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Billet de blog 20 octobre 2023

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Pendant les massacres en Palestine/Israël, que se passe-t-il en France? Quelques éléments d'analyse qu'il faudra affiner et poursuivre.

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Pendant les massacres en Palestine/Israël, que se passe-t-il en France? Quelques éléments d'analyse qu'il faudra affiner et poursuivre.

L'actualité quotidienne est connue de tous, les médias se chargeant de lui donner publicité et amplification: actes antisémites, soupçons à l'égard des musulmans en France, polémiques — pourtant évitables (1) — sur le caractère terroriste du Hamas après les tueries abjectes du 7 octobre, criminalisation de la solidarité avec le peuple palestinien, soutien sans nuances à Israël, empathie sélective vis à vis des victimes. L'assassinat de Dominique Bernard de la part d'un fanatique a surdéterminé les débats un peu partout.

Pendant ce temps, il me semble que nous assistons à l'installation, ou à la continuation sur un mode accentué, d'un état d'esprit piloté depuis le Ministre de l'intérieur, qui est lourd de conséquences pour la démocratie, pour le débat politique. Dans Mediapart on a interrogé les manœuvres à propos de la prononciation ou non du mot "terrorisme" (2). Darmanin est en train de tester le délit d'abstention de prononciation du mot, en l'identifiant à son  apologie ( voir le cas de la députée Danielle Obono). Dans la même veine, il tente la même opération à propos de l'assassinat de Dominique Bernard: ne pas en parler sur Twitter équivaut à l'approuver (voir l'agitation autour de Karim Benzema). Darmanin fait faire un progrès à la pratique du contrôle de l'opinion. Jusqu'à maintenant les États se préoccupent de l'opinion publique et ont recours à la censure, directe, ou plus subtile, d'opinions une fois énoncées. Maintenant, on vise des opinions privées non énoncées. On ne censure plus (on a encore la latitude pour le faire), on incrimine une intention qui ne s'est pas manifestée. Ce genre de pratiques est assez courants entre particuliers dans des discussions qui tournent vite à la bagarre, à table, au bistrot, devant la machine à café. Darmanin l'importe dans une parole ministérielle, soumettant des individus à la vindicte publique et agitant l'action répressive de l'État contre ceux-ci. Nous sommes dans cette situation: un ministre de la République se permet de décider de ce qui doit être dit, ce qu'il est obligatoire de dire, forçant les consciences à exprimer une opinion. Or en République laïque, on a le droit de ne pas avoir d'opinion, d'en avoir et de juger qu'il ne convient pas d'en faire état, ou de penser qu'on manque de mots pour dire ce qu'on pense, ce qu'on ressent, et même qu'on en a une qui est manifestement contraire à l'opinion dominante et qu'on estime plus prudent de taire.  On peut parler d'un attentat à la liberté de conscience, d'une obligation d'opiner. Que des acteurs de la sphère médiatico-politique et des politiques  jouent de cet outil pour discréditer des adversaires, ce n'est pas nouveau. Ce qui l'est c'est que l'État qui se dit État de droit, républicain, laïque et social, par l'un de ses ministres-piliers, dirige sa puissance sur les pensées, pire, les intentions privées, intimes des personnes. 

Ce comportement n'est pas uniquement le fait du Ministre, même s'il nous a habitués à prendre des positions obscènes (comme dire "quand j'entends violences policières, j'étouffe", après la mort de Cédric Chouviat) ou à la limite de la légalité (participation à une manifestation de policiers devant l'Assemblée nationale dénigrant la justice ou la non condamnation des propos du Directeur de la police nationale s'émouvant de l'incarcération de policiers). La loi confortant le respect des principes de la république, dite anti séparatisme (2021), contient une disposition inquiétante: "La loi « confortant le respect des principes de la République » introduit la possibilité pour les préfets de demander la suspension de l’exécution d’un acte d’une collectivité qui porterait gravement atteinte « aux principes de laïcité et de neutralité des services publics ». Après une saisine du préfet, il revient au juge de décider de suspendre ou non la décision mise en cause." (Résumé Wikipedia). Un décret est pris pour l'application du contrat d'engagement républicain des associations et fondations bénéficiant de subventions publiques ou d'un agrément de l’État. Un des effets de ce décret a été l'invocation du contrat d'engagement républicain par le Préfet de la Vienne, pour demander le retrait de subventions attribuées au groupe de Poitiers du mouvement Alternatiba, au motif qu'il organise une formation à la "désobéissance civile non violente". Porter atteinte à la laïcité: on sait, avec les décisions récentes sur l'abaya, que le fait de porter atteinte à la laïcité (laquelle?) est discutable et discutée. Pendant combien de temps pourra-t-on encore argumenter contre et critiquer l'usage discriminant et répressif que ce gouvernement fait de la laïcité? Doit-on dorénavant s'aligner sur les justifications apportées pour interdire tel vêtement? Qui ne voit que se met en place en France un étouffement du débat contradictoire? 

On ne cherchera pas à qualifier la forme que cherche à prendre la République française, sa pente tendancielle: autoritaire, populiste, illibérale, hostile aux libertés publiques, policière, discriminante,  etc. De tout cela un peu sans doute. Quoiqu'il en soit, nous sommes confrontés à une question, un problème que devrait se poser l'opposition de gauche: comment empêcher la constitution insidieuse de ce que faute de mieux j'ai appelé un "état d'esprit politique-"?, favorisée par la menace réelle d'attentats et l'exacerbation du besoin de sécurité à tout prix? Vieille question,  vieux procédé des pouvoirs partout dans le monde, profiter d'une conjoncture menaçante, inquiétante, pour désigner des boucs émissaires et réduire les libertés publiques, faciliter l'action répressive y compris violente et impunie de la police. Il est possible que la prochaine élection présidentielle voie s'affronter au deuxième tour Le Pen et ... Darmanin (ou leurs avatars). Que ferons-nous alors?

(1) Je me permets de renvoyer à mon billet https://blogs.mediapart.fr/jean-claude-bourdin/blog/181023/terrorisme-un-nouveau-shibboleth

(2) Voir  https://blogs.mediapart.fr/laurent-cugny-et-renaud-barbaras/blog/191023/questions-sur-la-se-mantique-du-mot-terroriste

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