
Dylan Evans est né en 1966 à Bristol. A l’âge de 20 ans, il décida de devenir prêtre, mais perdit la foi peu de temps après cette décision. Il fit alors des études universitaires de linguistique, puis alla enseigner l’anglais en Argentine. C’est à Buenos Aires — la ville la plus densément peuplée de psychanalystes — qu’il découvrit le lacanisme. Il suivit alors une formation et pratiqua l’analyse lacanienne.
Il a raconté son entrée en lacanisme et sa déconversion notamment dans “From Lacan to Darwin” [1]. Nous reprenons quelques éléments de ce récit, ainsi que de son C.V. publié sur son site [2].
Evans évoque une des raisons de la fascination pour le lacanisme: «Les séminaires de Lacan étaient une fête intellectuelle, mais ils étaient aussi “addictifs” parce qu’il y avait toujours des choses qui restaient à explorer, à comprendre». Ce mécanisme a été bien illustré par le psychiatre belge Marc Reisinger, dans son livre Lacan l'insondable (Éd. Les empêcheurs de penser en rond, 1991, 190 p.).
Revenu en Angleterre, Evans a poursuivi sa formation lacanienne en se rendant à Paris une fois par mois, pour six ou sept séances de didactique en deux ou trois jours.
Durant sa formation psychanalytique en Argentine, Evans avait commencé à constituer un registre de citations pour comprendre et articuler l’édifice des concepts lacaniens. Il a ainsi réalisé, progressivement, les incohérences de la théorie lacanienne : «Lorsque j’essayais de trouver le sens de la rhétorique bizarre de Lacan, il devenait de plus en plus clair que le langage obscur ne dissimulait pas des significations plus profondes, mais était en réalité une manifestation évidente de la confusion inhérente à la pensée même de Lacan. Mais alors que la plupart des commentateurs de Lacan préféraient singer le style du maître et perpétuer l’obscurité, je voulais dissiper les brumes et exposer tout ce qui était en jeu — même si cela signifiait que l’on découvrait que l’empereur était nu. De façon ironique, ma tentative d’ouvrir la théorie lacanienne à la critique a joué un rôle déterminant dans mon rejet de la théorie lacanienne.»
Cet élément du cheminement intellectuel d’Evans rappelle l’étude, par le sociologue américain Erwin Goffman, des procédés de mystification du public. Goffman concluait: «Comme le montrent d'innombrables contes populaires et d'innombrables rites d'initiation, le véritable secret caché derrière le mystère, c'est souvent qu'en réalité il n'y a pas de mystère; le vrai problème, c'est d'empêcher le public de le savoir aussi» [3].
Evans a malgré tout publié le résultat de son travail sous forme d’un dictionnaire : An introductory dictionary of lacanian psychoanalysis (Routledge, 1996, 264 p.), traduit en espagnol en 2010 (Buenos Aires : Ediciones Paidos, 217 p.).
Ayant achevé sa formation d’analyste, Evans a pratiqué à Londres en privé et dans un hôpital public. Il a alors constaté l’absence d’efficacité pratique du discours lacanien: «Chaque fois que j’arrivais à aider quelqu’un, c’était toujours parce que j’avais mis de côté ma théorie lacanienne pendant un moment et que j’avais répondu simplement avec mon intuition, avec empathie, avec du sens commun. Inversement, je venais rarement en aide lorsque j’avais fait ce que je supposais devoir faire en fonction de ma formation lacanienne.»
Concernant la thérapie, Evans a conclu que «les idées de Lacan sont désespérément inadéquates parce que fondées sur une théorie erronée de la nature humaine.» Pour Lacan, l’analyste ne détient pas un savoir secret. L’analyste est «le sujet supposé savoir». Le patient s’imagine que l’analyste sait. Au cours du traitement, il perd progressivement sa foi dans l’analyste. Le patient doit faire cette douloureuse expérience de la désillusion afin de réaliser que personne d’autre que lui-même détient la clé de son existence. Evans a été choqué par le fait que l’analyste entretient ainsi la crédulité du patient, au lieu de lui faire savoir clairement qu’il ne possède pas de connaissances secrètes.
Notons en passant que le philosophe-sociologue François George avait été scandalisé pour la même raison. Il a développé ce reproche dans L’effet ‘Yau de Poële de Lacan et des lacaniens. Il écrivait notamment: «Lacan est le sujet supposé savoir, et la fin de la psychanalyse, la liquidation du transfert, intervient quand il se dévoile aux yeux du patient étonné que ce sujet supposé savoir ne sait pas grand-chose : il ne reste alors qu’à le rejeter comme une merde, selon la propre expression de Lacan, parce qu’il n’a jamais été qu’une merde — de la merde dans le bas de soie du savoir supposé. Le sujet supposé savoir, cela pourrait être une honnête définition du charlatan. […] En d’autres termes, le ressort de la psychanalyse, c’est le bluff: le psychanalyste est supposé détenir le carré d’as, et la règle, c’est de ne pas demander à voir» [4].
La déconversion d’Evans a été relativement lente. Il écrit: «Ce fut un processus graduel, au cours duquel les incohérences de la théorie lacanienne et les dangers de la thérapie lacanienne m’apparurent de plus en plus évidents à mesure que je comprenais davantage la théorie et la thérapie.» Ainsi, l’évolution d’Evans est semblable à celle de Stuart Schneiderman, qui fut un temps le principal représentant du lacanisme à New York [5].
Bien que ses yeux se soient ouverts sur le lacanisme, Evans s’est encore rendu à l’université de New York à Buffalo, une des seules universités américaines où cette doctrine était enseignée. Cet enseignement ne s’y faisait pas dans le département de psychologie ou de psychiatrie, mais dans celui de littérature comparée. Pour l’enseignante, la valeur de l’œuvre de Lacan résidait dans son pouvoir d’interpréter des textes littéraires. Selon elle, les contradictions internes du lacanisme n’avaient guère d’importance quand il s’agit d’herméneutique.
De retour à Londres, Evans a entrepris un doctorat au département de philosophie fondé par Karl Popper à la London School of Economics. Il y a pris goût à la clarté, à la concision et au souci de vérification [6]. Les séminaires lacaniens lui sont apparus désormais comme des jeux baroques: «Les débats dans les séminaires lacaniens étaient une pure question d’exégèse — qu’avait voulu dire le maître avec telle et telle phrase ? Personne ne faisait le pas logique suivant de demander: avait-il raison ? Cela allait de soi.» Chez les lacaniens, la question «est-ce vrai ?» est accueillie avec un sourire condescendant: «Qu’est-ce qui est vrai ?», «vous ne croyez tout de même pas dans des faits ?»
Evans a également compris que les formalisations, avec lesquelles Lacan jouait dans ses dernières années, n’étaient que des «métaphores surréalistes». Il écrit: «Ses formules et ses diagrammes donnent une impression de rigueur, du moins aux yeux de ceux qui n’ont pas de formation scientifique, mais lorsqu’on les examine de plus près il devient évident qu’ils contredisent même les règles les plus élémentaires des mathématiques». Pour la démonstration, Evans renvoie au livre d’Alan Sokal et Jean Bricmont, Les impostures intellectuelles [7].
Evans signale que les lacaniens avec qui il a encore eu des relations après sa déconversion « ne voient pas son changement d’idées comme le résultat d’une recherche honnête et sincère de la vérité, mais comme une trahison, une apostasie, une perte de la grâce. »
Evans a présenté sa thèse de doctorat en 2000. Il a ensuite écrit plusieurs ouvrages, notamment : Introducing evolutionary psychologie (Totem Books, 2000, 176 p.), Emotion : The science of sentiment (Oxford University Press, Oxford University Press, 2002, 224 p.) et Placebo : Mind over Matter in moderne medicine (Harper Collins, 2005, 256 p.) Il a poursuivi des études de robotique et a enseigné cette discipline à l’université de Bath et à University of the West of England. Il a continué une carrière universitaire, en développant divers domaines de compétence. En 2006, il a tenté de vivre un temps en Écosse sans la technologie et le confort modernes (The Utopia Experiment). L’expérience s’est avérée pénible et déprimante. Depuis lors, il a réalisé bien d’autres choses, que l’on peut découvrir notamment via son C.V. et sa bibliographie [2].
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[1] in J. Gottschall & D. Sloan Wilson (eds) The Literary Animal. Evolution and the nature of narrative Northwestern University Press, 2005, p. 38-55. En ligne : https://media.wix.com/ugd/519faf_f4e5ddcc6612d8072b9d59cdb90998c0.pdf
[2] C.V. : https://www.dylan.org.uk/
[3] Goffman, Erving (1959) The presentation of self in everyday life. Doubleday. Trad., La mise en scène de la vie quotidienne. Minuit, 1973, vol. 1, p. 71.
[4] Éd. Hachette, 1979 (204 p.), p. 177s.
[5] Sur l’entrée en lacanisme et la déconversion de Schneiderman, voir :
[6] Popper écrivait : « C'est un devoir moral de tous les intellectuels de tendre vers la simplicité et la lucidité : le manque de clarté est un péché et la prétention un crime » (Objective knowledge. Clarendon Press, 1972. Trad., La connaissance objective. Éd. Complexe, 1978, p. 55).
Rappelons que Popper s’est également enthousiasmé pour la psychanalyse puis s’est déconverti. Cf.
[7] Odile Jacob, 1997, 276 p. Éd. revue et corrigée, Le Livre de Poche, n° 4276, 1999, 414 p.
Brève présentation de ce livre : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article168
Présentation des principales idées par J. Bricmont : http://www.dogma.lu/txt/JB_Impostures-intellectuelles.htm
Pour d’autres déconvertis du freudisme et du lacanisme, voir le film de Sophie Robert :
https://www.dailymotion.com/video/x37mnmz_les-deconvertis-de-la-psychanalyse_school
Deux sites pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, les psychothérapies, les psychanalyses, l'épistémologie, l’esprit critique, etc.
1) Site de l'Association Française pour l'Information Scientifique : www.pseudo-sciences.org
2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve
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2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification du comportement
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