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Billet de blog 28 juin 2022

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Les poutinolâtres français en remettent une couche

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La vidéo de Berruyer

Illustration 1

Absolument rien ne prouve que ni le rouleau de papier ni la vidéo ne contiennent la moindre preuve. Quiconque prétend montrer qu’une preuve se trouve là-dedans devra nous énoncer dans quels termes il est écrit ou dit par quelqu’un qu’il y a eu ces promesses. Vous prétendez que Roland Dumas a écrit quelque chose dans ce rouleau de papier hygiénique où qu’il a dit quelque chose dans cette vidéo alors montrez-nous ce qu’il a dit !

Pourtant, très sérieusement, une quantité de poutinolâtres affirment et répètent que le pauvre Dumas aurait dit dans cette vidéo qu’il est témoin que des promesses de non-élargissement de l’OTAN à l’Est ont été faites. Je dis bien qu’ils affirment et répètent à satiété que Dumas a dit cela. Mais évidemment, ils le font avec le style indirect : « Dumas explique que... », « il affirme que… », « il convient que… », « il confirme que… ». Jamais ils ne citent les prétendues paroles que Roland Dumas aurait dîtes. Ils invitent leurs interlocuteurs à aller chercher eux-mêmes ces paroles, cette preuve… que, bien évidemment, ils sont incapables de donner. Parfois, ils ont le culot de dire qu'on trouve cela à 4mn32 ou 15mn04... Il est évident que si Roland Dumas avait dit quelque chose du style : tel diplomate américain a dit à tel diplomate russe qu'il n'y aura pas d'extension de l'OTAN, les paroles de Roland Dumas auraient été reproduites en caractère gras avec une énorme police de caractères. Elles auraient même été publiées à Moscou depuis longtemps. 

 Ceux qui ont tellement envie que ce soit vrai se font berner par le titre tapageur qui est tout autant catégorique que mensonger : "Comment l'Occident a promis à l'URSS que l'OTAN ne s'étendrait pas, par Roland Dumas, ex-ministre" avec en plus un second titre sur l'écran d'ouverture de la vidéo : "La promesse non-tenue de l'OTAN".

Illustration 2

Je précise que dans la vidéo l'interviewer (Berruyer), et non pas Dumas, parle bien d'une prétendue "garantie que l'OTAN ne s'étendrait pas". A 13mn11s, voici exactement ce qu'il dit :

"Donc, à ce moment de la signature du traité de Moscou où vous vous rappelez avoir vous-même avoir fait... donné cette garantie que l’OTAN ne s’étendrait pas y a eu de grosses négociations sur ce point-là ou ça a été accepté assez rapidement ?"  (C’est l'interviewer qui dit cela et non pas Dumas)

Remarquons bien que lorsque Berruyer dit cela Dumas n'est pas visible sur la vidéo. Dans ce qui suit immédiatement, Dumas apparait, et, sans aucune transition, il parle d'un sujet complètement différent. Il parle de la libération en 1945 et cela sans aucune ambiguïté possible puisqu'il dit : "Tout le monde applaudissait à la paix. Tout le monde était heureux de la victoire. (...) C’était quand même la fin de la guerre". Voici l'intégralité de ce qu'il dit à 13mn22s :

"ça a été accepté , tout le monde a crié à l’évidence. Si l’on en parle aujourd’hui avec l’atmosphère de crise actuelle c’est anachronique. Bon ! Mais à l’époque c’était un climat autre. Tout le monde applaudissait à la paix. Tout le monde était heureux de la victoire. Et donc ça allait dans le sens de ce que les délégations souhaitaient. C’était quand même la fin de la guerre. C’est pour cela que j’ai fait ce long préambule parce que c’est l’explication de ce qui va suivre."

Quand Dumas dit "ça a été accepté", ce n'est donc pas une réponse à l'interviewer. La falsification est grossière. Dumas n'a jamais entendu ce qu'a dit Berruyer. Dumas n'est pas visible quand il dit cela puisqu'il est masqué par des documents placés au montage en premier plan. De plus, le message dans sa globalité est un truandage tant le décalage est énorme entre les titres tapageurs et la réalité du contenu de la vidéo.

Illustration 3

Et c’est avec ce genre de "documents" que les poutinolâtres, ne supportant pas que la parole de leur Dieu soit mise en doute, prétendent exhiber des preuves. En fait, ils se contentent d’écrire des gros titres mensongers pour affirmer que des preuves sensationnelles figurent dans tel ou tel document. Et ces gros-titres, ces ragots et ces racontars sont répétés avec enthousiasme par ceux qui veulent absolument que ce soit la vérité. Ils se disent que la répétition, le martèlement suffiront peut-être. Comme au temps du stalinisme triomphant (les procès de Moscou), ils finiront peut-être par faire passer les bobards pour la pure vérité. Mais il faut avoir l’air de tenir un raisonnement, d’avoir des arguments, des preuves… En êtes-vous certain ? Est-ce vraiment utile ? Ne peut-on pas se contenter de faire semblant d’avoir des arguments ?

L'article du Spiegel

Parfois, les poutinolâtres se contentent de dire que la preuve existe. Puisqu'il existe une trentaine de Mémorandum sur les discussions qui ont eu lieu à la fin de la guerre froide entre les pays de l'OTAN et ceux du bloc de l'Est. il suffit d'en faire une liste et d'affirmer que la preuve est dedans. Si quelqu'un insiste pour demander plus précisément où est la preuve, il suffit de lui envoyer un prétendu résumé. Evidemment, ce qui n'est dans aucun mémorandum apparaîtra néanmoins dans ce résumé. Voilà typiquement ce que font les poutinolâtres.

Parfois, le poutinolâtre zélé emmène le lecteur dans un parcours sinueux vers cette prétendue preuve sans jamais l’atteindre. Ce pauvre lecteur finira peut-être par être persuadé que la preuve existe sans jamais l’avoir vue. Le mensonge est un grand art.

Illustration 4

Exhiber des documents ne prouve rien de plus que d’exhiber une fiole.

Après la vidéo de Dumas, voyons cet autre document sensationnel qu’ils évoquent. Il s’agit d’un article de Spiegel. Du coup, cette revue de la presse pro-capitaliste allemande n’a plus aucun des défauts de « la presse occidentale qui abreuve tous les mougeons ».

Démonstration : Voici un article daté du 21 février 2022 d’un certain Bruno Odent. C’est un chef d’œuvre du genre ! Je reproduis le début de l’article.

 « Ukraine : la preuve que les occidentaux s’étaient engagés à ne pas éorbatchev et Chevardnadzedre l’OTAN vers l’Est »

« Un document émanant des archives britanniques, révélé par le magazine allemand Der Spiegel, souligne que des accords écrits ont bien été passés avec Moscou pour ne pas étendre la sphère d’influence et d’action de l’Alliance atlantique « au-delà de l’Elbe ».

Un document émanant des archives nationales britanniques corrobore la thèse avancée par Moscou de l’existence d’un engagement de Washington et des puissances occidentales à ne pas étendre l’Alliance atlantique vers l’Est. Le magazine allemand Der Spiegel en révèle l’existence.

Ce texte, longtemps classé secret défense, a été remonté des profondeurs des archives par le chercheur états-unien Joshua Shifrinson, professeur à l’université de Boston. Il y est question du procès-verbal d’une réunion des directeurs politiques des ministères des affaires étrangères des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne, tenue à Bonn le 6 mars 1991. Le thème était la sécurité en Europe centrale et orientale.

Le titre de l’article est complètement mensonger. Mais, nous connaissons la technique de ces falsificateurs. Ce qui est le plus important pour l’auteur c’est d’écrire le titre. Le contenu n’est qu’un vague laïus dans lequel aucune preuve ne peut être trouvée.

Le style est parfaitement conforme à la littérature complotiste. L’auteur présente une révélation : Il y aurait eu un document écrit qui aurait été classé secret défense au sujet de la promesse faite de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est. On est plongé d’emblée dans l’espionite. Le moteur de l’histoire c’est la manipulation opérée par les services secrets. Il n’est jamais question de lutte de classe. Leur leitmotiv est : « Avec de l’argent et des armes, on peut déclencher n’importe quelle révolution ». Rien de mieux comme argument que de faire état d’un document classé secret défense. Il est surtout utile d’en parler. Quant à le montrer… C’est plus difficile !

Cette révélation viendrait d’un article de Der Spiegel que l’auteur ne cite même pas. Il se contente d’affirmer que l’article en question citerait des documents d’archives découverts par un politologue américain, le professeur en relations internationales de l’Université de Boston Joshua Shifrinson. Pour l’instant, nous apprenons seulement que Bruno Odent (l’auteur) révèle que le journal Der Spiegel fait une révélation. On avance doucement.

Pourtant l’auteur affirme. Il n’insinue pas. Il ne laisse pas entendre :  "des accords écrits ont bien été passés avec Moscou pour ne pas étendre la sphère d’influence et d’action de l’Alliance atlantique « au-delà de l’Elbe".

Très bien ! Alors nous voulons tous voir ces prétendus accords écrits. Déception ! Nous ne verrons rien ! Mais alors, que contiennent ces documents longtemps restés classés « secret défense ». Réponse :

"Il y est question du procès-verbal d’une réunion des directeurs politiques des ministères des affaires étrangères des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne, tenue à Bonn le 6 mars 1991."

Nous apprenons donc qu'il y est question d'un procès verbal... Mais alors qu'attendent-ils pour nous le montrer ?

En fait il ne le montreront jamais car ce procès verbal, c'est moi qui l'ai publié. Le voici :

Illustration 5

Ils ne voulaient pas le montrer car il prouve exactement le contraire de  ce qu'ils disent. Voir mon article : "En 1991, l'OTAN a refusé d'intégrer des pays qui en faisaient la demande".

Peu importe pour les poutinolâtres que tout ce qu'ils disent soit faux, cela leur fait déjà deux gros-titres pour affirmer qu’ils ont une preuve. Cela suffit-il ? Non, ils en trouveront un troisième !

Olivier Berruyer : le champion de la falsification

Le grand spécialiste des révélations complotistes-alternatives actuelles est Olivier Berruyer. C’est à lui que nous devons la vidéo avec Roland Dumas. Berruyer veut dépasser Thierry Meyssan. Nous nous souvenons qu’après les attentats du 11 septembre, il avait trouvé un créneau qui lui semblait très bon pour se faire voir dans le domaine de la contestation. Il voulait déjà faire concurrence à Meyssan. Mais, quelques temps plus tard, il s’était aperçu que ce créneau le privait de l’accès aux plateaux de télévision. Il avait donc renié toutes ses critiques. Il fait son retour sur ce nouveau créneau de la contestation qui lui semble très porteur. Il relaie la propagande du Kremlin sur son site « Les Crises » et y apporte en plus ses propres contributions.

C'est lui-même qui a réalisé l'interview de Dumas sur la vidéo. Il est bon d'y revenir pour que chacun apprécie le niveau de l'honnêteté de ce Berruyer.

Depuis 2007, date à laquelle Poutine a commencé à faire de cette question d’une prétendue promesse un axe de sa propagande, ils sont nombreux les journalistes qui ont voulu aller chercher des preuves... Ils ont d’abord interrogé ceux qui étaient censés témoigner qu’on leur avait fait des promesses : Gorbatchev, Chevardnadze... En vain.

Berruyer veut faire mieux. Il choisit le pauvre Roland Dumas quelque peu vieillissant. Est-ce un hasard ? On sait que les discours ambigus et confus de Dumas ont déjà été largement et abusivement exploités par les complotistes-alternatifs. On se souvient de l’espèce de déclaration où il disait qu’on lui avait confié que quelqu’un avait dit qu’ils étaient quelques-uns à préparer quelque chose pour la Syrie et que c’était donc la preuve que les anglo-saxons voulaient envahir la Syrie.

Berruyer interview Roland Dumas avec l’intention affichée de lui faire dire qu’il y a eu les fameuses promesses. Les propos de Roland Dumas sont souvent confus et ambigus. On le perçoit fier, vu son âge avancé, qu’on lui prête de l’importance et heureux de faire une démonstration. Il répète plusieurs fois : « Je me souviens très bien... » et quand il le dit c’est vrai ! Il se souvient de faits et de détails précis. Quand il ne le dit pas c’est plus ennuyeux. Il est plus difficile de situer dans le temps les faits qu’il évoque. Il parle des années 1950-60. Il dit à un moment que Poutine a protesté. A partir de quelle date Poutine a-t-il pu intervenir dans une réunion d’ambassadeurs ? Il parle aussi du traité de Moscou (septembre 1990) et fait référence à une réunion précise où l’ambassadeur américain (Baker) est arrivé tardivement. C’est probablement la réunion à Moscou sur le traité de Moscou. Je rappelle que ce traité ne concernait que l'Allemagne qui n'était pas encore réunifiée. Toutes les discussions sur l'extension de l'OTAN à ce moment-là ne portaient que sur l'extension à l'Allemagne de l'Est. Dans l'interview Dumas fait part de son sentiment, de ses idées, de ses opinions sur ce qu’a été la politique de désarmement. C'est avec ça que Berruyer se permet de mettre en titre  "Comment l'Occident a promis à l'URSS que l'OTAN ne s'étendrait pas, par Roland Dumas, ex-ministre ». Avec sur l'écran d'accueil de la  vidéo cet autre titre : "La promesse non-tenue de l'OTAN".

Il reste possible d'objecter que, dans aucun de ces deux titres, il est vraiment dit que Roland Dumas affirme dans la vidéo que les promesses de non-extension de l'OTAN ont été faites. Berruyer serait-il vicelard au point de se protéger ainsi d'une éventuelle attaque en justice ?

Ce Berruyer n’a pas hésité à écrire trois articles intitulés « Expansion de l’OTAN, Les origines de la grave crise actuelle ». La vidéo fait partie de son dossier. C’est le premier de ces trois articles qui nous intéresse car il nous amène d’autres prétendues « preuves ».

Il exhibe un texte en anglais. Il le présente en écrivant simplement : « Afin de clore toute polémique inutile sur ce sujet, voici les promesses telles qu’elles figurent dans les archives occidentales ». Là encore, il ne s’agit que d’un effet de manche, d'un énorme bluff pour avoir l’air d’affirmer avec certitude. Dans quelles archives ? Mystère ! Nous n’avons rien vu.  Comme bien d'autres poutinolâtres, il joue avec les extrapolations à partir des discussions sur la réunification de l'Allemagne. Dans ces discussions, il a été question du déplacement des troupes de l'OTAN de l'Allemagne de l'Ouest vers l'Allemagne de l'Est. Cela n'a rien à voir avec un déplacement de l'OTAN de l'Europe de l'Ouest vers l'Europe de l'Est. Berruyer joue sur cette ambiguïté pour semer la confusion.

En 1990, James Baker a dit, lors d'une réunion avec Gorbatchev, que « La juridiction militaire actuelle de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est ». Il parlait évidemment de l'Allemagne de l'Est car en 1990 ce fut le seul sujet de discussion abordé entre l'OTAN et les autorités russes. Comme nous le verrons prochainement l’absorption dans l’OTAN des pays de l’Est et de certaines républiques ex-soviétiques étaient, à ce moment-là, tout simplement quelque chose d’inimaginable. 

Illustration 6

Évidemment, il n’y a pas davantage de preuves ici qu’ailleurs mais en martelant encore et encore les complotistes-alternatifs finissent par se persuader eux-mêmes que Poutine dit la vérité.

Tout cela est tellement ridicule et dérisoire que ça ne sort même pas du petit cercle franco-français des poutinolâtres. Il est certain que, s’il y avait l’ombre d’un semblant de début de preuve, celle-ci serait reprise par les services d’information de Poutine. Mais la méthode est connue et elle peut être répétée à l’infini. Ne doutons pas que d’autres poutinolâtres bornés sortiront des documents classés « secret défense » enfin déclassifiés dans lesquelles ils jureront que se trouve la preuve que… Ce sera surtout, encore une fois, une preuve que nous ne verrons jamais. Mais laissons de côté ces mensonges, ces fourberies, ces manipulations de faux-culs (Depuis que j'ai écrit ces lignes, ma prophétie s'et largement réalisée).

Les véritables preuves

Passons maintenant aux choses sérieuses : aux véritables preuves. Nous avons la preuve qu’il n’y a jamais eu de promesses d’élargissement de l’OTAN à l’Est. Cette preuve, c’est une déclaration de Mickaël Gorbatchev.

La voici :

Illustration 7

Vous avez ici les termes exacts de la déclaration de Gorbatchev qui est bien le mieux placé pour dire si oui ou non des promesses ont été faites aux dirigeants russes pendant les années où c’était lui qui occupait la plus haute fonction. Pourquoi, dans ces conditions continuer ainsi à tergiverser pendant des heures et des heures ?

Précisons où et quand cette déclaration a été faite en espérant qu’il sera ainsi mis un terme définitif à toutes ces discutailleries.

Voici le lien du texte : « Mikhail Gorbachev : I am against all walls ». Voici maintenant, en anglais, la question qui lui a été posée et sa réponse :

RBTH : « One of the key issues that has arisen in connection with the events in Ukraine is NATO expansion into the East. Do you get the feeling that your Western partners lied to you when they were developing their future plans in Eastern Europe ? Why didn’t you insist that the promises made to you – particularly U.S. Secretary of State James Baker’s promise that NATO would not expand into the East – be legally encoded ? I will quote Baker : “NATO will not move one inch further east.” »

M.G. : « The topic of “NATO expansion” was not discussed at all, and it wasn’t brought up in those years. I say this with full responsibility. Not a singe Eastern European country raised the issue, not even after the Warsaw Pact ceased to exist in 1991. Western leaders didn’t bring it up, either. Another issue we brought up was discussed : making sure that NATO’s military structures would not advance and that additional armed forces from the alliance would not be deployed on the territory of the then-GDR after German reunification. Baker’s statement, mentioned in your question, was made in that context. Kohl and [German Vice Chancellor Hans-Dietrich] Genscher talked about it. »

Voici maintenant la traduction :

Question : « L’expansion de l’OTAN à l’Est est l’un des principaux problèmes soulevés par les événements en Ukraine. Avez-vous l’impression que vos partenaires occidentaux vous ont menti lorsqu’ils élaboraient leurs projets d’avenir en Europe de l’Est  ? Pourquoi n’avez-vous pas insisté pour que les promesses qui vous ont été faites - en particulier la promesse du secrétaire d’État américain James Baker que l’OTAN ne s’étendrait pas à l’Est - soient légalement encodées ? Je citerai Baker : « L’OTAN ne se déplacera pas d’un pouce plus à l’est. »

Réponse : « Le sujet de « l’élargissement de l’OTAN » n’a pas du tout été abordé, et il n’a pas été évoqué pendant ces années. Je le dis en toute responsabilité. Pas un seul pays d’Europe de l’Est n’a soulevé la question, même après la fin du Pacte de Varsovie en 1991. Les dirigeants occidentaux ne l’ont pas non plus soulevée. Une autre question que nous avons soulevée a été discutée : s’assurer que les structures militaires de l’OTAN n’avanceraient pas et que des forces armées supplémentaires de l’alliance ne seraient pas déployées sur le territoire de ce qui était alors la RDA après la réunification allemande. La déclaration de Baker, mentionnée dans votre question, a été faite dans ce contexte. Kohl et [le vice-chancelier allemand Hans-Dietrich] Genscher en ont parlé. »

Cette preuve est irréfutable contrairement à tous les discours que nous avons examinés précédemment d’où il ne sort aucune réelle citation. Cette preuve est dans le style qu’affectionnent les complotistes-alternatifs. Ils veulent des documents sensationnels. C’est fait ! Je leur en ai donné un.

Cela était au-delà de notre domaine de compréhension

Cependant, de mon point de vue, une preuve bien plus évidente saute aux yeux. Il suffit de se replacer dans le contexte de l’époque en analysant la situation. En 1990 personne ne savait si l’Organisation du pacte de Varsovie et l’OTAN avaient ou non un avenir.

Si les évènements s’étaient déroulés tels que Gorbatchev les souhaitait, l’OTAN aurait disparu en même temps que le pacte de Varsovie car il voulait une entente parfaite entre l’Ouest et l’Est. Cela aurait rendu caduques ces regroupements (OTAN et Pacte de Varsovie). Comment et pourquoi un homme qui souhaite, à ce moment-là, la suppression de l’OTAN irait-il s’occuper de faire des promesses sur la non-extension de cette organisation ?

Les premières demandes d'adhésion à l'OTAN (Hongrie, Pologne et Tchéquie) sont parvenues dans le plus grand secret au début de 1991. Gorbatchev ne le savait pas et il jugeait encore que c'était inimaginable. Nous avons vu qu'elles ont été rejetées en mars 1991 (compte rendu secret de la réunion de Bonn).

Pour donner une idée de ce qui était envisageable ou non à cette époque, voici ce qu'Edvard Chevardnadze a déclaré, en 2009, dans une interview accordée en allemand :  « A l'époque, nous ne pouvions pas croire que le Pacte de Varsovie puisse être dissous. C'était au-delà de notre domaine de compréhension. Aucun des pays participants n'avait de doute sur le Pacte de Varsovie. Et les trois États baltes, qui font maintenant partie de l'OTAN, faisaient alors encore partie de l'Union soviétique. »

Le journaliste de Spiegel insiste ensuite lourdement mais les réponses de Chevardnaze ne varient pas. En voici la liste :

  • « C’est la première fois que j’en entends parler.
  • Cela n’a jamais été discuté en ma présence.
  • Cela a peut-être été discuté après ma démission du ministère des Affaires étrangères en décembre 1990. Cependant, pendant mon mandat, ce n'était pas le cas.
  • Gorbatchev avait cette idée (adhésion de l’URSS à l’OTAN), mais il n'a jamais pris de mesures réalistes pour y parvenir. C'est pourquoi il n'a jamais été vraiment discuté entre les dirigeants soviétiques.
  • La question ne s’est jamais posée. »

Voilà bien l’état d’esprit de tous à cette époque : la sortie des pays d’Europe de l’Est du pacte de Varsovie dépassait le domaine de la compréhension. Personne ne pouvait se préoccuper d’élargissement de l’OTAN dans ces conditions.

D'autres preuves

Revenons maintenant à la question des prétendues promesses. Nous avons donné la preuve principale qu’il s’agit d’un mythe avec la déclaration de Gorbatchev. Cette preuve devrait suffire mais les esprits récalcitrants étant nombreux chez les poutinolâtres, j’en ai d’autres à leur proposer.

Il suffit d'ailleurs de réfléchir un peu pour se rendre compte que, sans qu'il y ait un traité, personne ne peut être en mesure de faire de telles promesses et cela de manière très générale. Imaginerait-on, par exemple, qu'aujourd'hui Emmanuel Macron fasse une promesse sur ce que sera la politique de la France après les prochaines élections présidentielles ? A fortiori, personne ne peut faire de promesses sur ce que sera à l'avenir la politique de l'OTAN laquelle engage plusieurs pays. C'est encore plus évident quand on connait le mode de fonctionnement institutionnel de l'OTAN avec les réunions du CAN et les sommets de l'OTAN. La politique de l'OTAN évolue constamment en fonction de la situation et des évènements politiques. Seuls des traités entre des Etats sont en fait des promesses. La seule promesse concernant l'OTAN qui ait été faite est celle du traité de Moscou à propos de l'unification de l'Allemagne. L’article 5, tel qu’il est formulé par Wikipédia, stipule : "Les forces de l'OTAN pourront ensuite stationner à l’est de l’Allemagne, mais s’engagent à ne pas faire stationner d’armes nucléaires après l’évacuation de l’ex-RDA par les troupes soviétiques. Cette clause, comme toutes les autres, a été respectée.

Ne craignons pas de supposer l'impossible pour tenter... l'impossible. Nous voudrions en effet convaincre les plus récalcitrants des poutinolâtres (Mission impossible !) en supposant, un instant, que ces promesses aient existées. Si c'était le cas, alors la réunion du 6 mars 1991, dont nous avons beaucoup parlé (« En 1991, l’OTAN a refusé d'intégrer des pays d’Europe de l’Est ») aurait été inutile. Rappelons qu'il s'agissait de trouver une argumentation pour justifier que l'OTAN refusait l'adhésion de la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie. Il aurait alors suffi de dire que cette intégration était impossible puisque la promesse avait été faite à la Russie qu'il n'y aurait pas d'extension vers l'Est de l'OTAN.

De plus, si ces promesses avaient existé, nous ne voyons pas pourquoi Poutine aurait attendu aussi longtemps pour dénoncer qu'elles ne soient pas respectées. A ma connaissance, les premières divergences entre George W. Bush et Vladimir Poutine apparaissent lors de leur rencontre du jeudi 24 février 2005 à Bratislava (Slovaquie) sur quelques sujets. Ils ont tenu ensemble une conférence de presse à l'issue de la rencontre. Je n'ai pas trouvé de vidéo mais des extraits ont été publiés dans la presse. Le site "Le temps" évoque la tension au sujet des "révolution de couleurs" en ces termes :

"Le Kremlin vit en effet très mal, ces derniers temps, le soutien américain aux mouvements révolutionnaires d'Europe de l'Est, qu'il perçoit comme une ingérence dans sa sphère d'influence naturelle. De son côté, George Bush n'a aucunement l'intention d'abandonner en si bon chemin le mouvement de dominos qui voit s'effondrer les uns après les autres des régimes post-soviétiques corrompus. Il l'a répété jeudi en milieu de journée sur la place centrale de Bratislava (lire ci-dessous). Et, tant qu'à faire, le président américain se soucie désormais très directement du sort de la démocratie en Russie même." 

Le site du journal "Le monde" relate une discussion sur la démocratie en Russie. :"Le président George Bush a déclaré avoir fait part franchement à Vladimir Poutine des inquiétudes de l'Occident concernant le recul de la démocratie en Russie. (...)  Mais Vladimir Poutine, visiblement tendu, a répliqué : "Dire qu'il y a ici ou là plus ou moins de démocratie n'est pas correct, de mon point de vue". "Je suis certain que la démocratie ce n'est pas l'anarchie et le tout-permis et pas la possibilité pour quiconque de voler la population", a-t-il ajouté. "Nous ne nous apprêtons pas a créer une démocratie particulière, nous adoptons les principes essentiels de la démocratie, mais ces principes doivent être appropriés aux traditions de la Russie", a souligné M. Poutine. "Il n'y a là rien d'extraordinaire mais les principes essentiels, nous les mettrons en pratique tels qu'ils ont été générés par la communauté internationale", a-t-il poursuivi."

Cependant, en 2005, c'est encore la bonne entente qui domine. Sur le même site on lit ; "Dans cette conférence de presse Bush a déclaré que Washington et Moscou avaient plus de points communs que de motifs de désaccord. "C'est dans l'intérêt de mon pays que la Russie soit un partenaire viable et fort des Etats-Unis", a déclaré M. Bush." (...) "Les Etats-Unis se sont par ailleurs engagés à coopérer avec la Russie pour la faire entrer cette année dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), selon une déclaration commune des présidents George W. Bush et Vladimir Poutine publiée en marge de leur sommet à Bratislava. "Les Etats-Unis et la Russie sont décidés à travailler ensemble pour achever leurs négociations bilatérales pour l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce en 2005", indique le texte de la déclaration. "Nous allons travailler à identifier les domaines où nous devons progresser dans notre négociation bilatérale afin de donner une impulsion à l'adhésion de la Russie à l'OMC", ajoute le texte."

Vers la même époque, le 7 mai 2005, Poutine était interrogé à propos de la politique de l'OTAN. Voici exactement ce qu'il disait en réponse à une question de Christian Malard, journaliste de France 3 (Vidéo entre 2:22 et et 3:40).

Question : "Depuis la fin de la guerre froide, quel jugement portez-vous aujourd'hui sur l'OTAN qui essaye d'étendre son influence à vos voisins, à vos partenaires comme l'Ukraine et la Géorgie."

Réponse : "Le fait que l'OTAN exerce une grande influence sur l'Ukraine et la Géorgie ne nous indispose pas. En revanche, tout élargissement de l'OTAN n'améliorerait pas la sécurité du monde. Je ne vois pas en quoi l'élargissement à nos voisins Baltes, par exemple, peut améliorer la sécurité du monde. Cela dit, si d'autres républiques de l'ex-URSS adhèrent à l'OTAN nous respecterons leur choix. C'est leur droit souverain en matière de défense, mais certains problèmes pourraient surgir dans le cadre de notre coopération militaire avec l'Ukraine qui est énorme. Cette coopération est à un tel niveau que, s'il devait y avoir une présence militaire de l'OTAN en Ukraine, je n'y maintiendrais plus nos technologies de pointe et nos armements sensibles. L'Ukraine pourrait alors avoir des problèmes. Je le dis franchement. Enfin, au moment où nous allons commémorer le soixantième anniversaire de la victoire, je veux dire que c'est une chance de pouvoir tourner définitivement cette page douloureuse de l'histoire de l'Europe. Elle est à la base de la concorde, de la réconciliation. Cela nous permettra d'élaborer des principes clairs et compréhensibles qui vont nous guider dans les années à venir."

Nous voyons d'une part que le ton était déjà menaçant à propos de l'Ukraine, bien avant le Maïdan, et d'autre part, qu'à cette époque, Poutine était encore pleinement respectueux du droit international. Il disait vouloir respecter le choix des républiques de l'ex-URSS désireuses d'adhérer à l'OTAN. Même s'il se demandait si cela améliorerait la sécurité du monde, il n'envisageait pas de s'y opposer. Rappelons qu'à cette époque les élargissements du 12 mars 1999 (adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque) et du 29 mars 2004 (adhésion de la Bulgarie, de l'Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Slovénie) étaient réalisés et que Poutine ne les critiquait pas. Les menaces à propos de l'Ukraine restaient vagues puisqu'il dit seulement "je n'y maintiendrais plus nos technologies de pointe et nos armements sensibles" mais nous percevons bien qu'il envisageait pire que cela "L'Ukraine pourrait alors avoir des problèmes. Je le dis franchement". Il n'avait pas besoin de laisser entendre qu'il y avait une manipulation des USA. En examinant ce qu'il disait à cette époque, nous voyons s'écrouler les mythes construits par la suite. Il n'est pas du tout question, après ces deux élargissements, de promesses qui n'auraient pas été tenues ou de manipulations des USA.

A vrai dire, il est évident qu'il s'agit d'une fable.

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