Mathieu Magnaudeix et Mediapart ont consacré deux articles à la souffrance au travail: Une femme à l'écoute, à partir de l'exemple du Docteur Marie Pezé, et «Vous ne souffrez pas, vous venez de rencontrer un risque psychosocial» très documenté et d'une actualité brûlante.
Jean François Bolzinger , secrétaire général adjoint de l'UGICT CGT revient dans l'Humanité de samedi 6 septembre sur cette évolution dramatique:"Réconcilier le management et l'éthique professionnelle."
Voilà prés de 10 ans, en tant que délégué du personnel, d'une grande entreprise du CAC 40, j'ai appris ce qu'était le harcèlement professionnel, en recevant des collègues en pleine déprime, menacé de perdre leur travail.
Nous avons alors décidé de nous documenter en lisant les classiques le Mobbing , la persécution au travail de Heinz Leymann, puis nous avons eu la chance de rencontrer Jean Pierre Le Goff qui venait de publier la barbarie douce (la modernisation aveugle des entreprises )
Avec ces outils intellectuels, nous avons tenté d'aider nos collègues en grande détresse psychique et morale. Notre premier souci reste de réconforter, de redonner confiance à ces femmes et hommes détruits psychologiquement par un harcèlement systématique et ciblé. Nous les écoutons, parler, dire leur souffrance les aide énormément, c'est le premier pas.
Ensuite nous les conseillons, que veulent ils faire? rester ou partir? sont ils prêts à se battre? quelles sont les techniques utilisées?
Dix ans plus tard nous avons beaucoup progressé, mais le mal: les techniques de destruction psychologiques sont plus sophistiquées, insidieuses, le management a été formé à la pratique du harcèlement. Certains managers s'épanouissent dans ce rôle détestable. Ils en sont récompensés.
Pourquoi? Pour une raison simple, le management est devenu plus qu'une technique, une idéologie totalitaire. Avec sa culture d'entreprise abstraite et déconnectée de l'histoire de l'entreprise, avec ses objectifs de rentabilité à outrance, qui peut croire raisonnablement qu'une entreprise peut durablement afficher un rendement du capital de plus de 15% après impôts? Cela n'est possible, qu'en réduisant les coûts drastiquement, et d'abord la masse salariale, en dégraissant.
La création de valeur pour l'actionnaire est un devenu un des commandements de management. L'entreprise qui est une communauté d'intérêts composée de femmes et d'hommes, les salariés et leur savoir faire, de capital, localisée dans une région, un pays, ne peut se réduire aux seuls intérêts des détenteurs du capital. En fait les principaux actionnaires et les dirigeants actionnaires.
C'est pourtant ce qui se passe, le bon manager doit réduire les coûts salariaux au maximum, les cotisations socialesainsi que les impôts par tous les moyens, vendre les produits et services au coût le plus élevé possible, au mépris du client roi, pour créer de la valeur pour l'actionnaire, rémunérer le capital à 15%, 20%, 25%.
Tout cela a un coût social: le chômage, la baisse ou la stagnation des salaires, pour réduire le nombre de salariés au moindre coût la meilleure méthode est le Mobbing, le harcèlement professionnel, la destruction psychologique du salarié(e) sélectionné. (e)., La maladie, voire l’invalidité accordée par l’assurance maladie. Ce coût, la victime le paie au prix fort : déprime, mal être, perte de l’estime de soi, perte de l’emploi, ou placardisation jusqu’à ce qu’elle craque physiquement ou psychologiquement, somatise ou se suicide, ou voit son équilibre psychologique gravement perturbé, ainsi que sa vie privée..
Comment notre monde qui se veut un exemple de liberté et de démocratie, tolère t il, accepte t il ? ces pratiques qui relèvent de la torture psychologique ?
Pourquoi la loi sur le harcèlement est ellesi peu efficace ?
La raison est simple, les grandes entreprises, les CAC 40, sont très bien organisées, leur direction de la communication veille au grain, on devrait dire direction de la « propagande » pour étouffer tout problème, tout suicide pour enfumer l’opinion..
Les directions des ressources humaines, qui selon l’éthique de base devraient s’opposer à de telles pratiques, non seulement les tolèrent et mêmesouvent les encouragentet organisent par la formation de ses managers. La sémantique est d’ailleurs éloquente : de direction du personnel, au temps où les salariés étaient des personnes, nous sommes passées à la Direction des relations humaines, pour aboutir à la direction des ressources humaines, la personne est réduite à sa valeur d’usage : une ressource, qui est jetée ou recyclée lorsqu’elle a fait son temps.’
La direction des ressources humaines ne s’intéresse qu’aux cadres à haut potentiel, pour les autres salariés,elle tient le rôle de la police, veille au maintien de l’ordre, à la surveillance des syndicalistes, organise leur intimidation ou les apprivoise.
Voilà ce qu’est devenue l’entreprise, ce lieu idéal selon les théologiens du Medef et les croisés de la dérégulation, de la flexibilité du marché du travail. Jean Pierre Le Goff résume cette évolution d’une formule à méditer »la barbarie douce. », nous les femmes et hommes de terrain nous l’appelons le totalitarisme tranquille.
La loi sur le harcèlement n’est pas appliquée, d’autant plus qu’amendements après amendements elle a été vidée de son sens.
Il ne reste que la lutte collective, la lutte au grand jour, comme nous disons aux salariés qui viennent nous consulter, vous êtes les dissidents de nos belles démocraties exemplaires où règne les droits de l’homme dans leur version abstraite.
D’ailleurs des sociétés de consultants ont été fondées pour noter le caractère social de l’entreprise, l’ennui comme l’a dit Marc Ladreit de la Charrière, c’est que certaines de ces sociétés ont à leur capital les entreprises qu’elles notent ! la lutte se poursuit, notre meilleure protection est que les médias s’intéressent à la vie réelle dans la grandeentreprise, et non celle fantasmée qui fait l’objet d’article élogieux sur la nécessaire modernisation , le respect des lois (naturelles) de l’économie et du marché !
Jean Bachèlerie
Bibliographie :
Heinz Lehmannle mobbing: la persécution au travail Le seuil
La barbarie douce Jean Pierre Le Goff La découverte
Le Mythe de l’entreprise« «
Les illusions du management«
Pascale Molinier Les enjeux psychiques du travail
Christophe Dejours Souffrance en France,
Vincent de Gaulejac La société malade de la gestion : Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social, Le seuil (visiter le site)
Paul Ariès,Harcèlement au travail ou nouveau management, éditions Golias, 2002.
Marie Pezéle deuxième corps,
Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés - Journal de la consultation "Souffrance et Travail" 1997-2008 ,village mondial
Sites : www.psychologue-travail.com/medias
www.INRS.fr
www.vincentdegaulejac.com/
Filmographie :
Violence des échanges en milieu tempéré Film de Jean-Marc Moutout avec Jérémie
Renier, 2003
Ressources humaines Film de Laurent Cantet avec Jalil Lespert, 1999.