Il n'aura pas fallu attendre une semaine avant d'entendre les premières incantations post crise des têtes de pont du grand capitalisme français, que ce soit du côté du patronat ou du côté d'un gouvernement capitaliste zélé.
« Reprise économique plein pot, effacement dès 2021 des pertes de croissance de 2020, efforts pour réduire la dette, soutien aux entreprises, zéro faillite, remise en cause du temps de travail, des jours fériés, des congés payés, reproduire de la richesse en masse, mettre les bouchées doubles... ». Mais pour quoi faire ? Pour sauter ce mur somme toute gentillet et foncer vers une nouvelle crise plus grave encore ? Pour effacer les alertes quotidiennes de la Nature qui ne sait plus sur quel ton prévenir l'Homme qu'il marche, depuis 10 ans au moins, au bord d'un précipice mortel, destructeur, irréversible ? Pour mettre un terme rapide à ce sinistre confinement, pause forcée donnant un temps devenu précieux, qui pourrait faire réfléchir les citoyens à ce qui est essentiel, à ce qu'ils veulent vraiment ?
« Reprise économique plein pot, effacement dès 2021 des pertes de croissance de 2020, efforts pour réduire la dette, soutien aux entreprises, zéro faillite, remise en cause du temps de travail, des jours fériés, des congés payés, reproduire de la richesse en masse, mettre les bouchées doubles... ». Mais pour qui ? Pour la poignée d'éternels gagnants d'un capitalisme débridé ? Pour les grands patrons et les actionnaires en quête de rémunérations et de dividendes toujours plus élevés, décorrélés des réalités écologiques et économiques de base, affranchis des notions de long terme, de partage, d'intérêt collectif ?
« Reprise économique plein pot, effacement dès 2021 des pertes de croissance de 2020, efforts pour réduire la dette, soutien aux entreprises, zéro faillite, remise en cause du temps de travail, des jours fériés, des congés payés, reproduire de la richesse en masse, mettre les bouchées doubles... ». Mais comment ? En remettant les gens au travail le plus vite possible afin de limiter la casse économique et de rattraper le temps perdu ? En empruntant des centaines de milliards qui seront suivis d'une austérité certaine touchant comme toujours les plus pauvres et les plus précaires ? En relançant la machine ultra-libérale massivement, pour sauver le PIB, préserver la compétitivité économique mondiale de la France ? En enterrant subrepticement les très timides mesures environnementales récemment décidées (voir ici, ici, ici, ici et là) suite à des années de combat, pour, surtout, ne pas entraver une relance salvatrice, seule sortie de crise envisageable ?
« Voyez-vous, nous sommes obligés à tout cela pour payer le coût d'une crise sans précédent depuis un siècle, pour préserver l'emploi et le niveau vie des Français, pour garder notre rang de 6ème puissance mondiale. Nous avons un devoir de responsabilité, le devoir de préserver l'indépendance de la France, de sauver les nobles valeurs qui fondent notre Nation depuis toujours » nous diront en teneur Geoffroy Roux de Bézieux (patron du MEDEF), Jean-Eudes du Mesnil du Buisson (secrétaire général de la CPME) ou François Villeroy de Galhau (gouverneur de la Banque de France).
Ils eussent pu dire plus simplement « Allez les gueux, retournez bêcher, nous avons déjà supprimé la gabelle ! ». Mais une telle formule ne ferait pas honneur à l'Histoire de France et au rôle primordial qu'ont joué les gens de bonnes manières dans celle-ci. Sur demande discrète et courtoise des intéressés pré-cités, nous garderons ainsi la formulation première.
Nous sommes assurément à un moment majeur de l'Histoire, à un point de basculement écologique, social, et par extension économique. Nous avons très clairement le choix entre, d'un côté, la poursuite d'un modèle mortifère, inéquitable, sans perspectives autres que de nouvelles crises chaque fois plus violentes, et, alternativement, la construction d'un modèle nouveau où tout ou presque est à remettre à plat pour un futur durable, solidaire, respectueux de la Vie dont l'Homme fait partie. Les résistances à la construction d'un tel futur sont massives. Les gagnants du monde qui s'effondre font et feront tout pour le sauver. Leur pouvoir, leur argent, leurs rentes - donc leurs situations et leurs avantages très personnels - sont directement en jeu. Les premières réactions du MEDEF ne font que confirmer cette assertion. Si ces prises de parole choquent, sont majoritairement jugées indécentes, on doit leur reconnaître un mérite, celui de la clarté d'intentions : « Il n'est pas question de renoncer à tout ce que nous gagnons aujourd'hui. D'ailleurs, nous aimerions gagner encore plus ».
On ne peut prêter la même clarté d'intentions à nos dirigeants politiques qui ne savent plus sur quel registre communiquer et promettent à la fois changements inédits et statu quo général. Pétrifiés qu'ils sont à l'idée d'eux-mêmes perdre tout pouvoir, ils ne nous seront d'aucun secours pour construire le monde de demain. Censés représenter le peuple, ils tentent toutefois de donner le change en promettant solennellement un « avant » et un « après », en affirmant la main sur le cœur que « plus rien ne sera comme avant » et que nous sortirons grandis de cette crise « quoi qu'il en coûte ». Ils ont pourtant eux-mêmes très directement contribué à l'état actuel du monde, en déroulant depuis 30 ans des politiques obtuses d'austérité et de rentabilité, méconnaissant, si ce n'est piétinant, les variables nommées « humain », « environnement » ou « long terme ». Des alertes puissantes, nombreuses, répétées, émanant des travailleurs comme des scientifiques ont pourtant jalonné toute cette période. Elles ont été le support de communications politiques toutes plus vertes les unes que les autres mais toutes ont été, in fine, superbement ignorées.
Ironiquement, le château de cartes ne s'effondre pas totalement du fait des quelques filets de protection qui subsistent, non par choix politique de les conserver, mais par manque de temps pour achever leur démantèlement. Car l'entreprise politique globale de ces dernières décennies a - sous couvert de tout rationaliser - conduit à détruire de manière systématique tout ce qui permettait à la société de faire corps, d'être unie, solidaire, résiliente. La seule vraie « guerre » qui ait été menée en France ces dernières années est bien celle-ci : une guerre idéologique et absolue contre les fondements sociaux, humains, environnementaux sur lesquels notre société s'appuyait. Cette guerre a fait des dégâts colossaux et durables dans toutes ces sphères au profit d'un unique vainqueur, l'économie vorace et amorale en quête de profits faciles et court-termistes, « quoi qu'il en coûte » par ailleurs. Ironiquement, ce sont les travailleurs pauvres, peu protégés, sanitairement comme économiquement, qui assurent la continuité des missions essentielles du pays. Ironiquement, nous ne basculons pas dans le chaos grâce aux premiers de corvées qui effacent complètement les premiers de cordée. Entendre Emmanuel Macron et Bruno Le Maire louer les notions d’État-providence, de services publics ou de nationalisations pourrait prêter à sourire si ce qui se jouait en fond n'était pas aussi fondamental, vital, engageant pour les décennies à venir.
Et si donc, pour le pouvoir, pour les puissants, le pire n'était en fait pas le nombre de morts, la gestion contestée de la pandémie ? Si le pire était l'effet d'un confinement strict s'étalant de longues semaines ? L'effet d'une rupture soudaine, imprévue, de la routine « métro - boulot - dodo », du « travaille, obéis, consomme », qui berce les Français - et la plupart des citoyens du monde - dans un état semi-comateux permanent ? Si l'Humanité se rendait compte qu'elle aspire à autre chose qu'à cette fuite en avant effrénée, destructrice et finalement sans but commun ? Si elle réalisait que reprendre ce chemin fait d'habitudes, que vouloir ranimer et relancer ce système moribond, n'avait aucun sens ? Si elle réalisait qu'avoir du temps en famille ou entre amis, le temps de cuisiner, de lire, de réfléchir, d'aider autrui, d'écouter les oiseaux ou de se reconnecter à la nature était profondément ressourçant, et même essentiel ? Et si, comble de l'horreur, le citoyen se rendait compte de son vrai pouvoir, celui d'être créateur du monde de demain sans attendre ni patrons ni gouvernants ? Tout cela semble utopie ? L'arrêt quasi total, en cascade, à l'échelle mondiale, du système capitaliste le semblait tout autant il y a deux mois à peine. Le moment est rare et précieux : c'est certainement lors des grandes crises que naissent les grands virages. Ce moment peut être celui d'une reprise en main de notre futur collectif sur cette Terre.
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Tout est à réinventer, ensemble, et dans des cadres radicalement nouveaux, s'affranchissant des dogmes économiques en vigueur. Le monde d'aujourd'hui est piloté par des indicateurs considérés comme indiscutables alors qu'ils sont arbitraires et purement financiers : PIB, équilibres budgétaires, rentabilité, déficits, etc... La réalité du monde n'est pas qu'économique, elle est infiniment plus vaste, plus riche, et, aussi incroyable que cela puisse paraître, nous l'avons oublié. La Nature et la Vie nous fournissent chaque jour des services inestimables, magiques, gratuits que nous ne voyons même plus. La solidarité humaine, le vivre ensemble joyeux et solidaire produisent des miracles d'efficacité.
C'est vers cette vision du monde bien plus complète, bien plus représentative du réel, bien plus juste qu'il faut aller d'urgence. Ceci n'est pas une utopie. C'est un besoin impérieux, un choix de société, un choix philosophique qui interroge chacun sur ce que veut dire « vivre » au 21ème siècle. Il pleut depuis quelques semaines des centaines de milliards d'euros, virtuels, sans destination parfaitement établie alors qu'aucune ressource n'existait depuis 10 ans pour les hôpitaux, l'assurance chômage, les retraites ou encore la transition écologique. Ces torrents de milliards ont fait exploser en quelques jours à peine tous les ratios financiers usuels, toutes les contraintes qui les encadraient. C'est bien là la preuve que ces indicateurs n'ont plus aucun sens, que cette vision limitée du monde ne peut être la solution à la présente crise. Le changement de monde ne se fera certes pas sans argent, pas sans reconsidérer les notions d'investissements, de dettes ou de déficits. Mais ces montagnes hallucinantes de monnaie ne devraient-elles pas être réorientées vers des choix audacieux, courageux, novateurs, qui prennent l'économie pour ce qu'elle est fondamentalement, un simple outil ? Car l'économie d'aujourd'hui n'est plus un moyen « au service de... ». Ce qui était un moyen est devenue une finalité, un système auto-centré qui n'existe funestement plus que pour lui-même. C'est précisément ce schéma fou, insensé, sans limite, qu'il faut stopper pour remettre l'économie à sa juste place et la considérer comme une variable parmi tant d'autres, au service d'un projet global et durable.
L'heure est venue de réfléchir aux grands changements de demain, à leur planification et à leur mise en place opérationnelle. L'impôt et la fiscalité doivent être repensés pour être directement mis au service d'un projet collectif désirable, conciliant l'écologie, le social, le sens, la joie et le temps long. Des mécanismes modernes, appuyés sur des domaines clés non économiques, tels que l'utilité sociale ou l'empreinte environnementale par exemple, doivent rapidement devenir des outils incitatifs du quotidien. Enfin, ne serait-il pas l'heure de mettre en place une taxe sur les transactions financières, un revenu universel, de lutter réellement et mondialement contre la fraude fiscale ou les innombrables schémas de défiscalisation légale ?
Car il y a bel et bien de l'argent dans nos pays riches ; le système actuel le fait simplement massivement fuiter vers des intérêts privés, concentrés, bien loin d'un ruissellement juste et équitable. Dès lors, l'enjeu n'est absolument pas de relancer la machine à toute vapeur pour dégager des richesses nouvelles qui atteindraient supposément une cible devenue vertueuse. Ces richesses nouvelles ne sont que chimères capitalistes puisqu'elles ne financeront qu'une partie des « surdégâts » engendrés par un surrégime encore plus destructeur. Ces « richesses » économiques portent en elles tant de dommages écologiques et humains qu'il convient de s'interroger sur la pertinence même du mot « richesses ». Partant, quel autre choix reste-t'il que de remettre le fleuve d'argent existant dans son lit normal, celui qui devrait irriguer l'ensemble de la société, porter un projet collectif partagé, heureux, durable ? De nombreuses pistes existent déjà et des schémas radicalement nouveaux peuvent émerger. Il s'agit simplement de les vouloir, de les faire naître réellement, de les accompagner sans verser dans un dogmatisme nouveau.
Le MEDEF et les profiteurs du capitalisme nous demandent aujourd'hui de les aider à faire repartir la machine, de plus belle, sans corriger ses défauts structurels chaque jour plus mortifères. Ils nous demandent pour cela de travailler toujours plus avec toujours moins de protection. Comble de l'indécence et de l'arrogance, ils nous demandent en outre de payer les conséquences de cette crise alors qu'eux-mêmes ont amassé des profits colossaux en poussant le système dans ses derniers retranchements. En somme, ils nous demandent, très aimablement, de prolonger, de renforcer, sur une base volontaire et consciente, l'asservissement et la destruction de l'homme et du vivant à leur seul profit, insatiable par nature.
Nous, citoyens, aurons aussi le mérite de la clarté.
Notre réponse est, très aimablement, « Non, nous ne retournerons pas dans ce système sans avenir pour l'Homme et la Nature ».
Notre réponse, est, plus prosaïquement, « Allez-vous faire foutre ».
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Je référence ci-dessous quelques extraits choisis des deux Adresses à la Nation prononcées par E. Macron, respectivement les 12 et 16 mars 2020. L'Histoire jugera si ces discours a priori radicaux - dans le sens le plus noble du terme - seront suivis d'effets ou ne resteront qu'effets de manche et communication politique de circonstance.
« C'est cela, une grande Nation. Des femmes et des hommes capables de placer l'intérêt collectif au-dessus de tout, une communauté humaine qui tient par des valeurs : la solidarité, la fraternité ». E. Macron - 12/03/20.
« Mes chers compatriotes, il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s'est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. Ce que révèle d'ores et déjà cette pandémie, c'est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d'autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai ». E. Macron - 12/03/20.
« Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes : nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une autre Nation. Mais l'ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale ». E. Macron - 16/03/20.
« Nous gagnerons, mais cette période nous aura beaucoup appris. Beaucoup de certitudes, de convictions seront balayées, seront remises en cause. Beaucoup de choses que nous pensions impossibles adviennent. Ne nous laissons pas impressionner, agissons avec force, mais retenons cela, le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant. Nous serons plus forts moralement. Nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences. Toutes les conséquences. Hissons-nous, individuellement et collectivement, à la hauteur du moment ». E. Macron - 16/03/20.