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Billet de blog 23 nov. 2022

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Gagner la guerre avec l’Ukrainotan

Macron s’est aligné sur les US pour gagner la guerre en Ukraine. Oui, c’est son choix, affirme un stratège en activité, précisant quand même que l’alignement serait problématique s’il durait toujours…

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Macron s’est aligné sur les US pour gagner la guerre en Ukraine. Oui, c’est son choix, affirme un stratège en activité (1), précisant quand même que l’alignement serait problématique s’il durait toujours… L’US Primacy (2) tremble ! 

Au finale, va-t-on (3) assister à une non-bataille (4) patiemment revisitée par les stratèges otaniens ? Le concept de Brossollet s’est actualisé : la neutralisation des forces conventionnelles par l’armement nucléaire tactique compris comme ultime avertissement avant le recours aux armes nucléaires stratégiques a vécu, depuis que les armes nucléaires tactiques russes ont perdu leur fonction de signification politique (5). Oui, la préemption US (6) neutralise la dissuasion russe, jusqu’à preuve du contraire. Pour le coup, on voit bien une non-bataille nucléaire.

Retour donc à un affrontement de forces conventionnelles selon les trois dimensions : terrains, airs, réseaux. Entre l’Ukrainotan et la fédération asiate (7), les conditions de possibilité guerrière sont évidentes maintenant.

Le soutien intégral mais pas total à l’Ukraine était bien la surprise que l’OTAN aura réservée à un Poutine qui pensait surprendre son monde en février par une agression bassement physique. Ce soutien intégral qu’on appelle Ukrainotan supporte (à tous les sens du terme) les sanctions financières et économiques à l’endroit de la fédération asiate. Même s’il existe encore des détails ou des coins pas nets, cette intégralité est en gros respectée.

En face, l’effort de guerre asiate prend le caractère de la Totale Propaganda (8) pour une mobilisation partielle. Mais la société poutinienne est en grande difficulté devant cette "opération spéciale": mobilisation et innovation ne sont pas vraiment au rendez-vous. La petite bourgeoisie libérale-urbaine est déjà en exil (plus ou moins confortable) et les rares socialistes anti-guerre se taisent en France (9). Certes, les prolétaires, les ruraux et les immigrés de l’intérieur sont "plastiques", mais seulement dans leurs bulles idéologiques respectives. Au fond, les dominants poutiniens dominent mais ne gouvernent pas cette société proprement incivile.

Pour contrer l’offensive de l’Ukrainotan, l’effort de guerre asiate doit compter sur une certaine profondeur stratégique. Mais où est donc la base ou plutôt le complexe militaro-industriel de la fédération asiate ? Pas à l’est, semble-t-il, mais "à l’ouest", comme on dit - c’est-à-dire au sud de l’Asie ! Or, la Chine est bien décidée à fournir au compte-goutte les roulements à bille indispensables à la mobilisation asiate. C’est là plus qu’une métaphore filée, car la Chine compte vassaliser (10) cette fédération, si elle est défaite sur le front ukrainien.

C’est justement ce que craint par dessus tout l’Ukrainotan et en premier lieu les US qui se cachent volontiers derrière un petit doigt (11) pour affirmer qu’ils redoutent une Grande Récession, si les négociations n’avancent pas. L’heure otanienne serait donc à une stratégie d’usure mais sous contrôle.

Quid des négociations secrètes pendant une guerre d’usure ? De la discussion à la négociation, il y a comme une continuité bergsonienne, si la durée (12) existe encore ! Mais faut-il que les négociations secrètes durent longtemps comme l’avenir ? Quand on pense la guerre comme un flux temporel et non plus spatial, on a très envie de trouver les événements qui satisfont notre « on » guerrier. Encore mal renseigné, on sait juste qu’ « ils » discutent à l’insu de l’Ukraine. Oui, ça avance mieux, mais jusqu’où ?

Malgré sa vulnérabilité financière et économique, militaire et nucléaire, la fédération asiate peut tenir une guerre d’usure, jusqu’à un certain point (13) évidemment. Car cette fédération est facticement sanctuarisée par la dissuasion nucléaire, et l’Ukrainotan peut user et abuser jusqu’à la Crimée. Oui, on peut aller la chercher sans chercher pour autant une capitulation des forces armées asiates qui jetterait la fédération dans les bras de la Chine.

Au diable le froid du neuvième cercle ! Il ne s’agit pas de gagner la bataille du froid mais la guerre de l’Est par une usure au millimètre. On sait qu’une véritable guerre de rupture impliquerait une opération à la Barbarossa. Horresco referens ! Si on peut toujours arguer d’une "défense en avant", le droit de légitime défense prendrait là un bon coup - abus à éviter. D’autant que Poutine s’inclinerait bêtement vers la vraie-fausse dissuasion nucléaire !

Mais enfin, pourquoi une guerre d’usure ne pourrait pas cacher une rupture ? Stratégiquement, si la rupture "extérieure" semble impossible, qu’en est-il de "l’intérieure" ? Soulever avec un levier des masses urbaines qui n’ont pas fui depuis l’agression de février est une gageure, car on ne voit aucun point d’appui intérieur. Tout paraît introuvable ou rasé par le poutinisme.

Videre videor… pardon, il me semble qu’on voit se dessiner une rupture, non pas stratégique mais tactique. Oui, un trou de souris pour remplacer Poutine & Co. par des Fédérés russes incompatibles avec les Chinois… On peut être certain que l’Ukrainotan travaille jour et nuit à ce changement constructif pour le bien de "l’Occident". Cible principale : certains cercles militaires. On peut les acheter, non ? Plus chèrement que les Chinois ?

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(1) https://qg.media/emission/la-france-est-elle-encore-une-grande-puissance-quartier-libre-avec-pierre-joseph-givre/ (Verbatim à 22’ 40)

(2) Susan Watkins : « À bien des égards, l'invasion russe a été une aubaine pour Biden, même si ses cotes d’approbation n’ont pas bénéficié de ce coup de pouce aux yeux des Américains, et elle lui a procuré un grand gain pour souder l'Europe à Washington. D’un autre point de vue, la guerre en Ukraine est une distraction massive de la véritable priorité des démocrates : la relance intérieure pour assurer la primauté américaine dans la rivalité stratégique avec la Chine, où les États-Unis espèrent également voir un autre type de régime s'installer en temps voulu. »

https://blogs.mediapart.fr/prades-cie/blog/211122/cinq-guerres-en-une-le-sens-de-la-bataille-pour-l-ukraine

(3) Qu’on se le dise : le « on » qui s’expose ici ressortit à notre très actuelle Macronie. C’est un existentiel concrètement vécu, pas le qui du Dasein quotidien, honni par Heidegger.

(4) Guy Brossollet, Essai sur la non-bataille, 1975

(5) Brossollet p. 24 : « si l’action relève du domaine militaire, la signification, elle, relève uniquement du politique. Et l’une ne se plie pas forcément aux impératifs de l’autre. »

(6) https://blogs.mediapart.fr/jean-guinard/blog/160322/le-preempteur-biden-ne-specule-pas

(7) Fédération asiate plutôt que russe (malgré une connotation nazie) car il y a une raison finale tactique…

(8) https://journals.openedition.org/germanica/8516

(9) https://www.youtube.com/watch?v=6KBIEOU5V58

(10) Stéphane Audrand : « Le risque est une soumission croissante du pays à la Chine qui, à la faveur de son isolement, deviendrait pour Pékin une forme de « grande Corée du Nord », fournisseur de matières premières et dépendant de Pékin pour toutes les importations technologiques. »

https://theatrum-belli.com/invasion-de-lukraine-par-la-russie-cest-quoi-gagner-la-guerre-1-2-une-russie-en-deroute-et-deroutante/

(11) Justine Brabant : « Le poids que le conflit commence à faire peser sur les économies occidentales. C’est l’argument principal du républicain Kevin McCarthy, qui s’oppose à un « chèque en blanc » en raison du contexte de « récession », mais également de plusieurs politiques français. »

https://www.mediapart.fr/journal/international/191122/chez-les-allies-de-l-ukraine-la-tentation-des-negociations-avec-la-russie

(12) Ladite durée échappe aux acteurs en raison de la logique même de l’action "négocier". Sa connaissance est très fragile car les acteurs qui ont le regard tourné vers la négociation peuvent à tout moment détourner leur regard et… disputer. Reste que cette durée implique le passé, le présent et l’avenir de la guerre.

(13) Ce point est mal évalué (à mon avis) par https://theatrum-belli.com/invasion-de-lukraine-par-la-russie-cest-quoi-gagner-la-guerre-2-2-ukraine-resistance-souffrance-victoires-militaires-et/#comments

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