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Billet de blog 23 novembre 2010

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Magloire Saint-Aude (1912-1971)

Il s'agit d'un hommage rendu ici à Magloire Saint-Aude dans le cadre d'une série d'hommages aux écrivains haïtiens par l'Union des écrivains québécois. La biographie de l'auteur a été résumée à partir du livre Le sujet opaque de Stéphane Martelly, et l'hommage à l'auteur a été écrit par Laure Morali.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il s'agit d'un hommage rendu ici à Magloire Saint-Aude dans le cadre d'une série d'hommages aux écrivains haïtiens par l'Union des écrivains québécois. La biographie de l'auteur a été résumée à partir du livre Le sujet opaque de Stéphane Martelly, et l'hommage à l'auteur a été écrit par Laure Morali.

Magloire Saint-Aude est né à Port-au-Prince, le 2 avril 1912, sous le nom de Clément Magloire fils. Héritier d'une famille notable, son père étant le célèbre fondateur du journal Le Matin, il étudie dans plusieurs écoles fréquentées par l'élite (Le Petit Séminaire Collège Saint-Martial, L'Institution Saint-Louis de Gonzague et L'Institut Tippenhauer) et publie ses premiers poèmes, alors qu’il est encore très jeune, dans les revues La Relève et Le Matin.

Il participe au mouvement indigéniste des « Griots », aux côtés du poète Carl Brouard et du jeune François Duvalier. Alors secrétaire général de la revue du mouvement intitulée Les Griots, Clément Magloire fils y trouve le premier espace où exprimer sa révolte. Or, il s’en distancie rapidement pour suivre « d'instinct » une nouvelle voie et une nouvelle pratique d'écriture que Philippe Thoby-Marcelin, préfaçant son premier recueil, qualifie de surréaliste. Adoptant cette appellation, l’écrivain la fait sienne en revisitant et en adaptant à sa propre recherche poétique le surréalisme d’André Breton.


En 1941, il publie coup sur coup Dialogue de mes lampes et Tabou et devient Magloire-Saint-Aude en rejetant le prénom de son père et en ajoutant à « Magloire » le nom de sa mère, créant ainsi son propre nom et sa propre écriture. Parallèlement à son oeuvre poétique, il se consacre au journalisme : il écrira quasiment jusqu'à sa mort un nombre impressionnant d'articles et de chroniques dans plusieurs journaux et quotidiens. Il publie quelques textes en prose, versions retravaillées de ses chroniques et articles dans les journaux, œuvres courtes, incisives, qu'il nomme, avec désinvolture, ses travaux « d'écrivain professionnel ». Son dernier recueil de poèmes, Déchu (1956), met délibérément fin à son aventure poétique. Tous les textes ultérieurs sont en effet des inédits ou des publications posthumes.
À partir de 1967, le président Duvalier père lui accorde, dans un geste assez ambigu, une allocation mensuelle dont il bénéficie jusqu'à sa mort. Son profond pessimisme le tiendra cependant toujours éloigné du pouvoir et du politique, de droite comme de gauche. Il va, à la même époque, à l'hôpital et en prison. Caustique dans ses articles envers les élites, silencieux sur ses intentions, révolté du désengagement, souvent ivre et seul, il n’est l'homme d'aucun parti, d'aucun mouvement, d'aucune cause, d'aucune école. Magloire-Saint-Aude livre par contre une poésie elliptique, dense, ciselée et traversée par le silence et l'opacité qu'il élève au niveau d'une véritable exigence éthique et esthétique.
Il meurt le 27 mai 1971.

Bibliographie

POÉSIE :
Dialogue de mes lampes et autres textes: œuvres complètes (édition établie et présentée par François Leperlier). Paris: Jean-Michel Place, 1998, 264 p.
Dimanche. Paris: Éditions Maintenant, 1973, 18 p.
Dialogue de mes Lampes - Tabou - Déchu. Illustrations de Wilfredo Lam, H. Télémaque, J. Camacho. 59 p. Paris: Veuillet, 1970, 59 p.
Déchu. Port-au-Prince: Imprimerie Oedipe, 1956, 16 p.
Tabou. Port-au-Prince: Imprimerie du Collège Vertières, 1941, 15 p.
Dialogue de mes lampes. Port-au-Prince: Presses de l'État, 1941, 11 p.; Port-au-Prince: Oedipe, 1957. Préface de Thoby-Marcelin.

RÉCITS :
Veillée. Port-au-Prince: Imprimerie Renelle, 1956; Le Nouvelliste (29-30 mai 1971): 1; Montréal: Mémoire d'encrier, 2003.
Ombres et Reflets. Port-au-Prince: Imprimerie Pierre-Noël, 1952, 31 p.
Parias, documentaire. Port-au-Prince: Imprimerie de l'État, 1949, 100 p.
Source : Stéphane Martelly
Bibliographie adaptée de celle de Stéphane Martelly, parue dans: Le Sujet opaque, une lecture de l'œuvre poétique de Magloire-Saint-Aude, Paris: L'Harmattan, 2001, p. 119-173.

Hommage de Laure Morali

J’ai rencontré Magloire Saint-Aude au 554 de la rue Bourgeoys, chez Rodney Saint-Éloi. C’est dans cet appartement que se concoctaient les premiers livres de Mémoire d’encrier. Nous étions tous à la fois auteurs, lecteurs, secrétaires, correcteurs, graphistes. Et les plus grandes décisions se prenaient dans la cuisine. Rodney aux fourneaux mélangeait les ingrédients, choisissait avec soin les épices. Quand il entrouvrait le four, le nouveau parfum d’un livre s’en échappait. Ce soir-là, il a sorti un petit livre à la couverture sucre glace, avec en lettres noir réglisse un titre à la douceur feutrée, Veillée. J’ai pris entre mes mains le premier et l’unique numéro de la collection Feuilles volantes.
Je découvrais le nom de Magloire Saint-Aude, stupéfaite devant la beauté de ses sonorités limpides. Les mots découpés avec évidence se détachaient des pages comme des choses. Je lisais « thé-à-la-canelle » et je voyais la tasse sortir du livre jusqu’à mes lèvres. Je dégustais chaque syllabe, chaque silence. J’inhalais la fumée de « ce merveilleux tabac Splendid, à l’arrière-goût de chocolat ». Envoûtée. Rodney avait saupoudré des étoiles, qui n’étaient pas dans l’édition originale de 1956, entre les blocs de prose. Et il était heureux du résultat. Il dansait en lisant à haute voix :
« En toilette blanche, comme une communiante, rehaussée, aux seins en bouillons de dentelles, Thérèse, en son immobilité éternelle, n’était pas lugubre. Elle n’avait pas de mentonnière, et sa jupe-cloche, toute droite, ne godait guère. »
L’éditeur valsait avec la défunte, prénommée Thérèse, plus vivante que bien des vivants sous les traits appliqués au fusain par l’écrivain.
Sans s’annoncer, un homme mince, un Giacometti, s’est ajouté à notre veillée. Il n’a pas pris garde à la longue brune endormie comme une énigme sur le canapé rouge, et a déposé son chapeau melon sur sa main. Avec ses yeux de hibou, de dire : « Magloire Saint-Aude… Une légende que cet homme ! » Rodney s’arrêta de danser aussi sec. Comment une légende comme Davertige pouvait-elle dire d’un autre homme qu’il en était une ? Idem et Ibidem… Je commençais à être un peu perdue. Dany Laferrière, lui, ne l’était pas du tout. Il n’avait pas détaché son regard de la lampe de toute la soirée, et la regardait encore en plissant les yeux, alors qu’il énonçait d’une voix lointaine : « Saint-Aude a écrit un poème qui s’intitule Dimanche. Il y a dans ce poème les deux vers les plus terribles de toute la littérature américaine, de l’Alaska jusqu’à la Terre de Feu : Je descends, indécis, sans indices / Feutré, ouaté, loué, au ras des pôles… »
L’ampoule grilla.
On n’entendait plus que le son velouté d’un papillon autour de la lampe noircie. Un battement. Il m’avait fallu la pénombre pour remarquer la présence de cet être de la nuit. Rejoignant sa belle fille naufragée, tel l’harmonica du voyou, il se posa sur les paupières de la brune. Au contact de ses ailes, elle ouvrit grand les yeux, « des yeux étrangement beaux, d’une gaieté sensuelle, inconvenante, jusqu’à la cruauté », avons-nous laissé échapper d’un seul souffle. Seuls les mots de Saint-Aude pour saisir ce regard pareil à celui de la Thérèse de Veillée quand elle se réveilla dans le monde des esprits où, nous aussi, nous avions lentement basculé.
À travers la serrure du 554 de la rue Bourgeois, par où filtrait une lumière de craie, Saint-Aude s’effaça.
Cette lodyans me fit comprendre que Magloire Saint-Aude (nom emprunté à sa mère, car il était né Clément Magloire fils) était un nom abat-jour protégeant le cœur de la lumière. Il me fallait le lire en laissant juste ce qu’il faut de passage entre les paupières, de sorte que les frontières s’estompent et que l’on accède à un monde inversé.
Les vivants sont morts, les morts sont vivants, l’invisible est visible, le visible est opaque, on dort le jour, on veille la nuit, la page est sombre, les mots sont lumières.
Celui qui découd les ficelles de la dernière heure et les fait passer par les embrasures ne peut se tenir qu’à la frontière entre le jour et la nuit. En plein milieu. C’est un passeur, à la fois ébéniste et serrurier, le gardien d’une porte usée, savamment lustrée.
Un an avant sa mort, Magloire Saint-Aude résume sa vie ainsi : Né à Port-au-Prince en 1912. Pas de titre universitaire. Pas de voyages. Anti-conformiste. A tourné le dos à la
« société » et vit, retiré, dans la banlieue sud de Port-au-Prince
.
Cet homme qui s'est éclipsé dans le halo des lampes préférait dire ce qu’il n’était pas plutôt que ce qu’il était, tout comme ses poèmes préfèrent montrer ce qui ne se voit pas. Saint-Aude a délicatement ciselé l’ombre pour faire traverser la lumière, révéler l’autre côté du mur sans trop nous éblouir. Chaque poème est une serrure dans l’invisible.
Seul dans les contre-jours, comme René Char dans le maquis, Saint-Aude s’est frotté à des forces qui laissent des traces dans l’écorce des mots. L’apparence vieillie, poncée de ses poèmes peuplés de buvards, sable, fossiles, tuf, craie, sel, suie boit la clarté qui nous revient de l’autre côté des apparences. L’enveloppe du poème, vieux bois, absorbe, happe, aimante, attire jusqu’à l’hypnose. Un fini lustré, des sonorités précieusement choisies, et nous sommes pris dans ce reflet où tout se passe, se sent. Magloire polit les détails du quotidien dans une langue lisse. L’entourage immédiat devient étrange à force d’être ramené à son statut de chose muette. Par contraste, l’impalpable s'impose, évident.
La musique magnétique de ses vers séduisit André Breton qui le porta aux nues. Et pourtant, je crois que cette étiquette d’écrivain surréaliste qui lui est restée procède davantage du hasard des rencontres que d’une véritable filiation. Le surréalisme avait trouvé tout ce qu’il lui fallait, dans l’œuvre de Saint-Aude, pour s’en nourrir, mais lui qui est une légende, flottant en dehors du temps et de l’espace, ne peut se limiter au mouvement d’une époque.
Magloire Saint-Aude aurait pu naître au 21e siècle comme au 12e que cela n’aurait rien changé à l’éclat de son écriture baignée dans une épaisseur de la réalité aussi concrète que la table usée par ses coudes.
Notes :
- La citation de Dany Laferrière, tirée du roman Le Goût des jeunes filles (Grasset, Paris, 2005, page 287), fait référence au poème Dimanche de Magloire Saint-Aude, dans Dialogue de mes lampes (Œuvres complètes, Jean Michel Place, Paris, 1998, page 34)
- La « belle fille naufragée,/Tel l’harmonica du voyou » appartient au recueil Déchu de Magloire Saint-Aude (Œuvres complètes, Jean Michel Place, Paris, 1998, page 60)
- Toutes les autres citations sont issues de Veillée de Magloire Saint-Aude, (Mémoire d’encrier, Montréal, 2003, 11 pages)

EXTRAIT de Veillée : récit. collection Feuilles Volantes (n°1 et unique numéro), édition revue et corrigée, Mémoire d’encrier, Montréal, 2003, 11 pages.
Éd. originale : Veillée, Impr. Renelle, Port-au-Prince, Haïti, 1956


La morte était couchée dans un lit étroit. Noire et belle, elle semblait dormir, allégée, on dirait, de la peine de vivre.
C’était au Bel-Air, la nuit, dans une ruelle équivoque.
Dans la chambre mortuaire, les assistants étaient comme écrasés sous le poids d’un lourd et mystérieux chagrin. Dans la galerie, les voisins étaient assemblés, et c’était un bavardage à mi-voix entre la mère de la défunte et la baigneuse-de-cadavres. Celle-ci fumait un mauvais cigare, en crachant. Elle halenait l’ail.
On avait chuchoté que la trépassée n’avait pas succombé à la maladie, et l’on assurait qu’elle avait rendu le dernier soupir sans agonie.
Ce n’était pas, disait-on, une mort naturelle.
Comme, dans la galerie, on servait à boire, je quittai la chambre de Thérèse (la mort s’appelait Thérèse), et j’allai m’asseoir, sur l’insistance de la madre, entre cette dernière et la baigneuse-de-cadavres, qui me réclama, aussitôt, avec autorité, du feu pour son cigare. Je fis craquer une allumette, et, en approchant la flamme près du visage de la baigneuse, je remarquai qu’elle avait des yeux de hibou (ou de sorcière), des dents aiguës de bête, des mains horriblement calleuses. Nos regards, vifs comme des éclairs, se croisèrent avant que je fisse face à la serveuse qui me tendait un thé-à-la-canelle. Je bus, puis une rasade de clarin, et du café. Je secouai la cendre de ma pipe, la bourrai, douillet, du merveilleux tabac Splendid, à l’arrière-goût de chocolat.

Source:http://www.uneq.qc.ca/activites-litteraires/commemoration-haiti/magloire-saint-aude-1912-1971/

Sur le même sujet, redécouvrez le texte de Patrice Beray, ici même, sous ce lien.

https://blogs.mediapart.fr/patrice-beray/blog/200408/mon-ode-magloire-saint-aude

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