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Billet de blog 20 janvier 2024

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Les travailleurs et les deux guerres

Le Hamas bien qu’islamiste et terroriste exprime la résistance palestinienne et est soutenu par la Russie. Les États unis accompagnent les crimes israéliens mais soutiennent l’Ukraine. Deux guerres proches, une situation confuse. La gauche mobilise mal sur la Palestine et pas du tout sur l’Ukraine. Dans cette situation chaotique quel peut être le fil rouge pour les travailleurs ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Deux guerres hantent l’Europe. Difficile d’y voir le spectre du communisme qu’annonçait Karl Marx « Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme », première ligne du Manifeste du parti communiste, de 1848 ! Et pourtant ! Ces guerres qui ont fait en Ukraine 600 000 victimes dont 150 000 morts en 2 ans, et en Palestine plus de 25 000 morts en 3 mois sont les dernières guerres coloniales. Menées par le reste de la Grande Russie d’un côté, par « l’Occident collectif » piloté par les États Unis dont Israël est la colonie avancée de l’autre.

On pensait le temps des colonies derrière nous mais il ne finit pas d’agonir avec son lot de malheurs. Cela nous rappelle que l’histoire humaine se déroule à un rythme plus lent que celle d’une vie humaine. Le capitalisme émergent du 14ème siècle a mis 4 siècles à s’imposer. Et encore des structures esclavagistes et féodales survivent toujours aujourd’hui. Il n’est donc pas étonnant que des vestiges colonialistes perdurent au XXI -ème siècle. Mais quel autre pays Poutine pourrait-il encore tenter d’envahir pour satisfaire son rêve de Grande Russie après la résistance ukrainienne ? Qui osera encore imposer des colonies artificielles dans le monde après le désastre israélien ? L’histoire avance, la phase colonialiste des impérialismes se termine, et puisque c’est dans la douleur, le plus tôt sera le mieux.

QUELLE EST LA POSITION DES TRAVAILLEURS DANS LES PAYS EN GUERRE ?

Les 4 peuples directement concernés, palestinien, ukrainien, russe, israélien sont constitués à une très large majorité, d’ouvriers et d’employés. En Russie et en Ukraine, grands pays agricoles pourtant, la paysannerie fait moins de 6% de la population active (1% en France). Sur 3,5 millions de salariés en Israël 20 000 seulement travaillent dans l’agriculture. Les Palestiniens, souvent réfugiés dans leur propre pays, sont éclatés entre la Cisjordanie, Gaza, Israël, les pays voisins, Jordanie, Liban etc… et ne sont plus depuis longtemps une société paysanne. La proportion de chômeurs y est grande, en particulier à Gaza. Si les travailleurs sont largement majoritaires et sont les principales victimes de ces guerres, ils n’ont le pouvoir ni dans les pays agresseurs, Russie et Israël, ni à la direction des résistances à l’agression en Ukraine et en Palestine.

Chez les deux peuples agressés, Palestine et Ukraine, à l’exception d’une frange aisée qui peut fuir, la résistance est multi classes. Si l’essentiel à la fois de l’effort de luttes et des victimes repose sur les travailleurs, la direction reste aux mains des bourgeoisies ukrainienne et palestinienne. La résistance palestinienne était connue mais la résistance spontanée ukrainienne a surpris, alors même qu’on aurait pu s’y attendre puisque en 1991 le vote en faveur de l’indépendance avait été de 92%, dont   86% dans le Donbass et 54% en Crimée, avec une participation au vote de 84%. Dans les parties occupées d’Ukraine comme en Palestine, peu de travailleurs pactisent avec les colonisateurs russe ou israélien.

Du côté de l’agresseur russe la mobilisation militaire concerne surtout également les travailleurs, en particulier ceux des peuples opprimés par ce qui reste de Grande Russie, Tatars de Crimée, minorités ethniques de Sibérie, Tchétchènes, etc. Cette mobilisation pour la guerre d’agression se fait de façon contrainte, appuyée par une propagande mensongère. Ces mobilisations entraîneront des conséquences, elles contiennent en germe le démembrement complet de la Grande Russie comme l’illustre la protestation publique contre la guerre le 17 janvier 2024 en Bachkirie, l’un des peuples sollicités.  La mobilisation des peuples de l’empire français pour « sauver la France » au cours des deux guerres mondiales a mené à la décolonisation…

Du côté de l’agresseur israélien la situation est plus difficile car la situation objective de l’ensemble de la population la positionne en colons, ce qui la soude autour des organisations terroristes. Celles de la Haganah et de l’Irgoun hier, celles du gouvernement israélien et ses bras armés Mossad et Tsahal aujourd’hui. C’est pourquoi tout en sachant que c’est au peuple opprimé palestinien d’avoir le dernier mot : état multinational à la Sud-Africaine ? deux états ? etc. et donc d’accepter ou non ces colons, le monde extérieur devra donner aux travailleurs israéliens une porte de sortie, devra leur proposer de revenir dans leurs pays d’origine. C’est à ces pays de payer la dette que constitue la Shoah, et non aux palestiniens. Ce qui veut dire réserver au retour des Israéliens un accueil digne, et donc exige une lutte radicale contre l’antisémitisme.

Le fait que les deux résistances soient actuellement dirigées par des organisations réactionnaires, la bourgeoisie ukrainienne dépendante des États Unis d’un côté, les organisations islamistes pratiquant le terrorisme, dépendantes des états du golfe et de l’Iran de l’autre, toutes en faveur du capitalisme et d’une société inégalitaire, amène parfois à douter de la légitimité des deux résistances. Sachant qu’aucune des deux résistances n’a de partis ouvriers à sa tête, la question qu’il faut se poser est « Quelle est la position des travailleurs ?». Chacun des camps agresseurs, russe comme occidental, reconnait volontiers que l’autre camp est impérialiste. Tous deux ont raison. Pour que les travailleurs s’y retrouvent dans cette situation confuse, l’expérience passée du mouvement ouvrier, la théorie révolutionnaire peut aider, car le mouvement ouvrier a déjà été confronté à des situations un peu comparables, même si elles n’étaient pas identiques.

LA THÉORIE RÉVOLUTIONNAIRE A L’AIDE

La première guerre mondiale de 14-18 opposait déjà deux blocs impérialistes concurrents, autour de l’Allemagne et de la France. A cette occasion le mouvement ouvrier s’est opposé aux tentatives chauvines de le rallier à l’un des camps. Lénine à partir de la conférence de Zimmerwald de 1915 et ses écrits tel que « l’Impérialisme stade suprême du capitalisme » de 1916 explique qu’il faut que le mouvement ouvrier combatte les deux impérialismes en leur opposant son propre programme, le socialisme et le communisme. Aussitôt certains (la théorie n’apparait limpide qu’après coup !)  en concluent qu’à l’époque de l’impérialisme toutes les bourgeoisies sont impérialistes, et que le mouvement ouvrier doit donc s’opposer à toutes de la même façon. C’est en particulier la thèse que défend sous le pseudonyme de Junius, Rosa Luxembourg la grande révolutionnaire allemande. Pas du tout lui répond Lénine en 1916 dans un texte intitulé « A propos de la brochure de Junius ». Dans le cas de la guerre de 14 « c’est parce que les forces des deux coalitions ne sont pas tellement différentes »[1] qu’il ne faut pas prendre parti pour l’un des camps et qu’il faut leur opposer à tous deux le programme ouvrier. En revanche lorsque dans un pays opprimé la bourgeoisie elle aussi se révolte, il est juste et efficace – la lutte est difficile- de faire l’alliance avec elle. C’est pourquoi Lénine soutient à l’époque la lutte de résistance nationale de l’Ukraine qui comprenait des forces bourgeoises. Raison pour laquelle comme on sait Poutine n’arrête pas de s’en prendre à Lénine pour justifier sa guerre contre l’Ukraine. Dans le conflit Russie / OTAN les travailleurs ont à s’opposer aux deux car ce sont deux forces du même ordre. Cependant il est tout à fait justifié pour les travailleurs d’Ukraine de s’allier à la bourgeoisie elle aussi agressée par les troupes de Poutine. Sans parler du déséquilibre militaire, la Russie du point de vue économique et démographique c’est 4 fois l’Ukraine qu’elle tente de dominer depuis des décennies. De plus même entre deux coalitions « pas tellement différentes », Lénine n’a pas hésité à monter dans un train allemand pour rejoindre la Russie alliée de la France et prendre ainsi part à la révolution ! Il n’a pas hésité à utiliser une des forces contre l’autre. La lutte est difficile et les compromis tactiques sont nécessaires. L’aide que la résistance ukrainienne, et la résistance kurde ! reçoit de l’occident, comme celle que la résistance palestinienne reçoit du Qatar, de la Turquie, de l’Iran ou de la Russie sont justifiées et ne disqualifient pas ces résistances populaires. La seconde guerre mondiale, le front anti fasciste, a largement prouvé ensuite que même à l’époque de l’impérialisme des alliances avec certaines fractions de la bourgeoisie sont indispensables pour vaincre l’ennemi principal.

CONTRE LES DEUX SUPERPUISSANCES

Après la seconde guerre mondiale le monde se retrouve de nouveau dans une situation ou deux impérialismes se font face, lors de la « guerre froide » en particulier, après que l’Urss a dérivé en pays impérialiste, ce qui y a redonné une légitimité aux revendications nationales. Mao-Zedong tire les enseignements de cette situation (autant apprendre de ceux qui ont mené les travailleurs à quelques succès plutôt que de ceux qui les ont menés à l’échec !). D’une part Mao tente d’éviter que la Chine suive la dérive de la Russie vers l’impérialisme et lance la Révolution culturelle. Ce sera, comme la Commune de Paris et la révolution de 1917 avant elle, également finalement un échec que nous analysons par ailleurs[2]. D’autre part à l’international il prend acte que l’abandon du socialisme en Urss dissous le camp socialiste. La Chine isolée est trop faible pour résister au blocus et à l’encerclement impérialiste. Mao promeut en 1974 « la Thèse des 3 mondes »[3], parfois faussement attribuée à Deng Xiaoping parce que c’est ce dernier qui l’a présenté à la tribune de l’ONU. Cette thèse indique que le « premier monde » est constitué des superpuissances, États unis et Russie qui sont le danger principal pour tous les peuples. Il est frappant de constater qu’exactement 50 ans après, ces deux superpuissances sont toujours la source des principales nuisances et guerres dans le monde. Aujourd’hui encore en Ukraine et en Palestine elles sont les principaux fauteurs de guerre.

La Chine elle se fonde dans le « tiers monde » qui représente les 3/4 de la population mondiale, une population alors encore essentiellement paysanne. Disant cela Mao n’a peut-être pas perçu tout de suite que dans un monde structuré par le capitalisme, tiers monde compris, cela voulait dire d’une façon ou une autre faire partie du système capitaliste. Ce qui sera acté avec l’entrée de la Chine dans l’OMC, l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001. Aujourd’hui ce tiers monde est plutôt appelé Sud global et il a changé de nature car il n’est plus essentiellement paysan comme du temps de Mao, mais principalement constitué d’ouvriers et d’employés. Les dirigeants de ces pays du Sud sont pour l’essentiel des représentants de la bourgeoisie, mais d’une part ces bourgeoisies sont en rivalité et cherchent à s’émanciper de l’ordre impérialiste, en particulier à travers les émergents, et d’autre part, même à leur corps défendant, elles sont amenées à affirmer sur la scène internationale le poids de la classe ouvrière majoritaire dans leurs pays.   

Enfin, 3ème acteur, « le second monde » est constitué des pays capitalistes de second rang comme la France, le Canada ou le Japon. N’en ayant plus les moyens ces impérialismes secondaires sont moins agressifs que les super puissances à l’égard des pays du Sud. Ils s’opposent même parfois à ces dernières comme la France lors de la guerre d’Irak de 2003, ou l’Espagne lors de l’agression israélo américaine de 2023 à Gaza.  La notion de « second monde » est dans le droit fil de l’esprit de Lénine : la lutte est difficile, il faut unir les amis, diviser les ennemis au maximum, exploiter les plus petites failles entre eux, et donc tenter d’écarter les pays du second monde des superpuissances.

UN MONDE TROUBLÉ

En ce début 2024, avec ces deux guerres proches, et il y en d’autres dans le monde, au Yémen, en Éthiopie, l’aggravation du conflit entre les deux Corées … l’avenir vu d’Europe apparait sombre.  Les risques de guerre viennent s’ajouter aux inquiétudes que projettent l’ombre du corona virus, le dérèglement climatique, l’accroissement des inégalités, la perspective de voir Trump élu en novembre, la division de la gauche aux prochaines européennes etc. En particulier la guerre commerciale entamée par Trump contre la Chine et poursuivie par Biden est lourde de menaces d’un conflit mondial. Par exemple autour de Taïwan.

Taïwan. La Chine a l’histoire et le droit international de son côté pour considérer Taïwan comme province chinoise. La province a fait sécession en 1949 lorsque le général Chang Kai check s’y est replié avec son armée venue de Chine continentale. Soutenue par les Américains la sécession de Taïwan est alors vue comme « un porte-avion insubmersible et une base sous-marine » par le général américain MacArthur, celui qui voulait jeter des bombes nucléaires sur la Corée et sur la Chine. Comme Hong Kong conquise par les Anglais auparavant, Taïwan est une conséquence des menées impérialistes occidentales contre la Chine. Cependant ceci ne donne pas de légitimité à la Chine pour réunifier le pays au prix d’une guerre dont une fois de plus les travailleurs seraient les victimes. L’histoire s’est déroulée, la société taïwanaise a évolué. Au nom de quoi une communauté humaine n’aurait pas le droit de s’organiser comme elle l’entend si elle ne fait pas de tort aux autres ? Parce que Taïwan a fait partie de la Chine dans le passé ? Ce serait reprendre l’argument stupide de Poutine « L’Ukraine doit être Grand Russe parce qu’elle l’a été dans le passé » mais les pays baltes, la Finlande, la Pologne, le Kazakhstan aussi l’ont été dans le passé… L’Inde a été anglaise, et l’Algérie française. Et alors ? C’est une raison pour refuser l’évolution du monde ? La réalité dé coloniale doit être prise en compte. Ce n’est pas parce qu’une nation n’existait pas qu’elle n’a aucun droit à exister. L’argument le plus stupide dans le genre revient encore aux israéliens qui organisent l’expulsion de la population palestinienne lors de la Nakba de 1948 et qui aujourd’hui encore tentent de provoquer une 2ème Nakba, sous le prétexte qu’il y a 2000 ans des juifs ont vécu sur ce territoire. Et alors ? Avant les israélites il y avait sur ce territoire les philistins, et encore avant eux les « peuples de la mer ». Au nom de quoi la priorité irait aux coreligionnaires européens actuels des occupants d’il y a 2000 ans ? En quoi cela justifie-t-il de peupler la Palestine de juifs européens, qui constituent les 2/3 des juifs d’Israël ?

De même la légitimité et la légalité internationale incontestable de la Chine sur sa province Taïwan ne lui donne pas le droit à une réunification contre la volonté majoritaire des Taïwanais, et encore moins au prix d’une agression armée dont les travailleurs des deux côtés feraient les frais. La réunification doit être pacifique. Si le président élu ce mois de janvier à Taïwan est plutôt indépendantiste, il a perdu 15 points et la majorité au Yuan législatif, l’assemblée des députés, au profit de partis plus favorables à la réunification. Bien entendu d’un autre coté les États Unis n’ont rien à faire en mer de Chine où ils procèdent à l’encerclement menaçant de la Chine et à la sécurisation à leur profit de la production des semi-conducteurs cruciaux pour la production moderne. Taïwan avec TSMC en est le premier producteur mondial avec une avance technologique importante.

L’élection de Trump. Une autre source d’inquiétude est la possibilité de l’élection de Trump en 2024. Au-delà de Trump la poussée du populisme dans de nombreux pays accroit les risques et la confusion. D’un côté le populisme exprime une révolte contre le système des 1%. Révolte de classe encore inconsciente, faute de projet alternatif, cette révolte est brouillonne au point de se faire représenter par des milliardaires comme Trump, ou une représentante des châteaux comme Marine Le Pen, tous deux issus justement de ces 1%. Trump tient une partie de son succès auprès de certains travailleurs américains, bien que comme en France la plupart s’abstiennent aux élections, parce qu’il passe pour un artisan de la paix. Même si c’est lui qui a déclenché la guerre commerciale contre la Chine, a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, attise les velléités guerrières de Poutine en ne soutenant pas la résistance ukrainienne, renforce le mur contre l’immigration, et que ses tête-à-tête avec Kim Jong-un n’ont débouché sur rien. S’il mène la guerre de classe il n’a pas déclenché de guerre nationale et des travailleurs lui en savent gré.

D’un autre coté le populisme exprime aussi le fractionnement des 1%. Une partie des élites prend conscience qu’il faut sembler être antisystème pour se maintenir au pouvoir. Jamie Dimon, le CEO de la première banque américaine JPMorgan Chase, pape de la finance américaine, après avoir envisagé de rivaliser avec Trump vient de le rallier, lors d’une interview à Davos le 17 janvier.   Les tenants du système, les représentants officiels mondialistes mais aussi leurs opposants populistes, évangélistes, complotistes, sionistes, islamistes … partagent tous la même volonté de défendre le capitalisme et une société inégalitaire. Ce n’est pas un hasard si les dirigeants populistes défendent les positions exactement opposées aux intérêts des travailleurs exposés ici et s’opposent aux résistances palestinienne et ukrainienne.

Si Trump était élu en novembre il est possible que les États Unis restreignent leur soutien à la résistance ukrainienne. Cette dernière constaterait alors quels sont ses véritables amis. Elle constaterait qu’une résistance pilotée par une bourgeoisie dépendante des États Unis mène à l’impasse. Si l’Ukraine devait perdre la guerre, l’Europe se révélant incapable de prendre le relai de l’aide américaine, le mouvement ouvrier ukrainien devrait peut-être momentanément abandonner la lutte armée et se fondre dans la lutte d’ensemble des travailleurs et des peuples opprimés contre le régime autocratique des oligarques qui dirigent l’empire Grand Russe.    

Après l’Ukraine un monde multipolaire. Michel Duclos a dirigé la publication d’un livre[4] intéressant « Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde » constitué de 22 interventions de représentants relativement « autorisés » d’autant de pays : allemand, américain (pro et anti Trump), béninois, brésilien, chinois, émirati, russe, saoudien, français, ukrainien etc. Ils représentent la plupart du temps le point de vue des gens au pouvoir dans leurs pays respectifs. Aucun ne se place du point de vue des travailleurs. Tous répondent à la question : quel sera le nouvel ordre mondial à l’issue de la guerre d’Ukraine ? « Comment reconstruire, dans l’instabilité caractéristique d’une situation prérévolutionnaire ? » se demandent-ils.

Tous ces experts pointent que la guerre d’Ukraine vient s’ajouter aux traumatismes non encore résorbés de la crise financière de 2008 et de la désorganisation due à la lutte contre le covid. Cette guerre aggrave le chaos du monde : l’inflation, les dettes, la famine, les inégalités, les désastres écologiques, les risques d’autres guerres : « Le monde semble s’orienter inexorablement vers l’anarchie » dit l’un, « Le populisme et l’état providence sont les nouveaux leitmotivs, signe d’un désordre mondial » dit l’autre quand un 3ème pronostique « des siècles d’opérations spéciales pourraient succéder à un siècle de guerre ». Bref une vision pessimiste de l’avenir, et c’était avant le pilonnage de Gaza… 

Quel que soit le vainqueur en Ukraine, la plupart des contributeurs prévoient un nouvel affaiblissement des deux superpuissances. Tous souscriraient volontiers à la phrase de Zbigniew Brezinski l’ancien conseiller sécurité de Bill Clinton que cite l’un deux : « L’Amérique est à la fois la première superpuissance réellement mondiale mais elle est aussi susceptible d’être la toute dernière ». Ils prévoient tous un monde « multipolaire », avec différents pôles émergents comme la Chine, l’Inde, le Brésil etc. avec même « Une concurrence féroce de type hobbesien à tous les niveaux » nous prédit un contributeur russe. Son pays donne l’exemple !

Le chaos. Cette impression de chaos provient du fait que le monde sous domination américano russe depuis 1945 est en profond bouleversement. Les États Unis représentaient 50% de la production mondiale en 1945, 25% aujourd’hui, et même moins de 15% en tenant compte du cout de la vie. La Russie a moins de la moitié de la population de l’Urss et est passée de 2ème économie mondiale du temps de l’Urss à la 8ème place, derrière la France. Lorsque l’Inde, ex-colonie anglaise dépasse économiquement et militairement l’ancienne puissance colonisatrice, le monde parait renversé mais c’était inévitable et c’est heureux ! A l’ONU systématiquement la Russie se fait isoler sur l’Ukraine et elle est exclu de nombreux organismes internationaux. De même les États unis s’y retrouvent seuls à suivre Israël dans ses crimes de guerre.

Les trente glorieuses de 1945-1975 sous domination américano russe, ont été une période de prospérité en Occident mais de chaos pour le reste du monde ; Dès 1948 les deux superpuissances se mettent d’accord pour permettre aux colons européens rescapés de l’holocauste d’installer l’état d’Israël au détriment des occupants palestiniens.  La suite est une succession de guerres occidentales en Indochine, Algérie, Vietnam, Palestine, de coups d’état pour installer des dictatures militaires en Amérique du Sud, en Afrique, en Iran, en Indonésie et d’invasions russes en Hongrie, Tchécoslovaquie, Afghanistan… Il est positif que les pays s’émancipent, même si cela peut paraitre chaotique. Le récent livre de Thomas Gomart[5], directeur de l’IFRI, l’Institut Français des Relations Internationales, qui a la qualité de recenser les principales situations géopolitiques du monde, reflète, par le cumul des situations, les considérations contradictoires, les questions sans réponses, à quel point les dirigeants du monde sont aujourd’hui dans une grande confusion. On peut noter aussi dans le même sens la présentation de l’Édition 2024 du « Bilan du Monde » publié par le quotidien et intitulé « Au bord du précipice » qui veut essayer de décrypter « cette année d’angoisse » et ce monde « qui devient illisible ». La rationalité et le sens ne peut pas être trouvée chez les dominants, elle est à chercher dans les luttes, celles qui font émerger un monde nouveau, celles des travailleurs et celles des peuples pour qui la situation n'est pas plus négative que dans le passé récent.   

L’AUTONOMIE NÉCESSAIRE DES TRAVAILLEURS

Les résistances ukrainienne et palestinienne ne luttent pas que pour elles. Elles transforment le monde : elles empêchent les agressions suivantes, elles imposent la fin des entreprises coloniales, elles tentent d’imposer à la Russie et aux États Unis le respect du droit international, elles imposent le respect du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, elles imposent de prendre en considération les peuples du Sud. Elles se battent aussi pour nous, c’est pourquoi leurs luttes doivent être soutenues par tous les travailleurs du monde.

En même temps en soutenant ces deux luttes se définit une ligne géostratégique unitaire internationale pour les travailleurs : Envisager toutes les situations sous l'angle des travailleurs et des pays du Sud, éviter « le double standard », le « deux poids deux mesures », s’émanciper des superpuissances, défendre la démocratie.

Si les luttes ukrainienne et palestinienne sont justes, un autre enseignement du mouvement communiste est que les travailleurs doivent conserver leur autonomie au sein des alliances qui les mènent. Sinon on peut se retrouver dans la situation de l’Iran où la juste lutte contre le shah, allié des Américains, a débouché sur un régime oppressif pour les travailleurs et les femmes en particulier. De même la lutte de la résistance afghane successivement contre les impérialismes russe et américain a débouché sur un régime rétrograde. Elle était cependant un préalable pour que la lutte de classe d’émancipation puise ses forces dans la réalité même de la société afghane.  Même le succès de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, si elle a permis de porter l’accusation de génocide contre Israël à la Cour Internationale de Justice, n'a pas créé une réelle égalité. Les travailleurs n’ont qu’un intérêt temporaire aux revendications nationales dirigées par des bourgeoisies. Il leur faut garder leur autonomie, d’abord pour critiquer les orientations erronées au sein de ces luttes nationales, et ensuite pour pouvoir les dépasser, soit parce que leur direction est inefficace, soit parce que le but une fois atteint se révèle insatisfaisant. Il faut que les travailleurs ukrainiens puissent suppléer aux défaillances de la bourgeoisie ukrainienne, que les travailleurs palestiniens écartent de la direction de la lutte les islamistes terroristes qui affaiblissent le soutien à la lutte palestinienne. Voir offensive du Hamas une victoire à la Pyrrhus.

L'unité de la gauche. Au-delà de l’émancipation des différentes nations, pointe aussi le fait que pour la première fois depuis l’échec des tentatives de révolution socialiste, la classe ouvrière est aujourd’hui majoritaire socialement dans le monde. Si les inégalités se sont réduites entre pays, elles se sont accrues au sein de chaque pays entre les 1% et les 99%. C’est pourquoi les travailleurs doivent porter le projet autonome d’une révolution sociale, du communisme. Le moyen le plus sûr, pour sauvegarder les capacités d’autonomie des travailleurs, outre une organisation spécifique au sein des fronts unis, c’est l’unité internationale des travailleurs, comprendre et approuver les luttes des autres travailleurs dans leurs situations spécifiques, par exemple celles des 4 fractions ouvrières concernées par les deux guerres, consolider l’unité transnationale des travailleurs.

Le fait de soutenir en même temps les deux résistances conforte l’une et l’autre. En France cela participe aussi, comme la dénonciation de la loi contre l’immigration, à la constitution d’un point de vue ouvrier, participe à la constitution d’une unité de la gauche sur des bases solides. Seul un point de vue de gauche soutient les deux résistances ukrainienne et palestinienne et permet d’affirmer un axe stratégique ferme et lisible pour les travailleurs du monde entier dans cette période qui semble si chaotique. Mais alors que différents sondages viennent de montrer que pour 2024, après les préoccupations de vie chère, ce sont les guerres, en particulier celle d’Ukraine et de Gaza qui préoccupent le plus les gens en France, la gauche n’en dit que très peu ou pas du tout (l’Ukraine). Ce soutien est pourtant l’un des chemins actuels par lequel se réalise l’injonction communiste « prolétaires de tous les pays unissez-vous ! »

Palestine, Ukraine luttes décoloniales même combat !

[1] Lénine « A propos de la brochure de Junius », 1916.

[2] Jacques Lancier « Réinventer le communisme », 2018 Amazon.

[3] Jacques Lancier « La thèse des Trois mondes une thèse marxiste-léniniste », 1977 Éditions Drapeau rouge.

[4] Michel Duclos « Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde », 2023 Éditions de l’Observatoire.

[5] Thomas Gomart « L’accélération de l’histoire », 2024 Tallandier essais.

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