(Ce billet après avoir suivi, en particulier les échanges suscités par celui de Sycophante.)
Tous les débats relatifs à la "laïcité" (à la française) auxquels il nous a été régulièrement donné d'assister ou de participer au sein du club, généralement en réaction à des faits d'actualité, souffrent je crois d'un effet assez désastreux de décontextualisation du texte de référence qu'est la loi de 1905 pour la bonne compréhension du sens (la direction donnée) qui est le sien au delà de la "lettre".
Le remarquable et très utile billet de Sycophante, comme les travaux de Peña-Ruiz ou de Baubérot auxquels il se réfère logiquement, participe pourtant de cette décontextualisation. Et il est tout à fait symbolique par exemple que s'invitant sous le titre "La Laïcité : ce qu'elle est, ce qu'elle n'est pas..." à nous le dire, Sycophante en vienne en fait à nous dire : ce qu'est ou n'est pas la loi de 1905. Or ce n'est pas tout à fait la même chose, et ce n'est pas par hasard.
Tous élèvent cette loi au rang de fétiche intouchable, non sans raison relativement à la fonction historiquement pacificatrice qui a été la sienne (comme le rappelle fort justement d'ailleurs Sycophante, citant Aristide Briand, commentateur autorisé s'il en fut) ; pacification stratégiquement et circonstanciellement à l'avantage des "républicains" dans un moment où la république "restait en danger" face aux menées des tenants du retour à l'ancien régime adossés à l'hégémon de la sainte église catholique.
Mais ce faisant, ils passent je crois à côté du sens ou plutôt, de la "portée historique" de ce texte qui, il n'y a aucune raison objective d'en douter, s'inscrit dans la dynamique de sécularisation des sociétés, et comme une étape majeure de ce processus de sécularisation, par son "effet de cliquet".
J'entends par là, qu'après la loi de 1905, il n'est plus possible de revenir "comme avant", c'est à dire en arrière.
C'est à ce titre "seulement" que cette loi mérite me semble-t-il d'être si ce n'est vénérée, du moins âprement défendue. A l'égal de la "déclaration des droits", sa vertu principale a été, et reste, fondamentalement "pédagogique", elle ne peut entrainer que l'adhésion. C'est ce que confirme l'unanimisme des déclaration d'allégeance dont elle est aujourd'hui l'objet, en dépit de nuances aux arrières plans souvent incompatibles avec l'esprit même de la loi.
Mais, et c'est sa seconde et plus grande vertu, cet "esprit" et la pédagogie qu'il induit ne sont pas neutres en dépit des apparences.
Instituant la neutralité de l'état à l'égard de toutes les religions, et le principe d'un "intérêt général" supérieur à toutes leurs prescriptions, elle les place de facto :
- d'une part, en position d'objets (et non plus de sujets) de la "chose publique", et de la "puissance publique" qui en émane,
- d'autre part et corollairement sur un pied d'égalité incompatible avec leurs aspirations concurrentes à l'éternité, adossées à leurs essences prosélytes également et par nature concurrentes, ou pour le judaïsme, à son "élection" prétendue.
Moyennant quoi, et en dépit de ses exégètes reconnus, cette loi signe bien l'arrêt de mort de dieu... à terme. Elle est incontestablement le produit contextualisé dans cette France du XXème siècle naissant, du long processus encore en devenir "d'athéisation" de l'humanité entière, lui même comme composante essentielle du processus d'hominisation (soit l'acception à venir, dégagée de tout l'héritage déiste historique qui l'encombre encore aujourd'hui, de ce qu'est au fond "l'humanisme" justement compris).
Et c'est inadmissible du point de vue de tous les déismes.
Le discours de tolérance et le droit positif adossés au principe de laïcité sont donc parfaitement légitimes en tant qu'ils permettent à la majorité d'accepter l'inadmissible et nous préservent autant que faire ce peut d'affrontements violents.
Pour autant ils ne sauraient voiler la réalité et nous transformer en bisounours, "l'humanité" ne s'accomplira pas à l'ombre des idoles... et l'inadmissible demeure pour les agitateurs d'idoles et le bénéfice de l'irresponsabilité nationale.