La semaine dernière nous avons découvert que des renards s'étaient installés au Ministère de l'Education Nationale. Depuis, c'est toujours le (quasi)1 silence médiatique. Cette semaine le projet de démantèlement de l'école républicaine prend de plus en plus forme.Et ce, à l'aide d'un stratagème parmi les plus anciens, le cheval de Troie.
Il est question ici de l'Education Nationale mais la tendance est la même dans tant d'autres domaines. Sous couvert de la crise provoquée par le COVID 19 on nous hypnotise avec des solutions d'urgence, nécessaires, de bon sens. Mais qui, dans leur ensemble, s'avèrent inégalitaires.
Voyons donc ce qui se trame au 110 rue de Grenelle.
L'idée générale est que l'école doit se recentrer sur certaines priorités en abandonnant des contenus jugés superflus. En ce moment ce sont l'EPS et les enseignements artistiques et culturels qui sont visés. Cela révèle une vision plus globale de la société de demain imaginée et rêvée depuis fort longtemps par ces experts.
Au moment de l'annonce de la réouverture des écoles, M Blanquer a présenté une nouvelle trouvaille qui devait permettre le retour à l'école du plus grand nombre d'élèves tout en respectant le protocole sanitaire. Et le 2S2C fut. Rien à voir avec de gentils robots combattant l'Empire, non. Sport - santé - civisme - culture. Pendant que les enseignants allaient travailler avec une partie des élèves en classe, l'autre partie allait profiter du 2S2C. C'est à dire faire du sport ou des activités culturelles et artistiques avec différents intervenants. C'est aux municipalités que revient la charge de mettre en place ce dispositif. Trouver les intervenants ainsi que les lieux pour les différentes activités.
Mais ce qui passait depuis quelques semaines pour une solution provisoire permettant l'accueil du plus grand nombre est en train de devenir le modèle à suivre pour l'école de demain. En effet, le 19 mai, M Blanquer a affirmé devant les sénateurs réfléchir aux pistes pour l'école de demain et a évoqué une "nouvelle organisation du temps" avec "une place plus importante pour le sport et la culture" et une "juste place pour le numérique" 2.
En réalité, M Blanquer y réfléchit depuis longtemps. En février 2019 déjà, il évoquait la possibilité d'une école le matin et des après-midi consacrés au sport et à la culture. La crise actuelle lui offre simplement une occasion inespérée. Pourquoi ne pas en profiter?
Le problème se pose en termes d'égalité républicaine. C'est une véritable rupture que propose le ministre. Un désengagement en bonne et due forme. Un de plus. A partir du mois de septembre les enseignants de l'école primaire n'auraient tout simplement plus à s'occuper d'EPS ni des enseignements artistiques. Ainsi, d'un trait de plume, on efface des programmes une large part de ceux-ci. Pour donner la priorité aux fondamentaux.
En agissant ainsi on crée ce qu'on pourrait représenter par un fossé ou un gouffre en fonction du degré d'optimisme momentané. La culture deviendra uniquement un héritage. Familial, géographique. En fonction de son lieu d'habitation un élève aura accès ou pas à différents enseignements culturels et sportifs.
Dans certaines communes, les activités 2S2C se résumeront, malheureusement trop souvent, à une récréation géante : soit avec un ballon pour les après-midi "sport", soit avec des feutres et des feuilles pour les après-midi "culture". Quand je dis "certaines communes" il est facile d'imaginer que les communes les plus riches, habitées par des classes sociales conscientes de l'enjeu, feront le choix de mettre les moyens nécessaires pour proposer un enseignement et des activités de qualité. Et quand je dis "feront le choix" ça implique qu'elles auront les moyens d'un vrai choix, contrairement à d'autres qui devront se contenter d'un achat de ballons et de feutres. Et encore, certains feront un choix : ballons ou feutres.
Mais tout ceci n'est guère surprenant si nous avons à l'esprit d'où viennent ces gens. Les liens du Ministère avec des think-tanks libéraux tels l'Ifrap ou l'Institut Montaigne peuvent fournir quelques indices quant à la politique qui sera menée. Qui serait surpris si Philippe Martinez, une fois nommé ministre du travail, réduise le temps de travail? Ou encore que Florent Pagny, une fois nomme ministre de la culture, rende les artistes non-imposables?
Il suffit donc de savoir d'où viennent ces gens pour ne pas être surpris. C'est là que le silence médiatique prend tout son sens. Le fait qu'un minimum de personnes connaisse le lien entre le directeur de cabinet de M Blanquer et l'Ifrap (ou qu'un maximum pense qu'il s'agit d'un vrai institut de recherche) est nécessaire pour endormir les gens. Présenter les choses sous une parure de scientificité. Les syndicats qui s'agitent c'est uniquement par corporatisme ou paranoïa. Un refrain bien connu. Ils voient la mal partout.
Ainsi un jour ça arrive. En prônant plus de sport et de culture on supprime ceux-ci de l'enseignement obligatoire.
Double objectif atteint. Outre le fait que l'Education Nationale pourra ainsi réaliser de sérieuses économies, on crée ainsi une société idéale pour tout bon capitaliste. D'un côté des personnes destinées à être une main d'oeuvre pas chère, peu revendicative, qui peuvent donc se contenter des apprentissages fondamentaux. De l'autre ceux qui sauront voir et comprendre le monde dans sa globalité et sa complexité et qui auront toujours un temps d'avance sur les premiers quand il s'agira de défendre sa place dans la hiérarchie sociale.
Car en fait, c'est surtout de cela qu'il s'agit. D'une lutte de classes déjà gagnée. On connait les vainqueurs. Il s'agit maintenant de rendre les choses irréversibles.
1 - Le seul grand média qui a repris l'information sur le lien entre le directeur de cabinet de M Blanquer et l'IFRAP est Marianne. Mais c'est sous la plume de J.P. Brighelli...qui estime qu'on pourrait supprimer 80% de postes dans l'Education Nationale grâce au télétravail et que les enseignants ne devraient pas trop se plaindre. Si, si...lisez-le.
https://www.marianne.net/debattons/billets/mais-qui-veut-le-scalp-de-jean-michel-blanquer
2 - Cette "juste place pour le numérique" peut inquiéter si on relit l'article de M Brighelli...