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Billet de blog 1 mars 2009

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Le Diagnostic : 5 -les maladies françaises (suite)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

1. Les limites syndicales du mouvement social :

Le syndicalisme est l’un des corps intermédiaire historiquement fondateur du mouvement social. En s’inscrivant dans la logique de la négociation, l’action syndicale présuppose la reconnaissance réciproque de leur légitimité respective par les négociateurs.

Elle induit conséquemment le respect par les mouvement syndicaux de l’inéquitable répartition des ressources et des richesse comme condition nécessaire aux principes même de la négociation, et de leur propre existence ; et l’engagement dans la dynamique de cogestion présuppose l’acceptation implicite des valeurs fondatrices du système en place.

Indispensable en tant qu’outil de la régulation sociale et de la modération des injustices sociales, le mouvement syndical ne peut donc conduire l’animation du mouvement social comme moteur et expression de son émancipation du système des valeurs dominantes.

2. La déstructuration de la société civile en France:

La disparition des corporations qui a accompagné la chute de l’ancien régime, outre qu’elle a justifié ultérieurement le transfert progressif vers les finances publiques du poids de la formation des travailleurs (cela pourrait faire l'objet de développements spécifiques), a surtout suscité la création progressive de nouveaux corps structurant la société civile ; ce sont en gros toutes les composantes de ce qu’il est aujourd’hui communément accepté d’appeler : « l’économie sociale et solidaire » : associations, syndicats, mutuelles, et ordres professionnels (survivance des corporations pour les professions libérales).

Comme les anciennes corporations, ces organisations ont pour fonction d'instituer, ce sont des « institutions » ; cette fonction est à la fois normative et éducative, il s'agit donc de produire à la fois : du sens (de la norme, des références, des valeurs) et de l'adhésion au sens.

La coexistence et l'emboîtement de ces corps entre eux, offrent aux individus une alternative à l'anonymat du statut générique de citoyens. Espaces de l'engagement volontaire, de l'identification, de la différenciation, de la prise en charge et de la solidarité, tout à la fois et indissociablement, ces institutions permettent en gros à la société de tenir, au « faire société » de ce constituer, autour d'un point d'équilibre entre l'individu libre et le citoyen anonyme soumis à la loi. Et c'est cet équilibre qui produit me semble-t-il le consensus ou contrat social du vivre ensemble. Entre le pouvoir politique et ses instances d'un côté, la multitude des citoyens isolés de l'autre, ces institutions sont les corps intermédiaires par lesquels s'instaure et s'enrichit en permanence le dialogue civil, et par lesquels se consolide le projet démocratique. En leur absence, ne restent : que le populisme, le clientélisme et le plébiscite, soit le très court chemin qui va de la République à l'Empire.

Il n'est pas neutre que le concept d' « économie sociale et solidaire » soit venu à ce moment du développement du capitalisme dévoyer en quelque sorte ces institutions et remplacer celui de « corps intermédiaires », peut être moins élégant mais tellement plus juste.

Il y a là plusieurs supercheries:

· Celle d'abord qui consiste à concéder démagogiquement à un tiers secteur (entre public et marchand) toutes les activités (de services) que le marchand ne peut rentabiliser et que le contribuable ne veut pas financer, en faisant croire à ce tiers secteur que là est la seule légitimité de sa survivance.

· Celle ensuite, déductible de la première, selon laquelle là est sa seule chance de survie et se faisant de l'entraîner dans le culte du négoce. Autrement dit de le détourner de ses fonctions légitimes et légitimantes, et de le corrompre.

· Celle aussi qui consiste conséquemment à accréditer implicitement l'inutilité des 2 fonctions originelles: créer du sens et de l'adhésion au sens.

· Celle enfin qui permet de suggérer tout aussi implicitement : que les services ainsi marchandisés ne relève pas de l’intérêt général et donc de l’intervention publique (qui peut tout à fait être déléguée, mais qui reste néanmoins soumise au principe de l’égalité d’accès au nom de l'égalité des droits).

Moyennant quoi l'engagement des corps intermédiaires sur les voies de l'économie sociale et solidaire participe de l’enfermement culturel généralisé de la société dans le négoce, en supprimant en réalité les lieux de production du sens, c'est à dire les bouillons de culture, les matrices possibles de l'alternative.

Le phénomène n'est pas neuf, il est même contemporain de la naissance de ces corps intermédiaires, le virus étant dans le fruit dès les origines, excepté pour le mouvement associatif, fondé sur l’une des 2 lois miraculeuses de notre république : la loi de liberté de 1901. (L’autre, de 1905, dite « de séparation des églises et de l’état » étant également une loi de liberté.)

Le mouvement associatif reste ainsi le dernier corps intermédiaire encore potentiellement fonctionnel au regard de ces fonctions originelles, mais déjà très affaibli par son aspiration inéluctable par la dynamique du négoce gestionnaire, vers la normalisation marchande.

L’engouement, et la débauche de communication actuels pour « l’économie sociale et solidaire », n’est que l’achèvement de ce processus de normalisation, et de réduction du dernier bastion de résistance instituée, sur un fond ambigu, moralisateur, humaniste et caritatif à la fois que résume assez bien les concepts de « société de service » et de « services à la personne » (utilisés à la fois au sens « d’entreprise de service » et de « civilisation du service », sous entendu « marchand »).

La traduction immédiate de cette normalisation du mouvement associatif est son atomisation.

Ses structures fédératives sont en effet juridiquement hors jeu, incapables de s’inscrire, en tant que ce qu’elles sont, dans les jeux du négoce et de répondre à leurs exigences, c'est-à-dire aux jeux de la négociation et de la contractualisation marchandes sans abandonner leur liberté de parole et d’action, c'est-à-dire leur objet. Or ces fédérations en charpentant le mouvement associatif lui donnent sa lisibilité et lui permettent tout simplement de jouer son rôle de corps intermédiaire. Leur disparition en tant que telles est une hypothèse sérieuse à court terme.

Et à maints égards, c’est l’une des atteintes sérieuses à notre démocratie républicaine actuellement à l’œuvre.

Il faut à ce point ouvrir une parenthèse au sujet du concept de « démocratie participative ». Ce concept illustre parfaitement toute l’ambiguïté de la situation actuelle, qui veut que les leaders politiques de gauche fassent assaut d’initiatives et d’imagination pour faire vivre une soit disant participation citoyenne en oubliant (et ce faisant en précipitant sa disqualification) que le mouvement associatif est par définition l’outil naturel mais aussi le plus efficient de cette participation des citoyen au débat public. Il n’est certainement pas utile de perdre du temps à inventer l’eau tiède, par contre il est certainement indispensable de penser rapidement à la réchauffer, il commence à geler.

Suite et fin

Introduction

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