Il va donc de soi pour tout militant de gauche qu’il faut s’adresser à tous, ceux des « tours et des bourgs » comme dit Ruffin. D’autant plus que si la classe ouvrière a longtemps été autour des usines et dans les banlieues, aujourd’hui elle est dispersée aussi dans la ruralité. Cette dispersion est générée à la fois par l’éclatement de la production capitaliste en de multiples sous-traitants et par le prix des loyers dans les villes, y compris dans les banlieues. La ruralité dans une France où les paysans font moins de 1% de la population active est peuplée d’ouvriers et d’employés. La ruralité est ouvrière même si le regroupement de 50 tracteurs peut donner une impression différente. C’est pourquoi aussi les départements les plus ouvriers de France sont la Vendée ou le Jura et non plus le Nord ou la Seine St Denis.
Mais s’ils divergent la dessus Ruffin et Mélenchon sont tous deux d’accord pour parler le moins possible de l’immigration. Alors même que l’immigration est le ressort principal de la montée de l’extrême droite dans tous les pays occidentaux, qu’elle est le fondement de l’adoubement du nouveau premier ministre Michel Barnier par le RN. Si les 4 composantes de la Nupes puis de NFP se sont opposées à la loi immigration au moment de sa venue au parlement, elles n’ont mené aucune campagne contre elle alors qu’elle était annoncée depuis longtemps[1]. La position de toutes ces composantes, Ruffin et Mélenchon inclus, a été « moins on en parle, mieux c’est ». Ruffin sans doute en croyant être mieux entendu par les électeurs du RN, Mélenchon parce qu’il ne s’intéresse pas aux électeurs du RN, les qualifiant simplement de racistes.
Voir le billet : l’échec de la gauche face au RN ? l’immigration !
La classe ouvrière est divisée, ce n’est pas en mettant ce qui la tracasse sous le tapis qu’on contribue à son unité. La réalité finit par s’imposer. Unir les classes populaires c’est-à-dire schématiquement, les 70 % de la population active, ouvriers et employés, ceux qui gagnent moins de 2500 € par mois[2], exige de tenir compte des intérêts de toutes ses fractions, immigrés / natifs, ruraux / urbains, femmes / hommes etc…
Paradoxalement peut être l’immigration est la pierre de touche d’une plateforme de gauche pour unifier les classes populaires. D’une part parce qu’elle réintègre dans la classe ouvrière le tiers de ceux qui en France sont d’origine immigrée, y compris les sans -papiers, et d’autre part elle est le trait d’union avec les pays du Sud. Or ce développement du Sud est la seule solution aux tourments de l’immigration subie, à la fois pour les migrants et pour les pays d’accueil. L’importance donnée à l’immigration définit l’axe stratégique de la lutte, frontalement opposée à l’extrême droite, frontalement opposée à une stratégie à l’israélienne que cette extrême droite défend : se barricader dans des citadelles blanches face au Sud. Stratégie de malheurs, de drames et de crimes comme Israël nous le prouve chaque jour. Stratégie que les classes populaires ont tout intérêt à écarter.
Cette réticence à assumer fièrement l’immigration est en phase, chez Ruffin comme chez Mélenchon (ne parlons pas de Fabien Roussel !) avec des relents de chauvinisme. Dans le contrôle des frontières réclamé par Ruffin, comme dans le « second empire maritime mondial » célébré par Mélenchon ainsi que dans ses diatribes anti allemandes[3].
Non seulement il faut travailler à unir les 70% des classes populaires au lieu de les diviser mais il faudra même aussi rallier les 29% des classes moyennes (entre 2500 et 10 000 € par mois ?) afin de surmonter le pouvoir des 1% qui contrôlent l’économie, les médias, la présidence, les assemblées, l’armée, la police…
Un autre point commun :
A Ruffin, Mélenchon et avec eux toute la gauche, c’est de rarement mettre en cause les religions : Ruffin parce qu’il croit peut-être encore les campagnes peuplées de catholiques, Mélenchon parce qu’il fait de l’islam et non de l’immigration le trait d’union avec les banlieues et le Sud. C’est ce qui empêchait par exemple LFI de qualifier le mouvement de résistance islamiste terroriste Hamas… de « terroriste ». Or se dégager de l’Islam qui dévoie la lutte des Palestiniens comme du judaïsme qui accompagne les crimes d’Israël ou l’orthodoxie ceux de Poutine, fait partie des conditions de l’unité des classes populaires.
Mélenchon et Ruffin ont donc quelques points d’accord mais c’est pour de mauvaises raisons !
[1] Jacques Lancier « Étrangers, immigrés bienvenue ! Vous aussi êtes ici chez vous ». Éditions l’Harmattan 2023.
[2] Jacques Lancier « L’irruption des prolétaires » Éditions Manifeste ! 2022.
[3] Jean Luc Mélenchon « le Hareng de Bismarck, le poison allemand » Plon 2015.