Quelle est la situation ?
Après le relatif échec des manifestations contre le démembrement du code du travail, Macron pensait pouvoir passer en force pour imposer sa vision Thatcherienne de la société. Car contrairement au "en même temps" dont il nous a abreuvé pendant sa campagne (on vient de réentendre sur France Culture un discours à des CM2 dans lequel il expliquait que la droite c'était la liberté sans l'égalité et la gauche l'inverse...!), l'équilibre entre liberté et égalité qu'il annonçait n'était bien que poudre aux yeux. Le but, maintenant clairement affiché, était donc une libéralisation totale du pays qui passe d'abord par une privatisation complète des services publics comparable à ce qui s'est passé au Royaume-uni. Et suivant en cela l'exemple de Thatcher, une fois le premier test du code du travail réussi, il voulait "rentrer dans le dur" c'est à dire laminer une bonne fois pour toute tout pouvoir syndical pour avoir ensuite les mains libres.
En Angleterre, Thatcher, pour ce faire, s'en est pris au mineurs. C'est là que les syndicats étaient les plus puissants et effectivement, par un effet de dominos, tout le reste de la société est "tombé", a remisé ses revendications et courbé l'échine après cette première victoire. En France ce sont les cheminots qui sont depuis toujours le fer de lance des luttes sociales ; les seuls qui avec les lycéens et étudiants ont pu faire plier maints gouvernements. Mais si en 1995, Juppé a reculé, c'est que les cheminots n'étaient pas seuls, justement. Qu'on se le rappelle, toute la presse parlait à l'époque de "grève par procuration", en particulier du secteur privé qui, bloqué par un patronat prêt à faire payer cher toute contestation grâce à la libéralisation (déjà) du droit du travail, craignait pour ses emplois. De même les manifestations étudiantes de 1986 ont vu le retrait de la loi Devaquet qui instaurait (déjà) la sélection à l'entrée à l'université, non seulement à cause de la mort de Malik Oussékine tué par les "voltigeurs" de Pasqua de triste mémoire, mais aussi parce que le mouvement commençait à s'étendre au secteur privé.
Fort heureusement pour nous, la société française est plus solidaire et moins individualiste que la britannique et Macron risque fort de s'y casser les dents. La cartouche gouvernementale consistant à désigner des "privilégiés" pour diviser la société a fait long feu. Il semble que les français ne soient, dans leur majorité, plus dupes et aient bien compris qui sont les vrais privilégiés de ce "président des riches", une étiquette qui devient pour Macron le sparadrap du capitaine Haddock. Mais comme le montrent les exemples précédents, il ne suffira pas d'une solidarité verbale ou sondagière pour faire reculer un gouvernement qui joue là son va-tout politique. C'est aussi bien financièrement (pour leur permettre de tenir dans la durée) que physiquement dans les manifestations qu'il faudra se trouver aux côtés des grévistes pour faire plier ceux qui croyaient leur heure venue.
Car soyons clair, si le mouvement n'est pas massif et déterminé, s'il ne s'étend pas à la jeunesse, si le privé reste à l'écart et si les cheminots sont isolés et perdent la partie, c'est tous les services publics, éducation et santé en tête, qui vont être dépecés et mis à l'encan. L'état dans lequel se trouve l'hôpital public en fait un fruit mur prêt à tomber et les réformes en cours dans l'éducation (lycée, baccalauréat au rabais et sélection via Parcoursup) ont déjà mis en place les outils d'une désorganisation qui mène tout droit au démembrement (voir aussi ici). Les trois mois à venir sont donc cruciaux pour l'avenir de la société et c'est maintenant qu'il faut agir. A chacun de prendre sa part du travail.