Poutine est devenu, pour tout Français en alerte, un nom commun aussi vulgaire que mortifiant - et parfaitement épicène : le ou la poutine. Pour autant, la plupart de nos politistes en chaire ne voient pas vraiment la "poutinisation" de la France. L’heure paraît si grave pour leur UE otanisée que notre poutinisation semble être leur dernier souci.
Videre videor - il me semble que je vois à notre ordre du jour l’alliance réversible (1) de l’extrême centre (2) et de l’extrême droite! Oui, il nous faut élire le et la poutine dès le premier tour de ces élections - pour le coup poutiniennes. Dans notre Herrenvolk Democracy (3) formellement ni raciste ni esclavagiste, ledit peuple des seigneurs (en gros un Français sur trois) est censé choisir son ou sa poutine. Libre au dit seigneur de voter ou non et de préférer ses idées abstraites à ses intérêts immédiats. Pour cette belle individualité, « la démocratie est la liberté », au moins depuis Orwell. Mais voilà, le peuple des seigneurs, lui, vote comme un seul homme.
C’est une évidence thermidorienne qui le fait opter aujourd’hui pour un ou une poutine qui domine, manipule, aveugle une "masse de riens" (deux Français sur trois) obligée de voter contre ses "intérêts de rien" ou s’abstenir. Rares lesdits riens qui transgressent cette obligation faite de mille injonctions perverses, familiales, médiatiques, institutionnelles, professionnelles, etc. Thermidor, quand tu les endors… Nos républiques girouettières (4) sont formidables : il se trouve au final que les riens rebelles à leur masse sont aussi peu nombreux que les seigneurs trop grands-seigneurs pour suivre leur peuple.
Voilà une oliganarchie qu’elle est plaisante! Car tous ces peu nombreux abhorrent le ou la poutine, au point de traquer le moindre "signal faible" de poutinisme. Tiens, un Méluche poutiniste par-devers… Mélenchon ! Certes, de Mélenchon le signal est très faible, mais il n’y a pas de fumée sans feu (5) - donc, il doit être exécuté ! Et nos rebelles anti-méluchiens de s’abstenir franchement (ils disent aussi boycotter (6)) ou bien de voter Jadot, voire Roussel, voire Poutou - pas Arthaud trop campiste. Mais au finale de cet opéra Premier tour, tous auront sans main applaudi au poutine & à la poutine en titre. Bravo.
Oui, ce sont ces rebelles-là qui font l’élection de Macron & Le Pen. Le jeune Hegel les qualifierait sans doute de belles âmes.(7) Ne se disent-ils pas "inutiles au vote utile" (8) pour se croire à tous sens "intelligents" ? Avec Mélenchon, il y va pourtant d’un simple vote efficace qui dit merde à poutine… Trop difficultueux de voter pour un perdant magnifique ? Je veux bien le croire puisque ces belles âmes pensent, que dis-je… calculent déjà pour sauver le poutine de la poutine.
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(1) Pierre Serna, L’extrême centre ou le poison français, 2019
(2) https://blog.mondediplo.net/leur-societe-et-la-notre
… selon une expression si usitée de l’éditorialisme, « les extrêmes se touchent » — mais pas ceux auxquels il réserve usuellement cette jonction : non pas, donc, RN et FI (qui ne peut être qualifiée d’« extrême », et rapprochée de l’autre, que par des individus ayant perdu toute boussole politique), mais l’extrême de la Firme et l’extrême des fascistes, deux sortes de porcs si l’on veut, donc voués à se retrouver, au moins à se compléter. Car, en effet la fascisation de la société est le complémentaire naturel de sa firmisation.
(3) Pierre van den Berghe, Race and Racism. A Comparative Perspective, 1967
(Mutatis mutandis…)
(4) Pierre Serna, La République des girouettes. 1789-1815, et au-delà : une anomalie politique, la France de l’extrême centre, 2005
(6) https://blogs.mediapart.fr/vincent-presumey/blog/151221/boycottons-lelection-presidentielle
(7) Hegel, Phénoménologie de l’esprit, VI, 608-9, traduction JP Lefebvre, 1991 :
Il manque [à cette conscience] la force de l’aliénation, la force de faire de soi une chose et de supporter l’être. Elle vit dans la peur de souiller la splendeur de son intérieur par l’action et l’existence, et pour préserver la pureté de son cœur, elle fuit le contact de l’effectivité, et persiste dans l’impuissance obstinée à renoncer à son Soi-même effilé jusqu’à l’extrême abstraction et à se donner de la substantialité, ou encore à transformer sa pensée en être et à se confier à la différence absolue. L’objet creux qu’elle se fabrique, elle ne le remplit donc que de la conscience de la vacuité; son activité, c’est le languir qui ne fait que se perdre dans un devenir où il devient objet inconsistant, et qui, retombant en soi-même par-delà cette perte, ne se retrouve que comme perdu - dans cette pureté transparente de ses moments, elle est ce qu’on appelle une belle âme malheureuse dont l’ardeur se consume et s’éteint en soi-même, et s’évanouit en une brume informe qui se disperse dans les airs.
(8) https://blogs.mediapart.fr/jean-yves-pranchere/blog/270322/l-inutilite-du-vote-utile