Pour comprendre ce qu'a été et ce qu'est la russification en Ukraine, il faut connaître l’histoire de l’Ukraine. En fait la nationalité ukrainienne est très ancienne. Elle commence vraisemblablement au XVIIème siècle. Des personnalités connues comme le peintre Ilya Répine (1844-1930), l’écrivain Nicolas Gogol (1809-1852) ou le musicien Piotr Ilitch Tchaïkovsky (1840-1893) revendiquaient cette nationalité. Sans remonter jusqu’au XIXème siècle, nous allons examiner l’histoire récente de l’Ukraine, à partir de sa déclaration d’indépendance.
L’autonomie de l’Ukraine a été proclamée le 23 juin 1917 par la Rada centrale d’Ukraine. Voici un extrait, de l’Acte universel (proclamation-loi) adopté par la Rada. Je l’ai trouvé dans le Chapitre IV d’un livre intitulé « La politique de la France à l’égard de l’Ukraine ».
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Voilà donc bien la déclaration d’indépendance de l’Ukraine récente qui, contrairement à ce que dit Poutine, ne fut pas le fait de Lénine. (Lire à ce sujet mon article : « Poutine contre Lénine »). Après que les bolchevkis aient pris le pouvoir en Russie, ils ont créé l'URSS, le 30 décembre 1922, et la république d’Ukraine en fit partie dès le début avec seulement trois autres républiques : Russie, Biélorussie et Transcaucasie. La Transcaucasie regroupait en avril-mai 1918 la Géorgie, l'Arménie et l'AzerBaïdjan. Remarquons que l'URSS créée du vivant de Lénine était entièrement à l'Ouest de l'Oural et de la mer Gaspienne. Cela n'avait rien de commun avec l'Empire Russe des tsars, de Staline et de Poutine. Cependant, l'Ukraine à cette époque avait un territoire limité et une bonne partie de la population de culture ukrainienne était dispersée dans les Etats voisins : Pologne, Roumanie et Tchéchoslovaquie.
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Ce partage territorial de l’Ukraine durant l’Entre-Deux-Guerres était contesté par les ukrainiens. La revendication patriotique réclamait une Ukraine indépendante, unie, dans ses frontières ethnographiques, avec l’ajout de la Crimée. L’hymne de l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens se terminait par l’évocation de « l’État ukrainien uni, libre, puissant, du Sian au Caucase ».
Toutes les frontières de la partie de l'Europe concernée ont été redessinées avec la seconde guerre mondiale. Hitler a commencé par désintégrer l’État tchécoslovaque (l’Anschluss, Accords de Munic) ensuite, la Pologne a disparu suite à son invasion décidée par les deux dictateurs : Staline et Hitler. A la libération, des frontières ont été redessinées. Au cours de ces bouleversements successifs, l'Ukraine a récupéré des territoires.
Avec l’annexion de la Bessarabie à l’URSS, en 1940, l'Ukraine gagna la partie orientale de la Moldavie laquelle était effectivement peuplée de nombreux Ukrainiens. Elle gagna aussi la Bukovine septentrionale et les régions situées au nord et au sud de la Bessarabie. Une partie de la Pologne, à population ukrainienne, a aussi été annexée à l'Ukraine : la Galicie orientale, la Polésie et la Volhynie. Le 29 juin 1945, l’Ukraine subcarpathique qui avait appartenu à la Tchécoslovaquie, puis à la Hongrie à partir du 2 novembre 1938, fut aussi récupérée.
Ces nouvelles frontières ont été fixées par différents traités, en particulier l’accord soviéto-polonais du 9 septembre 1944 et le traité soviéto-polonais du 16 août 1945, le traité soviéto-tchécoslovaque du 29 juin 1945, le traité de Paris du 10 février 1947 sur la frontière soviéto-roumaine.
Nous savons que depuis Khrouchtchev a fait don de la Crimée à l'Ukraine en 1954. Cela ne changeait rien à la situation de fait car la dictature du Kremlin s'exerçait uniformément sur toute l'URSS. Mais, cette décision suscite maintenant des débats depuis la chute du bloc de l'Est.
C'est avec toutes ces annexions que s'est déssiné le contour actuel de l'Ukraine reconnu internationalement.
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Avant, la déclaration d'indépendance de l'Ukraine, au temps du tsarisme, quand le peuple ukrainien, conservant sa culture, s’est trouvé écartelé entre les impérialismes polonais, russe et ottoman, avec plus tard aussi l’empire austro-hongrois, ce sont assurément les ukrainiens qui étaient dans la partie conquise par les russes qui ont été les plus persécutés. Ils ont notamment subi la politique d’éradication de la langue ukrainienne imposée par la Grande-Russie tsariste.
Les internationalistes partagent sur ce sujet le point de vue de Lénine qui écrivait notamment (Voir ce texte) :
« Pas un démocrate, pour ne rien dire d’un socialiste, n’osera contester l’entière légitimité des revendications ukrainiennes. Pas un démocrate, de même, ne peut nier le droit de l’Ukraine à se séparer librement de la Russie : c’est précisément la reconnaissance sans réserve de ce droit, et elle seule, qui permet de mener campagne en faveur de la libre union des Ukrainiens et des Grands-Russes, de l’union volontaire des deux peuples en un seul Etat. Seule la reconnaissance sans réserve de ce droit peut rompre effectivement, à jamais et complètement, avec le maudit passé tsariste qui a tout fait pour rendre étrangers les uns aux autres des peuples si proches par leur langue, leur territoire, leur caractère et leur histoire. Le tsarisme maudit faisait des Grands-Russes les bourreaux du peuple ukrainien, entretenant systématiquement chez ce dernier la haine de ceux qui allaient jusqu’à empêcher les enfants ukrainiens de parler leur langue maternelle et de faire leurs études dans cette langue. »
Ou encore (Voir ce texte) :
« C’est ce poison du nationalisme grand-russe qui intoxique l’atmosphère politique de la Russie tout entière. Malheur au peuple, qui en asservissant d’autres peuples, renforce la réaction dans toute la Russie. »
Ces écrits de Lénine sont à nouveau d’actualité en Ukraine et en Russie. Les poutinolâtres se prononce entièrement en faveur du « poison du nationalisme grand-russe ». Ils en viennent à affirmer que, puisque pendant un temps, « Le tsarisme maudit faisait des Grands-Russes les bourreaux du peuple ukrainien » les habitants des régions concernées se sentiraient maintenant davantage Russes qu’Ukrainiens. Ils voudraient nous faire croire que les ukrainiens russophones seraient favorables à la domination russe alors que leurs aïeuls ont été victime de cette domination.
Pourtant, les ukrainiens se sont prononcés clairement à ce sujet par référendum dès 1991. Ils se sont prononcés pour l'indépendance de l'Ukraine avec une majorité écrasante de 92,% des votants avec 84 % de participation. Voyons d'ailleurs précisément leur avis dans le Donbass qui est peuplé principalement de russophones. Voici ce qu'a été leur réponse, dans chaque Oblast, à la question : " « Êtes-vous favorable à la déclaration d'indépendance de l'Ukraine ? ».
- Oblast de Donesk OUI à 87 %
- Oblast de Louhansk OUI à 86 %
- Oblast de Kharkiv OUI à 88,22%
- Oblast de Kherson ; OUI à 92,91 %
- même la Crimée avait voté à 56,2% pour l’indépendance.
Voyez aussi en exemple ce témoignage de Médiapart sur un ukrainien russophone, dont le père était russe. Cet ukrainien est rentré en Ukraine à la suite d’un échange de prisonniers :
« Il faut le raconter mais c’est douloureux de s’en souvenir. » Oleksander Teteryatnikov, 47 ans, épaules larges et coupe en brosse, lutte en se remémorant ses « 632 jours » de captivité au cours desquels il a perdu 50 kilos. Cet ambulancier est aujourd’hui mû par une haine profonde de la Russie, qu’il désigne avec un terme ordurier. Lui, natif du sud de l’Ukraine dont la langue maternelle est le russe, dont le père est né à Saint-Pétersbourg, et dont le grand-père était un héros de l’Union soviétique pour avoir servi dans l’Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale. »
Il faut aussi signaler, qu’à la suite de la révolution russe et de l’adhésion de l’Ukraine à l’URSS qui fut au départ voulue par le peuple ukrainien comme le dit la déclaration ci-dessus, la langue ukrainienne a pu à nouveau se développer et elle s’est normalisée. Ce fut une période dîte d’ukrainisation. Mais quand, à partir de 1923, Staline a établi progressivement sa dictature, il a mis un terme aux politiques nationales dans les pays satellites de la Russie.
« C’est ainsi que tous les Ukrainiens qui ont contribué à l’ukrainisation du pays sont d’abord critiqués publiquement par ceux qui sont au pouvoir (Staline et les staliniens) et ensuite expulsés du pays, voire disparaissent à jamais ou se suicident (Skrypnyk, Xvyl’ovyj qui se suicide en mai 1933 en réaction aux attaques dirigées contre lui… et d’autres). Un ordre de Staline met officiellement un terme à l’ukrainisation en 1933. Elle sera remplacée à nouveau par une pratique d’assimilation linguistique, mais cette fois-ci accompagnée d’une terreur inouïe. (Voir : « L’histoire du bilinguisme en Ukraine… ») »
Dans « Comment s’est affirmée la nation ukrainienne » on trouve quelques précisions :
« Mais, à partir du moment où Staline impose son pouvoir personnel en 1929, on entre dans une période marquée par les pires horreurs : des purges systématiques, qui visent notamment les cadres du parti communiste ukrainien et les intellectuels ; la répression du moindre signe d’un réveil national ukrainien, interprété, encore une fois, comme un rejet du pouvoir en place et une menace à l’intégrité territoriale de l’Union soviétique (Asselineau, s’il avait vécu à cette époque, aurait dit que c’était d’une manipulation de la CIA/USA/OTAN) ; et surtout la tristement célèbre famine de 1932-1933, que les Ukrainiens appellent l’Holodomor… ».
La russification actuelle des territoires occupés n’est pas mieux que celle qui a précédé.
Nous avons un flot d’informations sur ce qui se passe actuellement dans les zones de l’Ukraine occupées par les russes. La « russification » de ces régions telle qu’elle est entreprise par Poutine ressemble à ce qui a été fait par Staline. Cela commence à être bien documenté. Regardez sur ce sujet des extraits de quelques articles :
Quelques extraits d’un article intitulé "la russification dans les régions d’Ukraine occupée par les russes (Crimée, Donbass)". :
- La Russie élimine systématiquement toute trace d’identité ukrainienne dans les régions qu’elle occupe. Une russification qui va de l’administration aux programmes scolaires.
- Les programmes scolaires ne sont pas épargnés par la russification forcée. À l’école, la leçon est faite en russe et les cours d’histoire mettent en valeur les valeurs patriotiques voulues par le Kremlin. Les manuels scolaires ukrainiens sont interdits. Fondamentalement, le manuel est un outil de propagande. C’est refuser aux enfants ukrainiens l’accès à leur propre culture, à leur propre histoire. Et elle essaie de transformer ces enfants en citoyens modèles que la Russie souhaite qu’ils deviennent.
Un article de Médiapart intitulé : "Les civils ukrainiens en captivité, otages du Kremlin et moyen de pression sur Kyiv" :
- "A la mi-2023, les Russes ont réussi à faire disparaître entièrement la frange pro-ukrainienne active de la population des territoires occupés : en les arrêtant ou en les poussant à la fuite. Aujourd’hui, protester en public ou en ligne, c’est du suicide. " Anastasia Panteleeva, analyste à l’ONG Media Initiative for Human Rights.
- Ils seraient plusieurs milliers à croupir dans les geôles du Kremlin, certains depuis plusieurs années, en dehors de tout cadre légal.
Un article intitulé "Comment la Russie peuple-t-elle les territoires occupés" :
- Essayant de prendre pied en Crimée, le Kremlin a amené près d’un million de citoyens russes dans la péninsule occupée, modifiant considérablement la démographie locale.
- Mais tout ne se mesure pas en argent, et le Kremlin l’a parfaitement compris. C’est pourquoi il s’empare de plus en plus de la péninsule démographiquement, remplissant la région occupée d’immigrants des régions russes.
- il s’avère que près d’un million de nouveaux résidents ont déménagé ici (en Crimée). Il est facile de deviner qu’ils sont tous russes.
Un autre article : "Déportation : Des enfants ukrainiens volés par la Russie racontent leur calvaire"
- Le « New York Times » publie une série de récits d’enfants déportés en Russie qui ont pu revenir en Ukraine. Cours en russe, apprentissage de l’histoire de la Russie, ils racontent l’endoctrinement dont ils ont fait l’objet en vivant dans des camps militaires.
- C’est un des grands malheurs qui frappe l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe, le 24 Février 2022. Presque 20 000 enfants ukrainiens ont été déportés vers la Russie ou dans les territoires occupés par l’armée russe. Les derniers chiffres donnent le vertige, 387 seulement sont rentrés chez eux.
- L’endoctrinement reste l’objectif de Moscou. On apprend dans l’enquête du New York Times qu’ils ont vécu dans des camps militaires, qu’ils ont pris des cours en russe, chanté l’hymne national russe, regardé des films et appris l’histoire russe. Ils ont, de plus, été formés à manipuler une arme. L’objectif, c’est qu’ils oublient qu’ils sont ukrainiens.
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Sur le même thème : « La recherche des enfants déportés par la Russie, »une course contre-la-montre avant qu’ils disparaissent "
- Plus de 19 000 enfants ukrainiens manquent toujours à l’appel. La Russie continue de nier tout enlèvement et assure qu’il s’agit d’orphelins qu’elle accueille.
- Dans sa plainte adressée fin 2022 à la Cour pénale internationale, l’avocat français Emmanuel Daoud qualifiait les déportations de mineurs d’arme de « russification massive » du Kremlin. Alors que l’Ukraine s’apprête à entrer dans sa troisième année de guerre à grande échelle, les associations soulignent que certains enfants, enlevés à un très jeune âge, n’auront sûrement aucun souvenir ni de leur pays d’origine, ni de leur langue – ni même de leur famille.
Toujours sur le même thème : "Pourquoi et comment la Russie organise-t-elle le transfert des enfants ukrainiens".
- Depuis 2014 et surtout depuis 2022, Moscou a mis en œuvre une politique scandaleuse de déplacement et de déportation à grande échelle de civils ukrainiens, dont des milliers de mineurs non accompagnés. L’un des objectifs de l’invasion russe depuis 2022 est de capturer puis de russifier un grand nombre de citoyens ukrainiens afin de soutenir la démographie russe en déclin.
Regarder aussi cette vidéo intitulée : "Guerre en Ukraine : la russification des territoires occupés" et cette autre vidéo où une ukrainienne raconte comment elle a été russifiée : "Guerre en Ukraine : le témoignage glaçant d’une ex-prisonnière des russes".
Quoi que pense les dirigeants, le peuple ukrainien refuse et refusera que les leurs subissent cela. Renoncer aux territoires occupés serait renoncer à leurs habitants et accepter leur russification. Les ukrainiens veulent le retour des enfants kidnappés. Ils ne sont pas les seuls. Tous ceux qui sont dotés d'un peu d'intelligence et d'humanisme le veulent aussi. Je crois que la plupart des animaux refuseraient qu'on enlève ainsi leurs petits. Seuls des tarés, dénués de toute humanité, peuvent accepter cela. Aucune négociation n'est possible sans ce préalable.