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Communiste sans parti. Auteur de: "Etrangers, immigrés, bienvenue! vous aussi êtes ici chez vous", "L'Irruption des prolétaires", "Gilets Jaunes une lutte ouvrière décapante", "Réinventer le communisme"

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Billet de blog 20 octobre 2024

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« Le jardin et la jungle » : Edwy Plenel ne va pas jusqu’au bout

Son livre « Le jardin et la jungle » est à lire. Il est moins surchargé des longueurs qui plombent parfois certains de ses textes. Surtout il va au cœur de l’ensemble des questions qui taraudent la société française : le colonialisme. C’est un travail décolonial de fond mais sans toutefois en tirer toutes les conséquences.

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Les citations[1], de Joseph de Maistre à Ehud Barak, en passant par celle de Joseph Borell, le futur ex-ministre des Affaires étrangères de l’Europe, qui donne son titre au livre, sont très éclairantes. Se dessine aussi le socle d’une position de gauche en France aujourd’hui : soutien conjoint aux résistances de Palestine et d’Ukraine, prise en compte de l’immigration. En quoi ne va-t-il pas jusqu’au bout ?

Bienvenue au retour des Israéliens

Par exemple s’il qualifie bien Israël d’état colonisateur (mais si, Israël dépend d’une métropole : les états occidentaux !), s’il pointe l’hypocrisie des politiques occidentales qui parlent vaguement de solution à deux états alors que la Knesset, le parlement israélien a reconfirmé le 18 juillet 2024 par un vote à une écrasante majorité le refus de tout état palestinien, s’il note qu’Israël est aujourd’hui un danger pour les juifs, Plenel n’en tire pas les conséquences : L’état colonisateur doit disparaitre. Les victoires militaires de Netanyahou sont comparables à celles des militaires français en Algérie en 1962, l’année même où la France accueille un million de colons pieds noirs dont beaucoup avaient des liens bien plus distendus et éloignés avec la métropole que les Israéliens d’aujourd’hui n’en ont avec leurs pays d’origine. En tant qu’occidentaux notre position devrait être « bienvenue au retour des Israéliens » dans leur pays d’origine ou dans le pays de leur choix. Voir le billet l’état d’Israël menace les juifs. Ce qui n’empêche pas, comme l’a fait l’Afrique du Sud, que les Palestiniens dans le futur puissent choisir de cohabiter avec les anciens colons soit sous forme d’un état multinational soit sous la forme de deux états.

Des positions justes par miracle

Mais surtout les justes analyses de Plenel semblent tenir du miracle, car elles ne s’appuient pas sur une position et une analyse de classe. Elles s’appuient sur de la géopolitique, elles manient des entités comme les pays, les décisions juridiques internationales, les droits de l’homme et des peuples, les concepts issus du siècle des lumières au 18ème siècle, ceux que défendent Pierre Rosanvallon ou encore Stephen Pinker[2] l’idéologue du capitalisme démocratique américain.

Or, de Washington la capitale du monde libre, à New Delhi, la capitale de la « plus grande démocratie du monde », en passant par Moscou qui remplace la tentative socialiste par le capitalisme, et par Paris où la n+ unième loi immigration mène la politique française vers une stratégie à l’israélienne, Plenel comme nous assiste à l’échec de ce modèle. Parce que les concepts de liberté et de droit, aussi bien des peuples que des individus, sont minés par l’inégalité et la cupidité capitaliste. Ne parlons pas de l’égalité et de la fraternité !

Comme il le note lui même les libres penseurs de la révolution de 1789 pouvaient aussi être des propriétaires d’esclaves. Les communards de 1870 pouvaient aussi être des colonialistes de la Kanaky ou de l’Algérie.

Il faut donc que les idées de justice, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de libertés individuelles, soient portées, soutenues par les idées de l’égalité et du communisme et non par l’idéologie de la bourgeoisie dont l’incapacité à maintenir l’état de droit, à éviter le « deux poids, deux mesures », s’étale sous nos yeux. Timidement Plenel avance l’idée « des communs » ou de l’Europe. Mais l’alternative à ce système en faillite ne peut être victorieuse que portée par des forces sociales puissantes et non par des appels pieux au bon vieux temps fantasmé des « lumières » et des forces qui ont porté ce mouvement et qui ont créé l’Europe : la bourgeoisie.  Les forces sociales alternatives ne peuvent être que les prolétaires, porteurs des valeurs d’égalité. Ces forces sociales, majoritaires pour la première fois dans l’histoire, se situent pour l’essentiel dans les pays du Sud.  L’Afrique du Sud par exemple, en portant la question de la politique génocidaire d’Israël à la cour Internationale de Justice, la CIJ, se révèle plus « civilisée » que les pays occidentaux, se révèle être plus un « jardin » que la « jungle » occidentale. De plus la lutte de ces forces ne peut pas faire fi de leur histoire déjà riche avec ses succès et ses échecs, l’histoire du mouvement communiste[3].

Et des dérives

D’avoir raison « par miracle » ne prémunit pas des dérives hors sol possibles. Et c’est ce qui arrive à la fin du livre. Les migrants sont défendus de façon romantique et non comme des ouvriers particulièrement exploités, fraction importante de la classe ouvrière et du peuple, rouage décisif du système économique. Du coup le référent appelé longuement est le pape François, qui certes a des paroles justes à l’égard des migrants, mais n’en reste pas moins le chef d’une église ayant reconnu avoir en son sein plus de 300 000 criminels. Quelle autre organisation dans cette situation ne serait pas dissoute ? De même, quoiqu’inversement, Jules Isaac est appelé lui aussi longuement pour dénoncer l’origine chrétienne de l’antisémitisme… au profit du judaïsme, religion qui accompagne aujourd’hui la politique génocidaire d’Israël ! On perçoit comme le rappel de guerres de religion, là où l’humanité a besoin au contraire de se défaire de religions qui l’accablent, la divisent et la mènent à des drames. Dommage que le livre se termine ainsi, mais les 7 premiers chapitres sur les 9 qu’il comprend sont à lire.    

[1] Edwy Plenel « Le jardin et la jungle, Adresse à l’Europe sur l’idée qu’elle se fait du monde », La Découverte 2024.

[2] Steven Pinker « Le triomphe des lumières », Éditions les Arènes 2018.

[3] Jacques Lancier : « Réinventer le communisme, un communisme démocratique, écologique, européen, internationaliste », Amazon 2018.

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