jacques.lancier (avatar)

jacques.lancier

Communiste sans parti. Auteur de: "Etrangers, immigrés, bienvenue! vous aussi êtes ici chez vous", "L'Irruption des prolétaires", "Gilets Jaunes une lutte ouvrière décapante", "Réinventer le communisme"

Abonné·e de Mediapart

131 Billets

0 Édition

Billet de blog 17 mars 2024

jacques.lancier (avatar)

jacques.lancier

Communiste sans parti. Auteur de: "Etrangers, immigrés, bienvenue! vous aussi êtes ici chez vous", "L'Irruption des prolétaires", "Gilets Jaunes une lutte ouvrière décapante", "Réinventer le communisme"

Abonné·e de Mediapart

La gauche devrait aussi soutenir la résistance ukrainienne

Un militant de gauche m’a conseillé le livre de Michel Collon « Ukraine, la guerre des images », avec pour but de « rétablir la vérité sur la guerre d’Ukraine ». L’introduction commence par le fait que Metro aurait utilisé une photo d’une date précédente pour illustrer l’invasion de l’Ukraine par Poutine en 2022. D’emblée le doute est donc permis : cette invasion a-t-elle vraiment eu lieu ?

jacques.lancier (avatar)

jacques.lancier

Communiste sans parti. Auteur de: "Etrangers, immigrés, bienvenue! vous aussi êtes ici chez vous", "L'Irruption des prolétaires", "Gilets Jaunes une lutte ouvrière décapante", "Réinventer le communisme"

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’introduction[1] affirme  cependant « Pas question de nier que l’invasion russe a provoqué son lot de crimes de guerre et de souffrance pour la population »… mais « Il n’y a pas de guerre propre » donc tout cela est déjà à demi excusé.

Ensuite, tout le questionnement porte sur la victime et jamais sur l’agresseur. La démarche fait penser à la fille violée à qui l'on dit « d’accord vous avez été violée, mais quelle était la longueur de votre jupe ? la profondeur de votre décolleté ? ». Ainsi la question centrale est : « Croire Washington sur parole, ou vérifier ? ». Vérifier bien sûr ! Mais faut-il croire Poutine sur parole ? la question n’est pas posée. Le but du livre est selon l’affirmation de l’auteur lui-même uniquement : « analyser de manière critique… la propagande de l’OccidentPuisque nous vivons en Occident ».

QUELLES QUESTIONS FONDAMENTALES ?

Pour ce faire l’auteur réduit d’emblée le cadre de l’invasion de l’Ukraine avec « 5 questions fondamentales :

  • Qui a bombardé en premier ?
  • L’Ukraine est-elle unie ou déchirée ?
  • Le régime issu de la révolution de Maidan respectait il absolument la démocratie ?
  • Qui a refusé de négocier pour arrêter la guerre ?
  • L’Otan porte-t-elle une responsabilité dans l’éclatement du conflit ? »

D’autres questions bien plus fondamentales ne sont pas envisagées :

  • Qui a envahi qui ?
  • Quelles sont les règles internationales ?
  • Où ont lieu les bombardements et les destructions ?
  • Quels étaient les résultats des élections libres de 1991 en Ukraine, y compris en Crimée et dans le Donbass ?
  • Quelle est la position des travailleurs concernés ?

Des questions annexes, comme : Poutine respecte-t-il absolument la démocratie ? A-t-il une responsabilité dans le conflit ? Les travailleurs russes ont-ils pu exprimer leur opinion à propos de « l’opération spéciale » ? auraient pu en miroir à celles posées à l’Ukraine compléter utilement les questions posées par l’auteur.

Une position aussi biaisée, qui écarte de façon aussi grossière la réalité, n’a pas d’intérêt. Une personne de bon sens referme le livre dès l’introduction. J’ai continué cependant… Mais l’erreur de photo du journal Metro indiquait bien la tonalité générale : il s’agit de masquer la réalité d’ensemble sous les erreurs de détail. Les affirmations avancées contre la victime, sont souvent invérifiables, parfois vraies, parfois fausses. Mais la méthode est systématique et claire, semer le doute, questionner la victime, oublier l’agresseur et avec lui faire oublier la réalité : Qui a envahi qui ? Quelle est la position des travailleurs concernés ?

On retrouve la démarche des amis du Monde diplomatique mais aussi la position de Lula. Le « campisme ». Qu’est-ce qui fait que ces gens ne s’intéressent pas et ne tiennent aucun compte du discours même de Poutine qui justifie son agression par l’objectif de reconstituer « la Grande Russie », qui explicite refuser à l’Ukraine le droit à l’indépendance parce que  « l’Ukraine a été russe », et qui s’en prend pour cela aux communistes et à Lénine ? Qu’est-ce qui fait que ces militants qui se veulent de gauche ne tiennent aucun compte de la position des travailleurs concernés ?

LE RÉVISIONNISME et LE TROTSKISME

C’est comme si le fait que l’Occident étant l’impérialisme principal ces militants ne peuvent concevoir qu’il y en ai un autre, malgré les invasions et les guerres de Hongrie, Tchécoslovaquie, Afghanistan, Géorgie etc. déjà menées par la Russie. Le fait que la Russie a été soviétique fait qu’elle l’est toujours forcément un peu à leurs yeux, malgré ce qu’elle fait et malgré ce qu’en dit Poutine lui-même. Le résultat est que leur « deux poids deux mesures » à l’égard des exactions russes affaiblit leurs dénonciations des crimes soutenus par l’Occident comme la guerre d’occupation d’Israël en Palestine.

Ces positions au sein de la gauche paraissent être liées à l’insuffisance de la prise en compte de la critique du revisionnisme russe menée par Mao Zedong dans les années 60. Ne pas comprendre que la lutte entre bourgeoisie et prolétariat se déroule sur une longue période, et qu’elle concerne aussi les pays ayant accomplis une révolution socialiste. C’est ce qui amènera Mao Zedong à lancer la Révolution culturelle chinoise.

Le trotskisme également contribue à la confusion actuelle. Critiquant à juste titre des aspects bureaucratiques des expériences socialistes il met en avant des concepts « hors classe » comme « état bureaucratique » « état ouvrier dégénéré », etc. qui ne lient pas ces aspects négatifs à la lutte entre bourgeoisie et prolétariat. Cela ne permet pas de hiérarchiser ce qui est essentiel ou secondaire. Cela ne permet pas de trancher à tel ou tel moment de l’histoire quelle est la contradiction principale. Cela mène inévitablement à de nombreuses scissions. Ne pas tenir compte du mouvement réel comme il va, telle que la volonté réelle des organisations des travailleurs en Ukraine, toutes en faveur de la résistance à l’invasion, mène à se positionner en géostratèges internationaux. Position qui est facilement victime des positions des média accessibles, ou d’une théorie révolutionnaire « pure », hors sol[2].  

UNE GAUCHE HYPOCRITE

Après des phrases générales condamnant la guerre, cette gauche de fait ne fait rien contre la principale guerre menée en Europe depuis la seconde guerre mondiale. Elle ne mobilise jamais, même sur sa prétendue position de « Paix et négociations ». Elle en parle le moins possible, validant ainsi les acquis de l’invasion.  En accusant la victime de s’appuyer sur l’impérialisme occidental, elle relaie la propagande de l’impérialisme agresseur. Elle sait soutenir la résistance palestinienne sans soutenir les turpitudes du Hamas, mais elle argue des turpitudes de Zelensky pour ne pas soutenir l’Ukraine résistante.

C’est la gauche qui aurait murmuré à l’oreille de Manouchian et de ses camarades, « Soyez pour la paix, entamez des négociations ».

Ce qui doit nous guider en Ukraine comme en Palestine c’est la position des travailleurs eux-mêmes. Certes ceux-ci peuvent être passifs ou entrainés dans des positions erronées. Mais pas massivement, pas en étant unanimes, pas en s’étant mobilisés dans leurs propres organisations comme c’est le cas des deux résistances, et pas sur une si longue durée. 76 ans en Palestine, 10 ans voire même 33 ans depuis 1991 en Ukraine.

Les communistes soutiennent les résistances de Palestine et d’Ukraine en dépit de leur direction, en dépit des accords qu’ils sont obligés de passer avec les états absolutistes arabes pour la première, et l’occident impérialiste pour la seconde. Ils refusent le « deux poids deux mesures » qui en soutenant l’un, la Palestine et pas l’autre, l’Ukraine, affaiblit les deux résistances.

Le communisme ce n’est pas une étiquette ou l’appartenance à un parti. De ce point de vue ceux qui soutiennent les luttes des peuples d’Ukraine et de Palestine, en soutenant scrupuleusement ce que les travailleurs de ces pays souhaitent, sont plus communistes que les porteurs d’étiquettes. Le communisme c’est un mouvement concret, l’émancipation des peuples et des travailleurs.

POUR DES COMITÉS UKRAINE PALESTINE ! UP !

Puisque pour l’essentiel les soutiens aujourd’hui aux deux résistances ne sont pas les mêmes (à l’exception de Ensemble ! et la fraction « officielle » du NPA ?), ce qui serait positif et élargirait mutuellement l’assise du soutien à chacune d’elle, ce sont des comités communs « Ukraine Palestine ! » UP !

[1] Michel Collon « L’Ukraine la guerre des images » Mai 2023 éditions Investig’actions.

[2] Voir à ce sujet la critique de Lénine à l’égard de Rosa Luxembourg dans « A propos de la brochure de Junius » en 1916, et de Trotski lors de la signature du  traité de Brest-Litovsk qui impactait l’Ukraine en 1918.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.