. La prétendue amélioration de l’accès à la plateforme de Roissy, mise en avant par les promoteurs de cette liaison ne concerne qu’un nombre très restreint d’habitants des communes traversées (en particulier, seulement 2,4% des actifs occupés de ces villes travaillent dans la commune de Roissy)[4]. Les associations en opposition à cette voie express [5] craignaient avec juste raison que l’achèvement de ce barreau à caractéristiques autoroutières (2 x 2 voies) permettant d’éviter les deux segments les plus chargés d’A 15 et A1… puisse constituer un itinéraire bis attractif pour les très nombreux camions fréquentant ces deux axes (notamment ceux qui desservent le plus gros pôle logistique d’Ile-de-France : Gennevilliers).

Rien à voir avec les connexions offertes par la mise en service totale de T 11 qui sont particulièrement remarquables. Précisons qu’il s’agit d’une rocade interdépartementale, qui met en réseau les banlieues populaires de 3 départements de grande et petite couronne : le 78 avec Sartrouville, le 95 avec Argenteuil et 8 communes de Seine-Denis. Bien visibles sur la carte de la figure 2, les connexions sont résumées dans le tableau ci-dessous (figure 3). A son achèvement, T11 permettra la liaison avec toutes les radiales du Nord-francilien, sans compter les tramways et les lignes projetées du métro du Grand Paris Express.

Illustration 3
Figure 3 © J. Lorthiois

f/ les travaux et le coût

Nous ne décrivons pas ici les travaux envisagés pour le BIP, mais ils étaient conséquents. Les associations d’opposants avaient souligné que les 11 km en pointillés sur la carte (figure 2) auraient réclamé un chantier titanesque : « Il coupe en deux plusieurs villes du Val d’Oise. Il menace la santé de 10 000 enfants, dont les écoles le long du tracé. Ce projet routier détruirait également une centaine d’hectares d’espaces naturels et agricoles » précise le site "Vivre sans le BIP".

Rien de semblable pour T11, puisque les voies existent depuis près de 150 ans ! Il s’agit en effet d’aménager l’ancienne ligne de grande ceinture de la SNCF, intitulée ensuite « Tangentielle Nord », dont la première DUP a été déposée…en 1875 !! Après avoir été fermée aux voyageurs (Argenteuil : 1930), elle a continué à être exploitée pour les marchandises. Donc il suffit d’aménager l’existant, ce qui ne représente absolument pas le même coût (environ 1,4 milliard) que de créer une voie routière express nouvelle. Un tronçon existe déjà, inauguré en 2017, allant d’Épinay-sur-Seine au Bourget, soit 11 km.

Restent deux tronçons à aménager : à l’Ouest de Sartrouville à Épinay, ce qui permettrait de mailler le bassin Sud d’Argenteuil ; à l’Est, du Bourget à Noisy-le-Sec, assurant le maillage du bassin de Bobigny.

En SYNTHÈSE

Si l’ensemble des éléments développés dans cette comparaison entre BIP et T11 confortent le fait que l’abandon du BIP est une sage décision, il n’en est pas de même pour le retrait de T11 dans le Contrat de Plan État-Région (CPER) en cours, contrairement aux précédents. Malgré son intérêt évident, plus aucun financement n’est prévu d’ici 2028, pour commencer à construire l’extension de T11, dont la mise en service effective serait repoussée jusqu’en 2035 ! En matière de communication, ce projet est, de plus, presque entièrement occulté par l’apparition d’un nouveau projet de métro, reprenant plus ou moins le tracé en transversale du BIP jusqu’au pôle de Roissy ( la ligne 19 du Grand Paris express) au moins cinq fois plus cher que le T11, pas plus financé que lui, posant la même question d’intérêt pour les habitants du Val-d’Oise que le BIP, vu la faiblesse des flux de déplacement de ces derniers vers l’aéroport. De plus, le pôle d’affaires de la Défense est frappé de désamour : très mal adapté aux exigences climatiques, il est de plus en plus boudé par les investisseurs privés, au profit de Paris et du futur hub de Saint-Denis Pleyel, sans compter le développement du télétravail qui vide des tours entières au profit d’une nouvelle fonction de coliving [6]. L’abandon du BIP renforce encore l’intérêt de construire le plus rapidement possible le T11. Il est urgent de remettre ce projet au-dessus de la pile des priorités des projets de transports en commun dans le Val-d’Oise et en Île-de-France. Le contrat de CPER devrait être amendé sur ce point.

Pour aller plus loin

Voir autre article plus ancien de ce blog sur le BIP, qui retrace l’historique et analyse toutes les données sur la main-d’œuvre, l’emploi et les déplacements domicile-emploi des 14 communes du linéaire du BIP.

Site Vivre sans le BIP : http://vivresansbip.canalblog.com/

SOS Montmorency : https://www.ville-montmorency.fr/ma-ville/abandon-du-projet-du-bip-une-victoire-pour-montmorency

NOTES

[1] La dénomination BIP choisie par le Directeur des routes de la DDE 95, permettait à la fois d’éviter le terme connoté d’autoroute (ancienne A 87), tout en valorisant sa nouvelle domanialité (passée de nationale à départementale) et de reprendre le nom géographique de « Parisis » inscrit au pied de la butte de Montmorency sur une grande carte du relief du Val d’Oise affichée à l’Atelier d’Urbanisme et dessinée à la plume et encre de Chine par…. l’autrice de ce blog.

[2] Voir définitions pôles d’habitat et de main-d’œuvre

https://j-lorthiois.fr/concepts-generaux/distinguer-les-bassins-sans-les-confondre/

[3] Après Paris, Boulogne-Billancourt, Saint-Denis et Montreuil.

[4] INSEE 2016, article sur le BIP dans ce blog, cité plus haut.

[5] Les associations d’opposition au BIP sont : Vivre sans BIP, SOS Vallée de Montmorency, Les Amis de la Terre 95.

[6] Un exemple du développement du coliving à la Défense

https://www.lemoniteur.fr/photo/paris-la-defense-devoile-le-premier-laureat-de-son-appel-a-projets-urbains-empreintes.2300607/le-projet-synapses.1

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