Jacques Van Rillaer (avatar)

Jacques Van Rillaer

Professeur émérite de psychologie à l'université de Louvain

Abonné·e de Mediapart

176 Billets

0 Édition

Billet de blog 12 novembre 2023

Jacques Van Rillaer (avatar)

Jacques Van Rillaer

Professeur émérite de psychologie à l'université de Louvain

Abonné·e de Mediapart

La dépénalisation de l’euthanasie entravée par l’Église

Le Portugal est le 5ème pays européen qui a dépénalisé l’euthanasie. L’Église a tenté d’empêcher la loi. Le Pape a déploré qu’une « loi ait été votée pour tuer ». On examine ici si le terme « tuer » est approprié. On montre que les Juifs et les chrétiens ont beaucoup tué au nom d’un Dieu qui apparaît comme jaloux, injuste, cruel et génocidaire.

Jacques Van Rillaer (avatar)

Jacques Van Rillaer

Professeur émérite de psychologie à l'université de Louvain

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Portugal est le 5ème pays européen qui a dépénalisé l’euthanasie, après les Pays-Bas (2001), la Belgique (2002), le Luxembourg (2009) et l’Espagne (2020). La loi met fin à des peines potentiellement très lourdes pour ceux qui aident une personne — qui en a fait la demande librement et à plusieurs reprises — à mettre un terme à une maladie incurable, accompagnée d’intenses souffrances.

Le Président du Portugal, Marcelo Rebelo de Sousa, conservateur et fervent catholique, avait à deux reprises exprimé son véto et renvoyé le projet devant une cour constitutionnelle. Il a fini par remplir son devoir constitutionnel en promulguant comme il se doit la loi votée à l’Assemblée.

L’Église du Portugal espère que cette «loi puisse être abrogée», car la dépénalisation de l'euthanasie entraîne selon elle «un net recul de civilisation».

Dans un communiqué rendu public, les évêques portugais ont déclaré que «La vie humaine n'est plus protégée et subit une grave atteinte à sa valeur et à sa dignité». Ils ont appelé les familles et les professionnels de santé à «rejeter catégoriquement la loi dépénalisant l'euthanasie » [1].

La condamnation du Pape

Le Pape François a déclaré le 13 mai : «Aujourd'hui je suis très triste, parce que dans le pays où la Vierge est apparue, une loi a été votée pour tuer» [2].

Commençons par noter l’affirmation : « le Portugal est le pays où la Vierge est apparue ». Pour un récit de cette apprition de la Vierge à Fatima, voir :

https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/311221/le-miracle-du-soleil-argument-de-bollore-bonnasies-pour-le-dieu-des-catholiques

Une loi pour “tuer”?

« Tuer » signifie « causer la mort ». Vu de l’extérieur, le médecin cause la mort, mais si l’on examine l’intentionalité, le médecin ne fait qu’accéder à la demande formulée par une personne qui veut mettre fin à sa vie devenue pénible, misérable. Le médecin doit tenir compte d’une série de conditions légales : maladie incurable, souffrances intenses, demande explicite du malade, accord de plusieurs médecins.

Le Pape répète l’enseignement traditionnel de l’Église. On lit dans Catéchisme de l’Église catholique : « Toute vie humaine, dès le moment de la conception jusqu’à la mort, est sacrée parce que la personne humaine a été voulue pour elle-même à l’image et à la ressemblance du Dieu vivant et saint. […] L’euthanasie volontaire, quels qu’en soient les formes et les motifs, constitue un meurtre. Elle est gravement contraire à la dignité de la personne humaine et au respect du Dieu vivant, son Créateur » (Nouvelle édition, Éd. Centurion/cerf, 1998, p. 561).

Notons cette curieuse formule : la personne humaine a été voulue à l’image du Dieu vivant. Le Dieu vivant souffre-t-il régulièrement de maladies très douloureuses ? Finit-il par mourir ? En réalité, ce sont le hommes qui ont créé des dieux à leur image. Le concept de Dieu varie considérablement selon les lieux et les époques. Le Dieu Yahvé imaginé par les Juifs est injuste, jaloux, cruel, génocidaire.

Le Dieu des chrétiens aime la souffrance

La position du Vatican est logique. Le Dieu des chrétiens aime la souffrance et l’inflige depuis qu’il a créé les êtres humains.

Rappelons que, pour les chrétiens, « L’Ancien Testament est une partie inamissible de l’Écriture Sainte. Ses livres sont divinement inspirés et conservent une valeur permanente car l’Ancienne Alliance n’a jamais été révoquée » (p. 43).

L’Ancien Testament est rempli de récits de châtiments infligés par Dieu, à commencer par celui des pauvres Adam et Eve, qui avaient mal anticipé la furieuse réaction du Créateur, qui voulait des créatures soumises et ignorantes. Après un acte de désobéissance, le sort de toute l’Humanité s’est trouvé scellé pour l’éternité ! Yahvé dit à la femme : « Je multiplieri les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils. Ton mari dominera sur toi » (Genèse 3 :16). Il dit  à l’homme: « À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré (3 :19). « Et Yahvé Dieu le renvoya du jardin d’Eden pour cultiver le sol d’où il avait été tiré » (3 :23).

Dieu n’avait pas su anticiper tout ce qu’allait faire sa créature. Peu de temps après avoir créé l’homme, « Yahvé vit que la méchanceté de l’homme était grande. […] Il se repentit d’avoir fait l’homme. […] Il se dit : “Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j'ai créés — et avec les hommes, les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel ”» (Genèse 6 :5-7). Seuls Noé et sa famille ne furent pas tués par un déluge de 40 jours. Cette histoire est le premier génocide effectué par Dieu. Il y en aura bien d’autres dans l’Ancien Testament.

“Tu ne tueras pas” … des gens de ton peuple

Selon la tradition juive, Moïse a reçu de Dieu 10 commandements qu’il a annoncés aux Hébreux comme suit. « Yahvé a dit : “Tu n’auras pas d’autres dieux que moi. […] Moi, Yahvé ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis la faute des pères sur les enfants et les arrières-petits-enfants, pour ceux qui me haïssent, mais qui fais grâce à des milliers, pour ceux qui m’aiment et gardent mes commandements. […] Tu ne tuera pas. Tu ne commettras pas d’adultère […]” » (Deutéronome ch. 5).

Pendant que Moïse était en conversation avec Yahvé sur le mont Sinaï, le peuple indôlatrait un veau d’or. Quand Moïse vit la statue, il rassembla les Juifs restés fidèles à Yahvé et transmit l’ordre de Yahvé de tuer tous les Juifs infidèles : « Ainsi parle Yahvé, le Dieu d’Israël : Ceignez chacun votre épée ! Circulez dans le camp, d’une porte à l’autre, et tuez, qui son frère, qui son ami, et qui son proche ! Les fils de Lévi exécutèrent la consigne de Moise et, ce jour-là, environ trois mille hommes du peuple perdirent la vie » (Exode 32:27s)

 « Tu ne tueras pas » (verset 17) ne s’adresse qu’aux Juifs, comme l’a souligné Spinoza : « J’ai compris que les lois révélées à Moïse par Dieu n’étaient rien que la législation propre à l’État des Hébreux » [3]. Il faut ajouter que le commandement ne concerne que les Juifs qui observent strictement la Thora.

Moïse, après avoir présenté le Décalogue, déclare qu’il n’y a pas de problème à exterminer totalement des peuples pour prendre leur territoire  : « Lorsque Yahvé ton Dieu t'aura fait entrer dans le pays dont tu vas prendre possession, des nations nombreuses tomberont devant toi : les Hittites, les Girgashites, les Amorites, les Cananéens, les Perizzites, les Hivvites, et les Jébuséens, sept nations plus nombreuses et plus puissantes que toi. Yahvé ton Dieu te les livrera et tu les battras. Tu les dévoueras par anathème [4]. Tu ne concluras pas d'alliance avec elles, tu ne leur feras pas grâce. Tu ne contracteras pas de mariage avec elles, tu ne donneras pas ta fille à leur fils, ni ne prendras leur fille pour ton fils. Car ton fils serait détourné de me suivre; il servirait d'autres dieux; et la colère de Yahvé s'enflammerait contre vous et il t'exterminerait promptement. Mais voici comment vous devrez agir à leur égard: vous démolirez leurs autels, vous briserez leurs stèles, vous couperez leurs pieux sacrés et vous brûlerez leurs idoles. Car tu es un peuple consacré à Yahvé ton Dieu; c'est toi que Yahvé ton Dieu a choisi pour son peuple à lui, parmi toutes les nations qui sont sur la terre » (Deutéronome 7:1-6).

L’histoire de la Bible est une longue célébration de la violence. Yahvé commande de conquérir une série de régions pour en faire « la Terre promise » du « Peuple élu ». On lit par exemple dans Le livre de Josué : « Josué revint et s'empara de Haçor dont il tua le roi d'un coup d'épée. Haçor était jadis la capitale de tous ces royaumes. On passa aussi au fil de l'épée tout ce qui s'y trouvait de vivant, en vertu de l'anathème. On n'y laissa pas âme qui vive et Haçor fut livrée au feu. Toutes les villes de ces rois, ainsi que tous leurs rois, Josué s'en empara et les passa au fil de l'épée en vertu de l'anathème, comme l'avait ordonné Moïse, serviteur de Yahvé » (11:10-12)

Illustration 1

Destruction de Haçor

Au XXe siècle, l’État juif a repris l’idéologie biblique du Peuple élu et de la Terre promise avec la justification de la violence pour étendre le « Lebensraum ».

Dans le Nouveau Testament, le sort réservé par Dieu le Père à son Fils est épouvantable : un long supplice par crucifixion jusqu’à la mort. Les dernières paroles du Fils agonisant sur la croix furent : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?” (Mt 27:46). Le supplice physique s’est accompagné d’un supplice psychologique.

Selon la doctrine de l’Église catholique, le supplice du Christ est un acte de réparation de la faute commise par Adam et Eve. Saint-Paul écrivait aux Romains : « La preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. Combien plus, maintenant justifiés dans son sang, serons-nous par lui sauvés de la colère » (Rom, 5:8-9). « Par la désobéissance d'un seul homme la multitude [tous les hommes] a été constituée pécheresse, ainsi par l'obéissance d'un seul la multitude sera-t-elle constituée juste » (5:19).

Le Catéchisme de l’Église catholique confirme : « En ceci consiste la rédemption du Christ : Il est “venu donner sa vie en rançon pour la multitude” (Mt 20,28), c’est-à-dire “aimer les siens jusqu’à la fin” (Jn 13,1) pour qu’ils soient affranchis de la vaine conduite héritée de leurs pères » (Op. cit., p. 162). Le raisonnement est archaïque : il s’agit de l’idée de la responsabilité collective et de la pratique du bouc émissaire.

Les souffrances des chrétiens, et tout particulièrement l’agonie qui précède la mort, sont une imitation des souffrances du Christ. Le Catéchisme enseigne : « Par sa passion et sa mort sur la Croix, le Christ a donné un sens nouveau à la souffrance : elle peut désormais nous configurer à Lui et nous unir à sa passion rédemptrice » (Op. cit., p. 379).

Au nom de Dieu, des Juifs et des chrétiens ont beaucoup tué

Des Juifs ont tué essentiellemment pour conquérir des terres ou pour punir ceux d’entre eux qui ne pratiquaient pas les Lois de l’alliance. Flavius-Josèphe, auteur juif qui vivait à Rome au Ier siècle, a publié dans son Contre Apion une apologie du judaïsme à l’intention des non-Juifs. Il y met en évidence, comme un argument en faveur du sérieux de la Loi de Moïse, l’usage étendu qui est fait de la peine capitale : « Dans la plupart des cas où l’on transgresse la Loi, la peine est la mort : si l’on commet un adultère ; si on viole une jeune fille ; si l’on ose entreprendre un mâle ou si celui-ci accepte de subir cet acte » [5]. La lapidation, comme on peut le lire à longueur de pages dans Le Lévitique, est le châtiment juif par excellence.

Jésus a manqué d’être lapidé par des Juifs qui considéraient qu’il blasphémait (Jean, 10 : 31). Il a sauvé de la lapidation une femme qui avait trompé son mari. Les scribes et les Pharisiens qui lui avaient amené la femme lui demandèrent : « Moïse nous a prescrit dans la Loi de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? ». Jésus leur dit : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! À ces mots, ils se retirèrent un à un à commencer par les plus vieux » (Jean, ch. 8).

L’Église a tué, fait tuer ou laissé tuer un nombre considérable de personnes, notamment les Cathares, des prétendues sorcières et d’autres victimes de l’Inquisition, des protestants…

Illustration 2

Hérétiques brûlés vifs à Valladolid en 1559

En 1572, « Lors du massacre de la Saint-Barthélemy, entre 5 000 et 10 000 protestants trouvèrent la mort en moins de vingt-quatre heures. Quand le pape apprit la nouvelle à Rome, sa joie fut telle qu’il a organisé des prières de liesse pour célébrer l’occasion et chargea Giorgio Vasari de faire une fresque du massacre dans une salle du Vatican (aujourd’hui inaccessible aux visiteurs). Plus de chrétiens moururent de la main d’autres chrétiens au cours de ces vingt-quatre heures que sous l’Empire romain polythéiste tout au long de son existence » [6].

Illustration 3

 La fresque de Giorgio Vasari commandée par le Pape Grégoire XIII (1573)

 Au vu de l’histoire de la religion juive et chrétienne, le Pape et les autorités catholiques devraient s’abtenir de tenter d’empêcher la dépénalisation de l’euthanasie. Ils devraient se contenter de prescrire l’interdiction de l’euthanasie à leurs fidèles, encore que l’on puisse regretter le contrôle mental qu’ils exercent sur des malheureux qui souhaient mettre un terme à leurs souffrances. Il faut souligner que bon nombre de chrétiens croient encore à la possibilité d’une damnation éternelle. Le Christ en a parlé plusieurs fois, disant par exemple : « Si ton oeil est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi : mieux vaut pour toi entrer borgne dans la Vie que d'être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu » (Mt 18 :9). Aujourd’hui, l’Église parle moins de l’enfer qu’aux siècles passés, mais n’a pas changé la doctrine : « L’enseignement de l’Église affirme l’existence de l’enfer et son éternité. Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement après la mort dans les enfers, où elles souffrent les peines de l’enfer, “le feu éternel” » (Cathéchisme de l’Église catholique, 1997, § 1035).

Illustration 4

L’Enfer. Hans Memling (1471)

Références

[1] Benoît Van der Meerschen (2023) Éditorial. In : Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), N° 165.

[2] https://www.vaticannews.va/fr/eglise/news/2023-05/portugal-l-eglise-regrette-la-legalisation-de-l-euthanasie.html

[3] Tractatus theologico-politicus, 1670, préface.

[4] La Bible de Jérusalem précise : « L’anathème comporte le renoncement à tout le butin et son attribution à Dieu : les hommes et les animaux sont mis à mort, les objets précieux sont donnés au sanctuaire. Tout manquement devient un sacrilège et est sévèrement puni » (Éd. du Cerf, 1955, p. 226).

[5] Cité par Jean Soler (2012) Qui est Dieu ? Éd. de Fallois, p. 81.

[6] Harari, Yuval Noah (2015) Sapiens. Une brève histoire de l’humanité. Trad., Albin Michel, p. 255.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.