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Billet de blog 23 juin 2024

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Vaincre en milieu hostile

Depuis longtemps, de très nombreuses accusations visent le mouvement de La France Insoumise. Antidémocratique, islamiste, antisémite, amie des dictatures, violente, autoritaire… Vaincre ces injures nécessite une analyse dialectique du milieu hostile. Sans cette analyse la politique se ramollit et prend la forme de leçons de morale.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Dresser une liste exhaustive serait un projet aussi long que celui qui consisterait à faire l’inventaire de tous les actes des gouvernements de ces 20 dernières années qui ont œuvré à la banalisation des idées prônées par l’extrême droite. Le Ministère de l’immigration et de l’identité nationale, le projet de loi sur la déchéance de nationalité, Manuel Valls premier ministre ainsi que la loi sur l’immigration et instauration de la préférence nationale ne sont que des exemples les plus faciles à retrouver dans nos mémoires saturées par ce systématisme.

On en aboutit aujourd’hui à un président qui, entre deux éructations transphobes et racistes, en arrive à ne considérer l’éventualité de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir comme un problème uniquement parce que son programme serait trop coûteux économiquement. Analysons rapidement la sortie de M. Macron, faite, chose utile à rappeler, juste après avoir commémoré l’appel du 18 juin. A la lumière de l’histoire, le réel révèle souvent son allure de farce tragique.

De cette critique selon laquelle le « Rassemblement National et ses associés […] proposent des choses qui font peut être plaisir aux gens » mais qui coûtent cher et reviennent à « raser gratis » M. Macron arrive en toute logique à la conclusion que « l’extrême gauche » c’est « quatre fois pire en terme de coûts » et serait synonyme de la fin de la laïcité et de la loi immigration. Cette sortie d’Emmanuel Macron est un concentré parfait de ce processus où la diabolisation est translatée patiemment de l’extrême-droite vers une gauche simplement réformiste, radicalement social-démocrate (une social-démocratie reniant les 40 années de compromissions avec le néolibéralisme), et qui est ferme sur ses positions. Tout dans ces propos, de la dénomination (« Rassemblement National et ses associés » / « extrême gauche ») jusqu’à la critique des propositions (trop cher économiquement / dangereux pour la société car s’attaquant à la laïcité et étant « totalement immigrationniste », en plus d’être quatre fois plus cher économiquement aussi) reflète cette préférence idéologique des représentants du capital en faveur des forces fascisantes et au détriment des forces de gauche qui sont les seules à inquiéter réellement leurs intérêts. D’ailleurs, les représentants du Rassemblement National ne s’y trompent pas, eux qui expurgent quotidiennement leur programme de toutes les propositions qui pourraient heurter le statu quo capitaliste. Non, ils ne reviendront finalement pas sur la réforme des retraites et non, ils ne s’attaqueront pas à l’impôt le plus injuste qu’est la TVA. C’est ce qui s’appelle donner des gages de respectabilité.

Alors, dans cette configuration, la seule formation qui pourrait déranger le capitalisme dans son fonctionnement ordinaire, c’est bien le Nouveau Front Populaire. Avec les réformes fiscales envisagées, la règle verte ou encore l’augmentation du SMIC, entre toutes les autres mesures, il y aura de quoi faire monter le MEDEF sur ses grands chevaux. Et ce Nouveau Front Populaire (NFP) bénéficiera à coup sûr de ce traitement de faveur qui consiste à le salir, le diffamer, le dénigrer, le moquer, voire même l’insulter si Frédéric Haziza ou Cyril Hanouna sont dans les parages. Règne, en toute logique, envers ce mouvement, une hostilité inversement proportionnelle à la possibilité que la classe capitaliste se rallie à ses propositions, comme par exemple la prise des mesures nécessaires à une bifurcation écologique ou ne serait-ce que celle d’un meilleur partage des richesses. Autant vous dire que l’hostilité est quasiment à son maximum possible actuellement puisqu’inversement proportionnelle au quasi-néant. Par contre, la possibilité que cette même classe capitaliste se rallie à un parti raciste, homophobe, sexiste et ne souhaitant en rien perturber le statu quo économique est, là aussi en toute logique, loin d’être faible. Pas seulement parce que le capitalisme pourrait s’accommoder de ces diverses discriminations mais aussi parce qu’il est une construction bâtie sur ces inégalités et entretient avec elles une relation plus organique que ce qu’on veut bien admettre.

Cette hostilité des forces capitalistes envers tout projet les contrariant doit être prise en compte par tout parti qui a comme objectif de convaincre une majorité du corps électoral. Il ne s’agit pas là d’une hostilité d’un groupuscule minoritaire plus ou moins important. On n’a pas en face de nous les chasseurs ou les moniteurs d’auto-école. Dans ces derniers cas, l’hostilité du groupe en question peut être ignorée sans forcément entraîner par cette décision des conséquences catastrophiques. Nous avons en face de nous la classe capitaliste qui a comme objectif principal la création de la plus-value toujours plus grande en exploitant de plus en plus le travail des salariés, chose que le projet du NFP a pour objectif de ralentir. Et cette classe capitaliste a entre ses mains non seulement notre travail, qu’elle achète, mais aussi les moyens de communication et d’information.

Nous évoluons donc dans un milieu qui appartient quasi intégralement à ceux qui nous sont hostiles. Il est donc évident que tout sera exploité et rien ne sera épargné aux forces de gauche radicale en général et à celles du NFP en particulier. Le moindre faux pas, la moindre hésitation ou désaccord seront mis en lumière, surexposés et surcommentés. Mais les forces de cette gauche qui se veut pourtant conséquente ignorent très souvent l’hostilité du milieu dans lequel elles évoluent. Ou font comme si…

Prenons l’exemple des accusations d’antisémitisme à l’encontre de la France Insoumise. Ces dernières proviennent de plusieurs directions différentes : de la droite prête à toute manipulation ou ignominie mais aussi de la part de personnes intellectuellement honnêtes dont les arguments méritent d’être débattus sereinement.

Sur ce sujet, un texte important a été publié récemment à l’initiative de l’historienne Ludivine Bantigny et signé par plusieurs dizaines d’intellectuels. L’objectif affiché était de répondre à cette « infamie » mais surtout de « répondre honnêtement aux personnes honnêtes ». Pour ma part, je rajouterais qu'en plus d'une réponse honnête, une réponse politique est nécessaire à une question politique. Et la politique étant indissociable du rapport de forces entre les différentes classes et forces politiques, ce rapport structurant le milieu dans lequel on évolue, la politique ne peut en aucun cas ignorer l’hostilité dans laquelle elle évolue.

Cette hostilité doit être observée et mise en lumière comme telle avec toutes les contradictions qu’elle comporte. Par exemple, lorsque le texte de la riposte cité ci-dessus rappelle que « La France Insoumise n’a ainsi cessé de répéter qu’en aucun cas l’État israélien, lorsqu’il commet ses crimes, ne pouvait être rapproché et assimilé aux juifs et juives, y compris bien sûr israéliennes et israéliens." il s’agit d’un rappel essentiel quant à la volonté des dirigeants de La France Insoumise de ne pas assimiler toute une population à la politique d’un gouvernement. Un gouvernement, qui plus est, en train de se rendre responsable de crimes de guerre ou contre l’humanité. Les dirigeants de ce mouvement évitent de cette manière très clairement les procédés d’essentialisation ou de réduction de certaines populations à des traits particuliers, diffamatoires et discriminatoires. Ce sont justement ces procédés-là qui caractérisent toute pensée raciste ou antisémite, mais aussi sexiste, homophobe etc.

Quand, par exemple, une certaine injonction plus ou moins directe est lancée en direction de la population musulmane dans son ensemble de se désolidariser d’un acte terroriste commis au nom d’une conception particulière et problématique de l’islam, il s’agit bien là d’une essentialisation de cette population et donc d’un procédé raciste. Ce processus réduit toute la population de religion musulmane, et donc chaque individu de cette communauté en particulier, à sa seule religion et le lie ainsi à toutes les autres personnes partageant la même religion et notamment, hiérarchisation oblige, au terroriste. C’est précisément cela qu’ont voulu éviter les membres de la France Insoumise en déliant en permanence la responsabilité du gouvernement israélien des juifs et juives et des Israéliens et Israéliennes. Mais, d’autres se sont chargés en permanence de recréer ce lien réducteur. D’autres n’ont cessé d’assimiler toute critique du gouvernement Netanyahu à de l’antisémitisme. D’autres n’ont cessé de jouer ce jeu d’essentialisation, en prétendant pourtant lutter contre l’antisémitisme.

Les tenants du soutien inconditionnel à l'Etat d'Israël qui ont qualifié la moindre critique envers le gouvernement israélien commettant des crimes atroces comme étant de l'antisémitisme ont œuvré à l’assimilation de ce gouvernement non seulement aux Israéliennes et Israéliens mais aussi aux juifs et juives en général. Cela ne revient-il pas à nourrir l'antisémitisme, justement. C'est surtout vues sous cet angle que ces accusations sont les plus dangereuses, bien davantage que du seul point de vue de la France Insoumise et de sa réputation. Car au-delà de la diffamation d'un mouvement politique, il s'agit ici de la production éhontée du terreau de l'antisémitisme par ceux qui prétendent lutter contre. Est-il venu à l'esprit de quelqu'un d'assimiler des critiques, par exemple, du Hamas à une critique du peuple palestinien en général ou pire, à de l'islamophobie ? On se rend rapidement compte de l'absurdité et même du racisme de cette construction argumentaire. 

Cette pure inversion rhétorique doublée d’une essentialisation de toute la population juive amène certains locuteurs encore plus loin dans l’emploi des stéréotypes antisémites, tel Jean-Claude Milner qui s’insurgeait contre le slogan « taxer les riches » qu’il accouplait à l’hypothèse « les juifs sont riches » pour mieux en dévoiler un antisémitisme qu’il prétend pourtant combattre. On assiste ainsi à une production des positions ouvertement antisémites qui sont ensuite balancés dans les bras de tous ceux qui tiennent une position critique vis-à-vis du gouvernement israélien en général et de la France Insoumise en particulier. Malheureusement, bien que collatérale, la principale victime d’un tel procédé est bien la population de confession juive. Car, cette production du terreau antisémite se répand bel et bien dans notre société et ne peut en aucun cas être contenue dans le cadre strict pour lequel elle a été créé, à savoir une calomnie politique.

Voilà les outrances que permet cette hostilité du milieu politique dans lequel on évolue. Mais celle-ci doit également être observée et analysée du point de vue des agissements des membres de la France Insoumise elles et eux-mêmes. En effet, répondre honnêtement aux gens honnêtes nécessite un certain nombre de mea culpa. Le texte évoqué ci-dessus en liste un certain nombre, à mettre au crédit de Jean-Luc Mélenchon ou bien de David Guiraud. L’un a reconnu s’être mal exprimé lors de sa sortie sur la judéité d’Éric Zemmour et l’autre à propos de la polémique autour de la référence au manga One Piece. On peut aussi rappeler la polémique provoquée par la déclaration que M. Guiraud avait fait à Tunis et dans laquelle il attribuait les massacres de Sabra et Chatila à Israël. 

Là encore, David Guiraud a reconnu son erreur et s'est excusé. Mais cette erreur prend forcément des proportions extraordinaires du fait de l'atmosphère générale qui règne dans le pays. Comme pour d'autres sorties pointées du doigt et assimilées par les contempteurs médiatiques et politiques à de l'extrémisme de la part des forces de la gauche conséquente, l'état des forces politiques et surtout économiques et médiatiques exige des représentants de cette gauche une rigueur absolue. Observez la tension et la fébrilité chez les militants du NFP avec lesquelles sont scrutés les sorties médiatiques des responsables du Nouveau Front Populaire. Comme est craint chaque mot de trop ou de travers. Nous savons, en effet, que tout peut s'écrouler avec une seule phrase maladroite ou précipitée. Alors, s'agissant de l'antisémitisme, il faut encore plus de rigueur car ce qui est en jeu dépasse largement la seule réputation du NFP. Cela peut nous paraitre injuste tant d'autres partis se vautrent dans les raccourcis, les approximations, les contre-vérités et les discriminations de toutes sortes... Mais on doit faire avec ce réel-là et nous plier à cette rigueur. Nous n'avons malheureusement pas d'autre choix. On ne peut pas à la fois dénoncer en permanence le deux poids – deux mesures de la part des médias et faire comme si cette partialité n’existait pas vraiment.

Mais encore une fois, sur certains sujets, et notamment celui de l’antisémitisme ou du racisme, cette prise en considération de l’hostilité du milieu doit s’accompagner de celle de la parole des victimes des paroles ou actes discriminatoires. Très souvent, cette double prise en compte permet de démasquer certains impensés qui nous amènent à des biais dans la construction de nos argumentaires. Ces impensés et biais sont présents chez chacun d’entre nous et découlent de nos constructions intellectuelles et politiques particulières. Ils sont quasiment inévitables chez toute personne normalement constituée. Ainsi, par exemple, il arrive que des militants de gauche hiérarchisent les luttes et placent la lutte des classes au-dessus des autres au point de ne voir dans les autres oppressions que des diversions du capitalisme dans le but de détourner l’attention du public de la « vraie » question. Cette façon de voir les choses passe non seulement à côté des liens organiques entre le capitalisme et ses différentes fondations que sont le patriarcat sexiste, le racisme etc. mais maintient les différentes catégories d’opprimés dans un statut d’infériorité. Plutôt que de prendre véritablement en compte leur parole et d’entrer en dialogue avec eux pour construire une vision du monde commune dans le but de le transformer, on se place en possesseur d’un savoir supérieur et d’une recette à suivre pour se débarrasser des oppressions.

Ces impensés et biais existent évidemment dans le domaine de l’antisémitisme aussi. Et ils doivent être interrogés et analysés comme tels. Un événement assez parlant de ce point de vue est celui qui s’est joué sur l’antenne de France Inter le 6 juin 2021, lorsque Jean-Luc Mélenchon y a déclaré : « Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle, nous aurons un grave incident ou un meurtre. Cela a été Merah en 2012. Cela a été l’attentat la dernière semaine sur les Champs-Elysées. Avant, on avait eu Papy Voise dont plus personne n’a jamais entendu parler après. Tout ça, c’est écrit d’avance. Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau. Nous aurons l’événement gravissime qui va, une fois de plus, permettre de montrer du doigt les musulmans et d’inventer une guerre civile. Voilà, c’est bateau tout ça. »

Mélenchon dénonçait avec ces propos le traitement médiatique et politique de ces événements. C’est ce traitement en forme d’instrumentalisation qu'il jugeait problématique. On ne pourrait que lui donner raison sur ce plan-là. Mais, à vouloir dénoncer l'islamophobie bien réelle produite par le traitement biaisé des informations il ne choisit pas ses exemples de la meilleure des manières. Ou plutôt : il s'agit ici d'un biais ou d'un impensé qui peut heurter la population juive, mais pas seulement. Mettre ainsi sur le même plan un attentat contre des policiers, une agression crapuleuse et assassinat d'enfants uniquement en raison de leur appartenance à la religion juive, est regrettable et représente un autre biais argumentatif. Jean-Luc Mélenchon argumentait là sur un autre plan, celui de l'instrumentalisation médiatico-politique de l'actualité. Mais mélanger ainsi un fait divers avec un attentat antisémite sur des enfants nous montre que l'analyse de ces biais et impensés doit faire partie de notre arsenal politique. 

Encore une fois, l’existence de ces biais n’est pas problématique en soi car elle découle tout simplement de notre vécu en tant que sujets construits socialement dans un milieu donné. Et ces biais racistes ou antisémites ne sont pas seuls. Plus certaines minorités opprimées sont isolées et privées de parole, plus les impensés à leur égard sont présents. Ainsi, par exemple, le point de vue validiste structure quasiment tous les discours politiques, de la gauche à la droite.

Mais si l’existence des biais est presque naturelle, ce qui doit faire la différence est leur prise en charge. Tenir une position découlant d’un impensé peut arriver mais persister dans cette voie et refuser de prendre en compte les remarques effectuées par ceux et celles qui se sentent heurtés et agressés par cette position, qui sont victimes d’une oppression que notre position vient valider et conforter, voilà qui est plus problématique. Puisque la gauche a pour objectif l'émancipation, elle ne peut se passer de considérer les opprimés de toutes sortes comme des sujets et pas seulement des objets victimes d'oppressions ou de discriminations. Et avoir des sujets en face de soi nécessite l'instauration d'un dialogue avec eux. La politique émancipatrice ne peut se limiter à l'élaboration des programmes pour les classes opprimées mais elle doit se construire avec eux. 

Nous venons de survoler tour à tour la réalité de ce milieu hostile dans lequel évoluent les forces politiques émancipatrices, ce que nécessite en termes de rigueur cette hostilité de la part de ces forces progressistes et, enfin, l’importance essentielle de l’honnêteté et de l’humilité qu’entrainent l’impossibilité d’une omniscience politique et la considération des opprimés de toute sorte comme de véritables sujets. Ignorer un de ces points est possible tout comme il est possible de verser dans un bla-bla inconséquent. Certains s’y complaisent et y font même carrière. Le problème étant que cette position ne mène à rien.

Le moment étant d’une extrême gravité, on ne peut terminer cette réflexion sans mettre face à leurs contradictions ceux qui militent pour une victoire électorale tout en ignorant certains principes de base énoncés ici. On ne peut être aussi exigeant avec les tenants de l’émancipation et laxiste par omission avec leurs alliés de circonstance, engagés dans le même objectif électoral et par conséquent politique.

Alors, rentrons tout de suite dans le cœur du problème. Tout le monde s'accorde à dire que la situation est on ne peut plus grave. Or, on y joue au tir de barrage contre le pointé du doigt par la classe dominante. Depuis que les accords entre les différents partis ont été trouvés et signés, on ne cesse de tenter de gagner au concours de celui qui les respecte le moins. Au prix d'énormes malhonnêtetés intellectuelles, manipulations des faits et autres contrevérités.

Ainsi, dans le cas de l’investiture d’Adrien Quatennens, rien n’a été pris en compte : ni la parole des collectifs féministes ni l’hostilité du milieu qui n’allait pas tarder à exploiter cette inconséquence et mener le NFP tout juste créé au bord de l’implosion.

Dans le cas de certaines non-investitures de députés sortants, à la lumière de ce qui vient d’être exposé on peut affirmer qu’il s’agit là de choix découlant justement de la prise en compte de l’hostilité en question. En effet, s’apprêtant à gouverner, car tel est le but de cette union, avec des partenaires dont beaucoup ont des positions pas très claires sur certains sujets essentiels voire même divergentes, la France Insoumise consolide ses rangs par ces choix. Nous pourrions discuter des méthodes employées, que dénonce par exemple le député sortant non investi par le NFP Hendrik Davi : « Aucun coup de fil, aucune explication ne m’a a été donnée. » L’urgence imposée par M. Macron justifie-t-elle ces méthodes expéditives est une vraie question. Mais elle reste tout de même très secondaire dans le moment actuel et les enjeux qu’il comporte.

Les raisons que donne M. Davi à ce qu’il qualifie de « purge politique » et à sa décision de maintenir sa candidature montrent une absence totale de prise en compte de l’hostilité du milieu réel. Concernant le premier point, il évoque des divergences avec la ligne de M. Mélenchon. Il écrit donc : « Nous avons choisi aussi de qualifier les attaques du 7 octobre d’actes terroristes et demander la suspension d’Adrien Quatennens. Nous payons donc nos divergences politiques. Mais faire cela, avec cette méthode et à ce moment-là, en prenant le risque de casser la dynamique du front populaire, était une erreur politique grave. » Je ne vais pas revenir ici sur tout ce qui a été dit plus haut à propos des accusations d’antisémitisme à l’encontre de la France Insoumise. Mais il faut se rappeler qu’à ce moment-là, l’ensemble de ses représentants avait condamné les attaques du 7 octobre mais sans forcément employer le terme « terroriste », préférant parler de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité et ce pour des raisons juridiques ayant trait au droit international. C’est cette condamnation qui ne souffrait pourtant d’aucune ambiguïté qui a été requalifiée en soutien au Hamas et a entrainé la qualification de la France Insoumise comme étant un mouvement antisémite. Cette diabolisation est d’ailleurs toujours à l’œuvre 8 mois plus tard et constitue le principal argument des opposants du Nouveau Front Populaire. Face à une campagne de propagande d’une telle gravité, certains députés ont donc choisi à l’époque de se démarquer et d’employer le terme « terroriste ». Il s’agit d’une divergence sur le fond qui n’a rien de choquant en soi. Mais cette prise de position traduit une non prise en compte de cette hostilité du milieu dont on parle depuis le début. Quelle aubaine pour les accusateurs de trouver des fissures par lesquelles s’infiltrer. « Vous voyez bien que même dans votre camp certains retrouvent la raison. » Cette question de loyauté est souvent présentée comme un signe d’autoritarisme. Mais si nous tenons compte de l’hostilité en question, un seuil de loyauté minimal devient une nécessité vitale. N’en exiger aucune ne serait pas un gage de fonctionnement démocratique mais tout simplement d’inculture politique. Au mois d’octobre 2023 ce seuil minimal de loyauté n’a pas été respecté par certains qui ont par leurs prises de positions, à ce moment-là, apporté de l’eau au moulin des accusations ignominieuses à propos de l’antisémitisme de leur propre mouvement.

Lorsque les députés dissidents décident tous de maintenir leurs candidatures ils utilisent tous le même argument : celui de responsabilité. Ils disent qu’ils ne se présenteraient pas s’il y avait un risque de faire perdre leur circonscription à la gauche. Et ils nous présentent leurs calculs basés sur l’historique plus ou moins récent des résultats électoraux de leurs circonscriptions pour nous démontrer qu’il s’agit des endroits où la gauche ne peut pas perdre, même avec une candidature dissidente, la leur. Or, ces candidatures dissidentes n’ont pas comme unique effet délétère la dispersion arithmétique de voix. Elles ont un effet démobilisateur qui dépasse largement les frontières de leurs circonscriptions. L’effet néfaste d’un meeting à Montreuil où sur une même estrade, Rima Hassan et François Ruffin soutiennent deux candidats différents, touche malheureusement un public bien plus large que les seuls électeurs de M. Corbière. Et les commentateurs médiatiques ne se priveront pas de mettre en lumière toute divergence pour discréditer toujours davantage l’union des forces de gauche.

Les propagandistes médiatiques au service de cette hostilité ne se priveront pas de mettre en lumière les Tondelier et Faure soutenant des candidatures dissidentes, Fabien Roussel qui demande le retrait de la candidature de Raphaël Arnault[1], le militant antifasciste, car celui-ci serait fiché S, François Ruffin qui accuse la France Insoumise de brutalité, de bêtise et de sectarisme, la France Insoumise qui présente en représailles un candidat dissident face à un candidat communiste… A aucun de ces moments, ces différents protagonistes pourtant leaders de la gauche politique actuelle, ne prennent en considération l’hostilité du milieu dans lequel ils évoluent.

Il en est de même avec tous ces intellectuels, journalistes, artistes de gauche qui prennent qui sa plume qui sa langue pour pourfendre les choix d’investitures faits par La France Insoumise. Tous évoquent la brutalité, une faute politique et un autoritarisme qui seraient à bannir.

Ces intellectuels imaginent la démocratie comme une divinité à laquelle il faudrait donner des gages. La réalité est tout autre : nous sommes dans une société d'oppressions multiples de laquelle nous ne sortirons que par un travail commun avec les opprimés. Or, il s'avère qu'une victoire électorale et une mise en application effective du programme commun du NFP peut créer des conditions favorables à ce travail de déconstruction des oppressions qui pourra nous mener progressivement vers une société qu'on pourra nommer démocratie. Mais cette non prise en compte de la réalité du milieu hostile dans lequel évolue La France Insoumise est un non-sens politique total. Sans prise en compte des conditions réelles de notre milieu, on ne fait pas de la politique, mais des leçons de morale bourgeoises.

Car contrairement à ce que clament les candidats dissidents et leurs soutiens, je ne leur reproche pour ma part pas leur liberté de parole. Je leur reproche leur manque de conséquence politique. Je leur reproche de saper tous nos efforts de militants de terrain qui nous épuisons à tracter dans les marchés, les gares ou les ronds-points, qui cherchons des mots toujours plus justes pour donner envie aux indécis et aux non concernés de se déplacer jusqu’au bureau de vote.

 Voilà donc ce que serait la position d’une gauche solide sur le fond, sur ses bases émancipatrices, prenant en compte la parole des opprimés et les considérant comme des sujets et non des objets ou victimes à sauver. Une gauche solide aussi stratégiquement, consciente de l’hostilité du milieu dans lequel elle évolue et des conséquences politiques qu’implique cette hostilité. Une gauche qui serait en mesure non seulement de gagner une élection, mais aussi de changer en profondeur notre monde.

[1] Quand M. Roussel déclare sur un plateau de télévision que la candidature de Raphaël Arnault devrait être retirée parce qu’il serait fiché S et qu’on ne sait absolument pas les raisons de ce fichage, ni s’il est avéré, ni ce qu’on pourrait lui reprocher, le candidat communiste à la présidentielle commet là une double faute politique. Tout d’abord, il donne là une raison supplémentaire pour ne pas voter NFP puisque des gens pas fréquentables s’y trouveraient. Ensuite, il approuve par là clairement que les services de l’État sont légitimes dans leurs entreprises de délégitimation. Accepter que M. Arnault ne puisse se présenter ou mener campagne c'est créer un grave précédent digne de Minority report. Il s'agirait simplement d'un abus de pouvoir et de la création d'une catégorie de sous-citoyens. Quelqu'un qui n'a commis aucun délit ni infraction et encore moins de crime pourrait être privé de ses droits simplement parce que les services de l'Etat l'auraient décidé. Au nom des valeurs prétendument démocratiques on donne des pouvoirs exorbitants à l'État et on institutionnalise un pouvoir arbitraire. Au nom de la démocratie on officialise son contraire en supprimant l'Etat de droit.

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