Polémique, censure et interdits à propos des critiques de Vaincre ou Mourir
Détester fait du bien, au moins à celui qui déteste. On peut frôler la diffamation sans encourir la sanction judiciaire ; on est pardonné des excès de langage, même les plus vulgaires ; on peut être de la pire mauvaise foi ; bref, on est excusé par avance d’avoir franchi la ligne jaune un peu comme la justice « d’avant » excusait le mari qui avait tué l’amant de son épouse – voire l’épouse avec.
Sous ce rapport, la détestation devrait figurer parmi les droits de l’homme (et de la femme) ; car cela permettrait de l’encadrer par la loi, d’en préciser l’usage et de demander des comptes au « détestateur » détestable, l’obligeant à justifier ses condamnations et le confrontant à ses oublis et à ses a priori.
L’exemple est donné par l’accueil du film Vaincre ou Mourir par deux médias, Ecran large et Libération qui n’ont pas lésiné sur la vidange des fosses d’aisance (« vomi », « chier », « puant ») ou sur les allusions en tout genre (où sont « les bons prêtres ? Emprisonnés pour pédophilie? »). On peut critiquer le film sur son introduction inutile, sa fiction elliptique, ses omissions, notamment de la complexité des armées vendéennes ou pire des massacres de Machecoul commis par les Vendéens, avant que Charette n’en prenne la tête. On peut relever qu’on lui fait signer le traité de paix de 1795, ce que le vrai Charette n’a pas fait ! Si le film avait respecté la réalité, parions que les critiques auraient accusé Charette de bafouer sa parole en bon catho-réac...
Reste qu’on ne peut pas dire que le Charette du film soit un héros sans peur et un martyr impatient. Le bref échange avec le général Travot qui commande le peloton d’exécution remet les choses en place : chacun sait qu’il aurait pu être à la place de l'autre – ce d’autant plus que l’histoire sait que Travot sera plus tard condamné à mort et emprisonné d’une façon abominable. Quel général, quel combattant, quelle personne engagée dans une vraie guerre n’assume pas le risque et n’accepte pas la mort sans rien dire ?
Qu’on ne reproche pas au film les scènes d’incendie ou de dévastation. Pardon de le rappeler, mais c’est au bas mot 200 000 personnes qui ont été tuées ou ont disparu pendant cette guerre et le mot « génocide » n’est pas le sous-texte de ce film. Ce n’est pas parce que Philippe de Villiers (père donc) l’emploie et le rappelle sur CNews que les réalisateurs en font un message subliminal. Le dossier pédagogique prend même explicitement ses distances avec la thèse du « génocide ». Je remarque que personne n’a réclamé que les discours de Barère appelant à « exterminer les rebelles de la Vendée » (du 1er août et du 1er octobre 1793) n’aient pas été mis en scène. Je redis aussi qu’au même moment une guerre encore plus effroyable se déroulait à Saint-Domingue (futur Haïti) provoquée par la révolte des esclaves.
Quel est donc l’enjeu exact de ce film ? Qu’il ait été produit par des groupes hostiles à la Révolution, voire à la République, certainement à la démocratie est une chose, mais qui empêche que les partisans de l’un ou l’autre de ces éléments, voire des trois, à se coller à l’histoire de la guerre de Vendée vue par la République ? J’attends toujours le film qui traitera cet épisode du point de vue des « républicains », notamment du point de vue des sans-culottes partis en Vendée que leurs généraux envoyèrent dans des combats mal préparés, en leur permettant l’usage des pires violences et en les abandonnant à leur sort le cas échéant. Comment ces scènes seront-elles tournées ? et comment seraient-elles reçues ?
Si les enfants des écoles ne sont pas armés pour voir le film à qui la faute ? Faut-il interdire le film au moins de 18 ans – ou au moins de bac plus 5 - ? J’avoue ne pas me sentir responsable, ayant tenu à montrer, depuis près de quarante ans, l’énormité des massacres et les conditions dans lesquels ils ont été commis. On peut certes invoquer la responsabilité des forces obscures de la catholicité malfaisante, cela n’excuse pas l’incapacité à produire des récits cohérents pour les contrer.
Quand va-t-on arrêter ces bouffonneries où les stéréotypes les plus éculés ressortent comme de vieilles marionnettes trouvées au fond de malles abandonnées. Ce n’est pas parce que des personnages importants tiennent des propos très contestables et délibérément polémiques qu’il faut les imiter pour entrer dans des débats stupides. Nous avons besoin de revenir aux faits, de rappeler que la guerre de Vendée est née d’une rivalité désastreuse entre révolutionnaires et que tant que la République n’admettra pas, simplement, cette réalité – que les Républicains de 1880 connaissaient et dénonçaient – nous garderons toujours cette plaie purulente grattée évidemment par ceux qui se rangent du côté des victimes, position à la mode.
Qu’on ne me dise pas que c’est impossible : en 1974 le film destiné à la télévision La bataille de Cholet, réalisé par Turenne et Costelle, avait intercalé des séquences documentaires (notamment l’interview de François Furet) dans une trame fictionnelle donnant une lecture lucide et sans tabou de cette guerre. On ne va pas remonter le temps, mais au moins on pourrait espérer en rester le maître.
Jean-Clément Martin
10 février 2023