
J'avais été un fan, me voilà propulsé conférencier ! La découverte des Mothers of Invention à l'été 68 lors de mon voyage initiatique aux États-Unis me donna l'envie de faire de la musique. Frank Zappa était devenu mon nouveau gourou. J'avais 15 ans. Après le concert de l'Olympia quelques mois plus tard, j'enjambai les barrières du Festival d'Amougies pour l'abreuver de questions et enregistrai sa participation aux groupes avec lesquels il improvisa. Je lui donnerai ensuite un coup de main au Festival de Biot-Valbonne et le retrouverai au Gaumont-Palace cette fois avec les Mothers et de nouveau Jean-Luc Ponty. Zappa n'avait pas la réputation d'être facile d'accès, mais ma jeunesse enthousiaste avait raison des résistances de tous les musiciens que je rencontrais, sauf Captain Beefheart qui me traversa comme un ectoplasme et sans que je comprenne comment il avait réussi à m'éviter. Je possède l'intégralité de la discographie (augmentée) de Zappa, les films de lui ou sur lui, les livres qui le concernent, etc., même si la période qui suivit m'intéresse moins, mais je m'y replongeai avec délectation à la fin de sa vie. Je traçai donc mon propre chemin, en particulier grâce aux pistes qu'il avait suggérées dès Freak Out !, son premier album. Rares étaient les camarades qui partageaient mon engouement pour cette musique "de fous". Avec le temps, Zappa a acquis ses lettres de noblesse, et dans certains pays il est carrément adulé. En tant que compositeur, je n'ai jamais tenté de l'imiter, mais je suis resté fasciné par l'originalité de son œuvre, fut-elle influencée par Varèse, Stravinski, Webern, Bartók, le blues, le doo-wop, le jazz, le rock, et tutti quanti. Si j'étais épaté par son travail d'arrangeur et la complexité rythmique, j'avais du mal avec le côté potache des paroles qui correspondent à mon avis au niveau intellectuel de la plupart des ados américains. Par contre, en France on connaît mal ses implications politiques qui l'occupèrent dans son pays, contre la censure ou pour inciter les jeunes à voter. En 1993, j'ai failli réussir à tourner une émission de télévision avec lui, mais "La 7 sur la 2" répondit la phrase célèbre qu'il inscrit sur nombreuses de ses pochettes : "no commercial potential". Quoi qu'il en soit Frank Zappa représente ma référence absolue, avec Charles Ives, Edgard Varèse et John Cage (que j'eus la chance de rencontrer également).


Ayant souvent chroniqué les livres qui lui sont consacrés, et certaines rééditions augmentées de nombreux inédits, je suis resté malgré tout un spécialiste de son œuvre. Mes articles récents sur le livre de sa fille Moon Unit et il y a quelques semaines celui de Pauline Butcher, sa secrétaire particulière de 1968 à 1971, ont donné l'idée aux organisateurs du Festival Muzzix & Associés de m'inviter à Lille pour présenter son film 200 Motels au cinéma L'Univers mercredi soir 8 octobre à 20h. Pour me rafraîchir la mémoire j'ai revu le film ainsi que The True Story of Frank Zappa's 200 Motels que Zappa sortit en 1987 et des entretiens, j'ai repris le somptueux coffret de 6 CD publié en 2021, relu les passages des livres de Christophe Delbrouck et Guy Darol qui s'y connaissent certainement mieux que moi, et de Zappa lui-même. Je suis d'une part très honoré de cette invitation et d'autre part passionné par 200 Motels qui représente à mes yeux et mes oreilles l'apothéose de la première partie de son œuvre.
La seconde illustration est une petite pépite découverte au hasard de ma cinéphilie, l’affiche de 200 Motels dans une séquence de Un pigeon mort dans Beethovenstrasse (Tote Taube in der Beethovenstrasse) de Samuel Fuller en 1972, l’année suivant la sortie du film de Zappa et Tony Palmer. Et il se trouve que je suis aussi un fan des films de Fuller !