Ce texte est une réponse sur le fond, car la forme en était simplement regrettable, à un texte de Frédéric Lordon écrit l'an passé en plein mouvement contre la réforme des retraites et dans lequel le philosophe répondait, entre autres, à un des textes que j’avais écrit quelques jours auparavant. Son texte s’intitulait « Sont-ils fous ? » Je publie cette réponse maintenant, à froid, car il y est question de quelques problèmes de fond importants.
Commençons par un bref rappel du contexte :
Le mouvement social contre la réforme des retraites qui a eu lieu il y a un an peut être séparé en deux parties clairement distinctes. Celle d’avant et celle d’après le 49.3. Avant, le mouvement avait été impressionnant par son ampleur mais aussi par sa tranquillité. Au calme des manifestants répondait celui de son traitement médiatique. Après, ce fut beaucoup plus électrique. L’exaspération des opposants à la réforme due à la volonté du gouvernement de ne rien concéder, pas même un vote à l’Assemblée nationale, pourtant plutôt penchée à droite, provoquait un durcissement du mouvement. La réponse institutionnelle se résumant à ce moment-là aux lacrymos, LBD et torgnoles de la BRAV-M, il s’en suivait une impression de radicalisation des manifestants là où, nous le savons, le degré de violence est toujours fixé par l’oppresseur.
C’est dans ce contexte-là que Frédéric Lordon a participé à plusieurs événements au cours desquels il a pris la parole. Et c’est lors de l’écoute de ces discours que j’ai trouvé à y redire. Et c’est en lisant mes remarques, entre d’autres, que monsieur Lordon a décidé d’y répondre.
Puisqu’il a pris la peine de rédiger un texte pour réfuter certaines accusations (ou simples remarques) que des camarades lui auraient faites, je me donne le devoir de tenter de clarifier les choses en vue de redonner à notre mouvement un maximum de puissance pour des échéances à venir.
Etant un des camarades pointés du doigt, je parlerai ici en mon nom.
Donc, je dois commencer par dire ce qui est pour moi une évidence : son travail est un des jalons pour la lutte de l’émancipation, qu’elle soit de classe, de race, de genre etc.
Mais, ma vision de la lutte politique ne me prédisposant pas vraiment à idolâtrer qui que ce soit, je me suis permis une critique de quelques-unes de ses récentes interventions. Critiques que je voulais, comme à l’accoutumée, constructives, argumentées et avant tout intellectuellement honnêtes. Choses qu’on se doit entre camarades de lutte.
Alors sur quoi portaient ces critiques ? Il s’agit de deux de ses interventions. La première qui m’avait surpris par son axe principal était l’intervention dans un meeting de Révolution Permanente le 2 février 2023. Dans cette allocution préparée il y est certes question d’inscrire la lutte contre la réforme des retraites dans une lutte plus globale pour enfin pouvoir enclencher une spirale de victoires qui aient une réelle consistance. Les luttes défensives, les luttes « contre » ne comportant comme gain qu’une absence : l’absence d’un mal plus grand ne constitue pas vraiment quelque chose qui pourrait constituer un programme politique cohérent. Il s’agit donc de cesser avec les luttes défensives pour espérer mobiliser tous ceux que le statu quo ne satisfait pas.
Mais ce qui m’avait surpris dans cette intervention est le fil rouge de celle-ci : l’individu Macron comme l’unique ennemi à abattre, ou plutôt à déloger. Lordon nous parlait pour cela du « regard halluciné » de Macron, du « forcené » pour finir par lui dire qu’il nous a « trop fait chier ». Et l’objectif affiché dans ce discours est répété plusieurs fois : « déloger » Macron. La conclusion du discours m’était alors apparue comme extrêmement faiblarde : « Nous connaissons notre objectif : te ramener au Touquet ! »
Se centrer ainsi uniquement sur l’individu Macron a même amené le camarade Lordon à présenter le Medef comme un possible allié de circonstance et ainsi faire tomber son discours dans un paradoxe difficilement extricable. Oui, le Medef peut en effet nous aider à « débrancher » Macron, voire même à le « ramener au Touquet », mais il devient notre ennemi principal lorsqu’il s’agit de faire payer l’addition pour tout le reste que l’arbre de la réforme des retraites cache tant bien que mal. C’est là qu’apparait donc un paradoxe : on veut plus que le retrait de la réforme des retraites mais on ne cible que la seule personne de Macron en rappelant que si on met l’économie à genoux cela forcera le Capital (incarné par le Medef) à débrancher celui-là.
Le discours de 9 minutes du camarade Lordon s’arrêtera donc là : « te ramener au Touquet » scandé comme une conclusion alors que, pour être tout à fait conséquent, ce ne peut être que le début. Mais la suite ne sera pas évoquée lors de cette prise de parole. Mais on pouvait se dire que l’objectif était de galvaniser un auditoire et une population déjà très en colère et que la personnalisation décuple l’effet mobilisateur (cet argument est repris par Lordon lui-même lorsqu’il parle de l’effet de « traction » dans l’opinion d’un tel discours).
Puis, au soir du 49.3, une intervention du camarade Lordon depuis la manifestation spontanée parisienne, toujours au micro de Révolution Permanente, finit par me faire réaliser qu’il s’agit d’une réelle divergence politique entre nous.
Voici ce qu’il disait à propos du gouvernement : « C’est le bingo de la lose. Toutes les conneries à faire, ils les ont faites méthodiquement, les unes après les autres. Et là, aujourd’hui, le 49.3, c’est l’apothéose. »
Voilà ce que j’avais osé écrire dans mon billet de l’époque que le camarade Lordon fustigeait ensuite :
« En adoptant un point de vue qui personnalise la vie politique, c'est à dire un point de vue qui présente M. Macron comme, au choix, un malveillant par nature, un incapable ou bien un forcené, nous perdons de vue le caractère cohérent et inévitable de cette réforme. Certes, ces mots, lorsque quelqu'un comme Frédéric Lordon les prononce, donnent du baume au cœur de ceux qui luttent. Ils galvanisent. Mais il serait bon de considérer aussi ce qu'ils font par ailleurs : ils participent à la dépolitisation, à la psychologisation. Ils nous font sortir de l'indispensable lutte des classes pour nous emmener vers une banale lutte d'égos. »
Dans son billet en guise de réponse Lordon écrit que ceux qui lui reprochent de « psychologiser » effectuent un triple oubli : de concentration, de combinaison et de transformation. Ainsi les agissements de Macron et des autres dirigeants seraient dus à la concentration de pouvoir entre leurs mains que permet la constitution de la 5ème, combinée à leur profil psychologique, leur éthos, qui serait lui-même lié à l’éthos du capitalisme qui sélectionnerait les dirigeants qui correspondent à son propre degré de développement. Ainsi, le capitalisme contemporain n’étant plus disposé à négocier, n’étant plus tenu à concéder quoi que ce soit, se doterait de personnalités capables de traduire cette disposition en politique conjoncturelle. C’est ainsi que leur profil psychologique compterait après tout : c’est à cause de cette concentration de pouvoirs et de leur profil qui est une condition d’accès au pouvoir qu’ils prendraient ces décisions que nous qualifions à notre tour de révoltantes. A savoir, ici, le 49.3 et la répression violente en guise de maintien de l’ordre.
Pour bien comprendre une de nos divergences, il faut tenter d’analyser ce que représente le 49.3 et quelles sont ses causes. Pourquoi le gouvernement irait-il user du 49.3 en sachant les conséquences de celui-ci ?
Donc, sur l’origine du 49.3 il y a deux hypothèses :
Hypothèse 1 : le gouvernement agit par l’intermédiaire de son éthos radicalisé qui, à l’instar du capitalisme contemporain, n’est prêt à aucune concession. C’est cette hypothèse que Lordon qualifie d’apothéose de la connerie car elle attiserait ainsi la colère sociale. Il peut ici s’agir d’une incompétence qui fait ignorer les conséquences probables d’un recours à cet article ou bien d’une arrogance qui lui fait croire à sa supériorité absolue et ainsi considérer les éventuelles conséquences comme un non sujet. Lordon use ainsi ce soir-là de la pensée magique en qualifiant cette décision gouvernementale de connerie car il espère de toutes ces forces que cette hubris finira par les perdre, et pas plus tard que le soir même sur la place de la concorde. Ou bien dans les jours qui suivent.
Hypothèse 2 : le gouvernement se doute des conséquences éventuelles mais la priorité étant l’adoption de la réforme, et l’éventuel vote à l’Assemblée nationale n’étant pas sécurisé, ils n’ont d’autre choix que de passer par le 49.3. On doit ici se poser la question de la cause de l’incapacité du gouvernement à sécuriser le vote. Car, rappelons-nous, les jours qui ont précédé le (non) vote, les tractations entre les Républicains et le gouvernement avaient occupé tout l’emploi du temps du gouvernement. Que l’on se rappelle simplement de l’appel de Bruno le Maire à une députée pour tenter de la convaincre et qu’a révélé le Parisien. Risquer la corruption alors que l’on se fiche des conséquences d’un éventuel 49.3 ? Tout tend à montrer au contraire que le gouvernement a beaucoup œuvré pour essayer de s’en passer.
Mais si malgré tous leurs efforts ils n’ont pas réussi à convaincre un nombre assez suffisant des députés LR malgré les appels de leur président, Eric Ciotti lui-même, c’est qu’une autre force, plus grande encore a fait irruption sur la balance. Il s’agit de la force du mouvement social.
Selon cette hypothèse donc, et que je défends, c’est bien la détermination des grévistes et manifestants qui a incité un nombre assez grand des députés LR à renoncer à un vote en faveur de la réforme et par ricochet, le gouvernement à recourir au 49.3 et ainsi renforcer davantage la contestation mais de façon tout à fait involontaire. Car si les membres du gouvernement et de la majorité, en tant que détenteurs du pouvoir correspondent à cette analyse selon laquelle la concentration de pouvoir entre leurs mains et leurs prédispositions à incarner dans leurs personnes la puissance de ce capitalisme totalitaire ne concédant plus rien, les députés LR n’avaient à gagner qu’une officialisation de leur statut de seconds couteaux. En refusant le vote ils démontrent leur pouvoir de nuisance au capitalisme et surtout, face à ce mouvement social inédit, ils espèrent ne pas sombrer dans l’impopularité à laquelle semblent condamnés tous les défenseurs de la réforme (plus de 90% d’actifs s’opposent à la réforme à ce moment-là !) Ainsi, cet épisode peut et doit être considéré comme une première victoire du mouvement social.
Cette première victoire, l’hypothèse de la connerie, de l’incompétence, la nie. Tout simplement. C’est là, dans cette négation, que se loge mon premier désaccord avec le camarade Lordon. Car nier une victoire, la confisquer pour l’attribuer à des biais de l’adversaire, c’est saper la croissance de sa propre puissance. Dans un contexte de capitalisme totalitaire, attribuer même nos petites victoires à des défauts de celui-là, c’est œuvrer à la validation de son mythe de toute-puissance. Et c’est tuer dans l’œuf notre capacité à influer sur une transformation, aussi minime qu’elle soit. Car c’est là le troisième oubli dont parle Lordon : celui de transformation. Voici ce qu’il dit :
« Le paradoxe du structuraliste qui dénonce la « psychologisation » sans y regarder davantage, c’est qu’il ne réalise pas que, ce faisant, il se prive des moyens de penser les processus historiques de transformation des structures. Si les idiosyncrasies, habitus, psychés ne comptent pas, si seules règnent la structure et son implacable nécessité, par quel miracle la structure viendrait-elle à changer, comment échapperait-on à sa reproduction ad aeternam ? »
Nier, ou du moins minimiser, notre contribution dans un tel moment crucial du mouvement social au profit de l’omnipotence du capitalisme pour ensuite accuser ceux qui lui en font le reproche d’invisibiliser les capacités de transformation des structures, c’est chercher à s’en sortir par un renvoi d’accusation quitte à verser dans la mauvaise foi.
Pour développer cette accusation de triple oubli (de concentration , de combinaison et enfin de transformation), Lordon use d’un certain nombre d’arguments et d’idées dont je partage une partie. Le seul problème étant le fait que dans cette imputation d’oubli, il y a un biais. Si oubli il y a, il se trouve dans les discours de Lordon dont il est question plus haut. En effet, dans ceux-ci, on comprend aisément que tout est l’œuvre de Macron et de son gouvernement, et même nos victoires ne seraient que des résultats de leur incapacité à comprendre une situation politique. Et notre action devrait avoir pour objectif le retour de Macron au Touquet. Cette vision des choses concentre tous les enjeux sur la personne qui incarne nos maux. Et c’est pour contrer cette concentration que je m’étais permis d’écrire et que je maintiens que la psychologisation et la personnalisation des débats politiques dépolitisent.
Or Lordon affirmait dans son texte postérieur « que l’énoncé « Macron est un forcené » est aisément compréhensible (pour ne pas parler de ses capacités de « traction » dans l’opinion), et que les précepteurs structuralistes devraient y regarder à deux fois avant de présupposer que les individus sont incapables d’aller de là à : « les dominants sont devenus fous », et pour finir à : « le capitalisme est fou », série d’étapes qui partant d’un énoncé en apparence à caractère « psychologique », conduit à un autre qui ne l’est plus du tout .» Nous pouvons tenter d’interroger la validité de ces hypothèses à propos des tendances de l’opinion publique à déduire des propriétés des structures économiques à partir des énoncés ayant trait à des considérations d’ordre psychologique. Nous avons déjà usé à volonté de ce genre de considérations avec Sarkozy le psycho- (ou socio-) pathe excité pour élire Hollande le normal et nous en mordre les doigts. Puis avec Hollande le mou du pédalo pour élire Macron le dynamique puis attaquer les moignons. D’ailleurs, ces deux derniers ont même mené campagne sur ce terrain-là.
D’ailleurs, Lordon, lorsqu’il évoque la combinaison de la structure avec l’éthos de ses représentants, omet de mentionner Hollande. Pour lui, les archétypes des dirigeants des années 2010 étant Sarkozy et Macron, car leur personnalité correspondant parfaitement à ce capitalisme qui n’a plus à donner dans le compromis, il s’arrange de passer Hollande sous silence :
« Que le pouvoir gouvernemental n’appartienne plus à des Chirac ou à des Mitterrand (dont on ne fera pas des enfants de chœur pour autant), mais tombe dans les mains d’un énergumène comme Sarkozy ou d’un forcené comme Macron, n’a rien d’un hasard : il est l’expression d’une nécessité de structure dans un moment historique particulier de la structure. Dans le triangle État-police-entreprise, c’est la même nécessité globale qui est à l’œuvre, si elle est réfractée dans des institutions différentes : la nécessité d’un capitalisme qui a transformé ses propres structures et donné au capital les moyens de ne plus transiger. Dans cette nouvelle donne structurelle du capitalisme (connue sous le nom de « mondialisation »), l’ethos de la négociation et du compromis s’est dissous, il a fait place à celui de l’imposition unilatérale. Les psychés des dominants qui occupent les positions de pouvoir reflètent ce mouvement. Quand le capital ne négocie plus rien et brutalise tout, les personnages adéquats de l’État du capital ne négocient plus rien et brutalisent tout. »
Affirmer par là qu’évoquer et critiquer le caractère de ces « personnages adéquats » reviendrait (et amènerait même l’auditoire) à une critique de la structure du capitalisme elle-même c’est donner une image trompeuse de l’hydre capitaliste. Une image tronquée qui ferait passer du contingent pour de l’immuable. Les instruments pour le produit.
Ce qui est immuable dans le capitalisme c’est d’abord sa survie, la nécessité de sa perpétuation. Puis sa croissance infinie, ou plutôt l’accroissement de l’accaparement des richesses par celui-ci au moyen de l’exploitation du travail des non-membres de la classe des possédants du capital. Le reste, tout le reste, est subordonné à cet essentiel. Ainsi, lorsque la situation du rapport de forces le permet le capital optimise son temps et se dote de personnalités telles que Macron qui n’hésite pas à verser dans ce que d’aucuns nomment l’illibéralisme. Cette tendance à l’optimisation n’est pas nouvelle mais a existé de tout temps. C’est juste que la transformation du rapport de forces en sa faveur depuis quelques dizaines d’années lui permet d’accélérer et de rendre visible chez nous cette tendance. Je dis bien « chez nous ». On arrive par là à un autre gros problème dans l’analyse de Lordon.
Là où Lordon verse dans l’européano-centrisme c’est lorsqu’il confond cette tendance qui est aussi vieille que le capitalisme lui-même avec une dégradation qui se situerait quelque part entre des choses aussi peu pertinentes que des valeurs ou la morale. Car il est bien question d’une sorte de graduation de ce genre-là lorsqu’il convoque de Gaulle :
« Mais les évidences morales d’un moment finissent par passer, et l’institution se retrouve aux mains de personnages nouveaux, à qui ces évidences sont devenues étrangères. C’est une évidence de cette sorte, une de ces règles non-écrites qui, par exemple, conduit de Gaulle au référendum puis au départ. Qui peut imaginer un seul instant Macron suivre une voie semblable ? »
Convoquer ces « évidences morales » devient vite indécent lorsqu’on songe au même de Gaulle du point de vue non-blanc et colonialisé. Car il est là l’autre gros désaccord avec Lordon : le biais du blanc européen. Si de Gaulle ait eu d’autres lignes rouges que Macron c’est surtout à cause d’un autre état du rapport des forces. Maltraiter et déshumaniser les colonisés et les racisés était permis à l’époque par l’état de ce rapport de forces tout comme l’est aujourd’hui le saccage de notre système social d’une façon si brutale qu’inimaginable sous de Gaulle. (NB : la symétrie entre les deux époques n’est pas parfaite : si de Gaulle ne pouvait saccager à volonté notre système social à cause des forces progressistes autrement plus puissantes qu’aujourd’hui, Macron peut continuer à pratiquer un néocolonialisme tout aussi déshumanisant que l’original.) Mais il n’y a là-dedans aucune évidence morale qui se serait perdue en route parallèlement au raidissement du capitalisme. Cette « immoralité » était largement déjà présente à l’époque mais seulement pas pour des yeux et des consciences blanches. Que cet impensé de la violence du capitalisme colonialiste ressorte dans cette analyse de quelqu’un comme Frédéric Lordon montre bien l’intégration insidieuse de celui-ci par notre société dans son ensemble.
Et la comparaison qui convoque Chirac et Mitterrand souffre du même biais.
D'ailleurs, le titre du texte de Lordon lui-même, "Sont-ils fous?" ainsi que l'usage de ce qualificatif donnent dans une autre confusion où une maladie mentale qui mériterait des combats pour des moyens concernant sa prise en charge est identifiée à des agissements de certains laquais du capital dont un des objectifs est l'eugénisme capitaliste qui élimine ces malades là comme tant d'autres "improductifs". Là encore, c'est notre intériorisation des critères imposés par le capitalisme qui nous empêche de distinguer clairement les cyniques des fous. Là, comme ailleurs : pas merci cher Frédéric.
Lordon convoque Bourdieu mais convoquons le au discours de Lordon chez Révolution Permanente aussi. Là où Bourdieu dans "La Reproduction" expose très justement le rôle de l’habitus qui, ainsi que le dit justement Lordon, fait passer les structures dans les individus, et permet de dépasser « l’alternative mondaine et fictive entre le pan-structuralisme machinal et l’affirmation des droits imprescriptibles du sujet créateur ou de l’agent historique », Lordon lui, en martelant les slogans sur le « forcené », le « bingo de la lose », les « conneries » dont même nos victoires seraient issues, n’a-t-il pas là justement recours au « sujet créateur » ainsi qu’à l’agent historique ? Oui mais la structure serait sous-entendue et l’auditoire ferait lui-même les liens nécessaires ? Ce serait aussi oublier que la structure elle-même passe le plus clair de son temps à s’invisibiliser en se rendant aussi naturelle que possible et en ne mettant en lumière que des forces contingentes et individuelles comme responsables de tout.
Que l’on ait été quelques-uns à avoir fait remarquer à Lordon qu’il manquait un ingrédient dans sa formule, cela ne pouvait vouloir dire que nous niions l’existence de l’autre. Si l’on fait remarquer à quelqu’un qu’il a oublié de mettre du beurre dans son jambon-beurre, cela ne veut absolument pas dire que l’on est adepte du jambon-beurre sans jambon.
Donc, pour conclure, on peut dire que le camarade Lordon aurait pu inclure la dimension manquante sans pour autant porter une accusation aussi violente contre des camarades de lutte.
Car cette forme dont j’ai dit que je ne voulais pas faire le cœur de ce texte la trouvant simplement regrettable est là tout de même. J’aurais pu ici user du répertoire méprisant et condescendant comme l’a fait camarade Lordon : « demi habile », « borné », « prêt à l’emploi »… Mais je ne l’ai pas fait pour deux raisons : c’est faux et ça nuit à la lutte. Ce qui nous rend plus forts n’est pas le bon mot en guise de blessure, ni des arguments d’autorité, mais la pensée. Parfois même contre soi.