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Billet de blog 21 janvier 2024

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L’utilisation de l’accusation d’antisémitisme par Bernard-Henri Lévy

Comment Bernard-Henri Lévy use et abuse de l’accusation d’antisémitisme comme stratagème pour « tuer » médiatiquement ceux qui osent être en désaccord avec lui

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Illustration 1

L’historien Jacques Le Rider, professeur à l'Université de Paris VIII et directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Paris), écrit que l’accusation d’antisémitisme « est la pire des accusations, celle qu'on lance pour tuer son adversaire » (Le Monde des livres, 30-10- 2009).

Cette stratégie est parfaitement illustrée dans le cas de Bernard-Henri Lévy, comme l’explique Pascal Boniface (Enseignant à l'Université de Paris VIII) dans :

Les intellectuels faussaires. Le triomphe médiatique des experts en mensonge [1]

Extraits (pp. 233-236) :

« BHL est obsédé par l'antisémitisme qu'il voit partout et dénonce urbi et orbi. À le croire, nous sommes dans les années trente. Il serait intéressant de calculer combien de fois le terme revient dans ses chroniques. La dénonciation de l'antisémitisme lui sert indirectement de motif de disqualification ou de dissuasion vis-à-vis de ceux qui ont le toupet d'être en désaccord avec lui. BHL est juif, donc ceux qui ne sont pas d'accord avec lui n'aiment pas les juifs. CQFD.

Une enseignante, qui avait envoyé un manuscrit aux éditions Grasset qui n'avait pas été publié et dont elle retrouve plusieurs personnages dans le livre Le Diable en tête, l'accuse de plagiat. La réplique est immédiate via son avocat Me Thierry Lévy : la plaignante a agi sous l'influence de groupes antisémites [2]. Comme le souligne Philippe Cohen, l'accusation d'antisémitisme semble être un moyen de défense systématique. À une attachée de presse des éditions Grasset qui, avec moult précautions, lui recommandait de ne pas se montrer trop macho dans la présentation de son roman, BHL réplique : “Et si je disais que vous êtes antisémite ?”

Pour demander la non-reconduction du contrat de Frédéric Taddeï, il lui reproche d'accréditer l'idée d'un complot juif qui empêcherait Dieudonné d'être invité. Or justement, Frédéric Taddeï expliquait qu'il invitait Dieudonné pour qu'il ne puisse pas se présenter comme victime. Frédéric Taddeï réplique “On croit rêver ! Il n'a jamais été question de complot juif dans l'interview. Bernard-Henri Lévy parle tout seul et me demande de démentir les propos qu'il a lui-même tenus.”

Le 10 octobre 2007 sur France Culture, Olivier Duhamel s'inquiète : “Dans ces attaques contre vous, ou dans ces critiques contre vous, est-ce que vous pensez qu'il y a une dimension antisémite ?”

Approuvant le renvoi de Siné de Charlie Hebdo, il écrit : “Derrière ces mots-là, une oreille française ne pouvait pas ne pas entendre l'écho de l'antisémitisme le plus rance.” Et il ira d'ailleurs témoigner au procès de ce dernier. Siné sera acquitté.

Lors de l'affaire Botul où BHL s'est une nouvelle fois ridiculisé — et une nouvelle fois sans aucune conséquence sur son exposition médiatique —, l'argument a de nouveau été utilisé. Dans deux articles apparemment puisés aux meilleures sources, L'Express [4]“Indiscrets” et Le Monde  [5] “BHL contre Bernard-Henri Lévy”, les journalistes évoquant le flot de commentaires sur cette affaire expliquent que le site de Libération a dû fermer son forum en raison des propos injurieux et antisémites qui se multipliaient. Qu'il y ait eu ce type de commentaires est probable. Il y a des débordements en tout genre dès que l'on évoque le

Proche-Orient ou les problèmes communautaires en France. Mais l'idée ici sous-jacente c'est d'expliquer par le seul antisémitisme, les attaques contre BHL. Encore un peu et on va nous expliquer que Botul est antisémite !

Laurent Dispot, dans le numéro anniversaire de La Règle du jeu, parle de BHLphobie, dont le moteur serait le vieil énoncé de “La France juive” d'Édouard Drumont. “Lévy te ment mais sur le mode de l'évitement.” Dans Le Monde du 5-6 décembre 2010, Nicolas Truong écrit “que toute critique du directeur de La Règle du jeu soit renvoyée à un antisémitisme larvé est un procédé qui relève de l'intimidation intellectuelle, voire de l'abus d'histoire et de mémoire”. Commentaire courageux de sa part au moment où BHL entre au conseil de surveillance du Monde.

Illustration 2

Élizabeth Roudinesco, une amie de BHL, utilise systématiquement la même « épistémologie » dès qu’il s’agit de Freud : vos critiques ne sont pas rationnelles, ce n’est que de l’antisémitisme. Ainsi, concernant l’ouvrage de Jacques Bénesteau, « Mensonges freudiens », elle publie un article dans « Les Temps Modernes » intitulé : « Chronique d'un antisémitisme masqué ». « Masqué » signifie que l’ouvrage n’a rien d’antisémite en apparence, mais qu’il l’est « quelque part ». Les quelques citations données par É. Roudinesco sont tout simplement déformées ! Cela relève du mensonge, de la calomnie ou de la paranoïa juive.

La stratégie de Roudinesco a été payante : bien que le livre ait reçu, à l’unanimité, le prix scientifique de la Société française d’histoire de la médecine, la majorité des médias français n’ont tout simplement pas parlé de cet ouvrage extrêmement documenté. Parmi les exceptions : la revue scientifique « La Recherche » qui le présente comme « Le livre du mois »

Illustration 3

É. Roudinesco a tenté d’utiliser la même accusation à l’égard des auteurs du « Livre noir de la psychanalyse ». Les dégâts ont été limités grâce à la courageuse intervention de Laurent Joffrin, alors directeur du « Nouvel Observateur ». Sur cette affaire, voir :

« Les anti-Freud sont-ils antisémites », J.-Fr. Marmion dans « Les Cercle Psy »

https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/301123/les-anti-freud-sont-ils-antisemites

ou pour le pdf

https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/301123/les-anti-freud-sont-ils-antisemites

Pour clore, une anecdote savoureuse

Laura Goldman, qui a travaillé durant 25 ans à Wall Street, a connu Bernard Madoff à Palm Beach au milieu des années 1990. Elle avait alors eu des soupçons quant à la stratégie supposée d’« Uncle Bernie ». En 2001, deux journaux publient des articles faisant état de doutes concernant les résultats affichés par Madoff. Aussitôt elle faxe ces articles à quelques-unes de ses connaissances, qui avaient confiés leur fortune à l’escroc. Au lieu d’être remerciée pour des informations, qui auraient dû paraître importantes, elle se voit accusée d’antisémitisme.

Pour en savoir plus sur Madoff :

https://www.letemps.ch/economie/finance/bernard-madoff-escroc-devant-leternel

Références

[1] Paris : Jean-Claude Gawsewitch, 2011, 252 p.

[2] Philippe Cohen, op. cit., p. 291.

[3] Le Monde, 22 juillet 2008.

[4] 18 février 2010, p. 30.

[5] « BHL contre Bernard-Henri Lévy », 16 février 2010.

[6] Gubert, R. & Saint-Martin, E. (2009) “Et surtout n’en parlez à personne…” Au cœur du gang Madoff. Albin Michel, p. 282.

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