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Billet de blog 13 avril 2024

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ÉDUCIDE à Gaza: appel à une minute de silence dans les universités civilisées

Le monde de l'éducation ne peut pas laisser passer ça ! Le présent appel invite les professeurs et enseignants de l'enseignement supérieur partout dans le monde civilisé à interrompre leurs cours pour observer une minute de silence afin de dénoncer un éducide perpétré par Israël à Gaza et marquer ainsi leur profonde solidarité avec le monde de l'éducation en Palestine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

N.B. La version anglaise de ce billet se trouve ici.

Quand un seul enfant est tué dans nos pays dits civilisés, l'émoi est général et il est réconfortant qu'il en soit ainsi. Souvent les gens descendent dans le rue pour signifier leur indignation, même s'ils ne connaissent pas l'enfant tué.

Israël a déjà tué 12 mille enfants et détruit les maisons de 600 mille autres. Pourtant, la majorité des gens dans nos pays dits civilisés ne sont pas informés ou détournent le regard. Ghassam Salamé se demande: Est-ce qu'il y a une fatigue de la compassion internationale ? Heureusement, il y a quelques exceptions, comme ici.

Il y a une disproportion odieusement ahurissante entre l'attention que nos médias traditionnels accordent au meurtre d'un seul enfant chez nous, et le peu d'intérêt accordé à plus de 12 mille enfants massacrés à Gaza, tués par un peuple devenu fou.

Pour tenter de rendre compte de l'étendue du massacre (un massacre record en si peu de temps), des activistes australiens ont écrit ici les noms (en fait la moitié des noms) des enfants tués sur une banderole de papier, une affiche de plusieurs mètres.

Il n'en reste pas moins que l'atrocité des crimes prend un jour encore plus horrible, quand on sait que ces crimes participent d'un génocide.

Un ÉDUCIDE, c'est une composante d'un génocide. En l'occurrence, à Gaza, c'est le massacre d'enfants, d'étudiants, d'enseignants et aussi le saccage des infrastructures d'éducation, à savoir les écoles et les universités. Un ÉDUCIDE, c'est même la composante qui dénote le plus sûrement la volonté et l'intention de génocide, tant il est vrai que tenter de saccager la culture d'un peuple et ses moyens de transmission des conduites apprises revient à tenter d'annihiler sur le long terme l'existence de ce peuple.

Il y a un mois, Dieudonné Leclercq, Professeur émérite de l'Université de Liège, qui était mon mentor au temps où j'étais chercheur, m'a transmis un message interne à cette université dont l'auteur n'est autre que la Rectrice de cette université en personne. Je viens de trouver ce message publié sur le site de l'Association des Universitaires pour le Respect du droit international en Palestine [AURDIP]. Ce message engagé résume bien la destruction du système éducatif dont il est question.

13 mars 2024, Message d'Anne-Sophie Nyssen, Rectrice de l'ULiège,
Injustifiable guerre contre l’éducation à Gaza.

En tant que Rectrice de l’ULiège, et dans la lignée de mon post du 2 novembre 2023 dans lequel j’appelais à l’arrêt de la violence ainsi qu’à l’accès aux ressources vitales, aux soins et à l’aide humanitaire, je veux attirer l’attention sur la destruction du système éducatif palestinien. En quatre  mois, des centaines d’universitaires et d’enseignants ont été tué·es, dont au moins 95 professeur.es et 3 président.es d’université. L’armée israélienne a détruit les principales bibliothèques de Gaza, ainsi que de nombreuses librairies, maisons d’édition et des centaines d’autres institutions du savoir. Les douze universités ont été dévastées. Selon l’ONU, au début du mois de janvier, environ 75% des infrastructures éducatives de Gaza avaient été endommagées.  Quelque 88 000 étudiant.es ont dû interrompre leur cursus.

Devant l’ampleur de ces destructions systématiques des infrastructures éducatives, il n’est plus possible de croire qu’il s’agit d’un effet collatéral -regrettable- de l’action de guerre menée contre le Hamas. Il s’agit clairement d’une action ciblée et intentionnelle, visant à l’éradication de l’une des conditions de survie essentielles de la société gazaouie elle-même: la disponibilité d’une structure d’éducation. 

Si d’immenses progrès avaient été réalisés pour permettre l’accès à l’éducation pour tous et toutes de par le monde, on ne peut que constater, ces dernières années, que la confiscation du droit à l’éducation est utilisée dans les conflits armés et par certains régimes pour contrôler sinon détruire des populations. C’est le cas à Gaza mais aussi en Ukraine, en Afghanistan et dans bien d’autres parties du monde. 

Je condamne clairement et explicitement la destruction délibérée des établissements d’enseignement et la discrimination permanente à l’encontre des étudiants et des collègues, qui forment une atteinte au droit à l’instruction, droit fondamental garanti par les conventions internationales des Droits de l’Enfant et des Droits de l’Homme. Dans ce contexte, L’ULiège répète son engagement à suspendre les collaborations institutionnelles avec les organisations, quelle que soit leur origine, qui soutiennent de manière répétée ou sont directement impliquées dans les violations du droit international et des droits humains.

J'ai marqué en gras ci-dessus la fin de ce message qui démontre l'engagement responsable d'une université qui ne reste pas les bras croisés. Ne rien faire revient à être complice.

La publication sur le site de l'AURDIP est un autre signe de l'engagement officiel de cette université contre la barbarie anti-éducative qu'Israël démontre en Palestine. On trouve sur ce site de nombreux témoignages et articles qui documentent cette barbarie.

A mon sens, il convient d'appeler un chat un chat, en l’occurrence d'utiliser le terme ÉDUCIDE pour souligner ce que Madame la Rectrice appelle, en l'occurrence: une "action ciblée et intentionnelle, visant à l’éradication de l’une des conditions de survie essentielles de la société gazaouie elle-même: la disponibilité d’une structure d’éducation."

Il ne s'agit pas ici de polémiquer sur l'usage d'un mot, mais bien de proposer une communication percutante résumée en un seul mot. C'est une question d'efficacité médiatique, sachant aussi qu'il y a déjà un très large consensus international pour dénoncer le "génocide" à Gaza qui dépasse l'horreur d'une simple "guerre" entre des soldats. Ce large consensus s'est exprimé officiellement de la part de plusieurs pays devant la Cour de Justice Internationale [CIJ] au point que cette Cour n'a pas pu ignorer le génocide. Dans son jugement du 26 janvier 2024, cette Cour a mis en garde Israël contre un risque de génocide. L'un des derniers rebondissements de cette affaire, c'est la plainte du Nicaragua qui accuse l'Allemagne de faciliter un génocide. Cette affaire a été instruite par le Nicaragua pendant près de 7 heures devant la CIJ. Il est vrai que le droit international n'autorise ni le génocide ni la complicité de génocide.

Le mot ÉDUCIDE n'est peut-être pas (encore) acceptable de jure au plan académique, mais il permet de facto de marquer les esprits pour faciliter la propagation des idées, rendre contagieuse l'indignation et amplifier des actions exemplaires de résistance, comme celles de Madame Nyssen dans son rôle de Rectrice d'université.

Voici quelques articles glanés sur internet en cherchant le mot « éducide » en français ou « educide » sans accent en anglais.

Selon ce dernier article, le mot EDUCIDE aurait été proposé par Neve Gordon, Professeur de droit international et de droits humains à la Queen Mary University de Londres, pour désigner la destruction du système éducatif de Gaza.

Sur le même thème, on peut lire encore sur le site AURDIP en date du 25 janvier 2024, Comment Israël a détruit les écoles et les universités de Gaza.

Le même bilan catastrophique de la situation à Gaza est décrit aussi dans un article paru le 6 mars dans LeMonde qui titre: Les douze universités de Gaza détruites ou endommagées par l’armée israélienne : « C’est une guerre contre l’éducation. » L’intégralité des établissements d’enseignement supérieur de l’enclave palestinienne a été ciblée par les forces israéliennes. Trois présidents et près de cent doyens et professeurs ont été tués dans les bombardements.

Il importe de souligner l'endoctrinement meurtrier dont "bénéficie" la jeunesse en Israël, comme en témoigne un professeur israélien qui fut emprisonné, torturé et harcelé pour s'être opposé à la guerre à Gaza.

L'éducation en Israël est pitoyable, car elle est le fait d'un État dérangé, comme le dit un spécialiste de l'Islam qui affirme que, si Israël était une personne, elle serait internée en hôpital psychiatrique.

Alors pourquoi une minute de silence ?

  • Premièrement, parce qu'il est nécessaire que la communauté éducative se mobilise.
    Déjà le 16 janvier 2024, le collectif L’Éducation avec Gaza lançait un appel la mobilisation:
    MDE, Stop au massacre des Palestiniens et à la destruction du système éducatif à Gaza !
    Nous, enseignants et personnel de l’éducation rassemblés au sein du collectif « L’Éducation avec Gaza », appelons la communauté éducative de France à se mobiliser pour alerter sur les exactions commises par Israël en Palestine et exiger un cessez-le-feu immédiat.
    Fort bien ! Mais comment faire pour se mobiliser ?
    La minute de silence constitue une manière simple, une action concrète, pour se mobiliser et alerter.
  • Deuxièmement, parce qu'il s'agit de signifier une profonde solidarité avec les victimes palestiniennes.
  • Troisièmement, parce qu'il s'agit de signifier une profonde indignation quant à la politique génocidaire systématiquement déployée par Israël à Gaza.
  • Quatrièmement, pour alerter le reste du monde afin d'éviter la complicité de génocide, et en particulier, la complicité d'éducide par ignorance.

Bref, une minute de silence pour dénoncer un éducide, c'est un moyen de remettre l'humanité et l'éducation au milieu du village planétaire.

S'adressant à des scientifiques*, l'hypothèse de travail pourrait être libellée comme suit:
la minute de silence pour éducide est une action non seulement symbolique au plan éthique mais aussi une action éducative voire potentiellement thérapeutique.

* Il s'agit de ternir compte d'un feedback que m'a donné le Professeur Dieudonné Leclercq, à propos de la version originale du présent billet.

Au plan éducatif, on peut penser que, dans un amphithéâtre universitaire ou une simple salle de cours, une minute de silence serait un événement suffisamment rare ou original pour marquer les esprits sur le long terme et pour convoyer une double leçon au plan des valeurs morales: un leçon de solidarité avec les victimes survivantes d'éducide en Palestine et une leçon d'indignation à l'encontre des auteurs d'éducide en Israël.

Au plan thérapeutique, une minute de silence pendant les cours serait un événement qui pourrait faire boule de neige, surtout si les dirigeants de l'enseignement supérieur invitent les enseignants à organiser cette minute de silence. Si la nouvelle d'une minute de silence pouvait irradier au point d'être connue des victimes et des agresseurs, on peut escompter les effets suivants:

  • Pour les victimes, la minute de silence pour éducide pourrait leur apporter un peu de réconfort moral et encourager leur résilience.
  • Pour les agresseurs, la minute de silence pour éducide pourrait les inciter à prendre conscience de la folie qui les anime, à décider la fin des crimes qui sont devenus leur raison d'être, et à œuvrer désormais à la reconstruction au service des victimes survivantes de leurs exactions.

Au plan éthique, si des milliers d'étudiants rendent hommage à des milliers de victimes, on peut raisonnablement espérer qu'un certain équilibre de dignité sera rétabli rendant d'autres éducides nettement plus improbables.

Plus fortes que les mots pour méditer pendant la minute de silence, voici les images d'une vidéo d'Al Jazeera qui contrastent la destruction d'une université avec la beauté de cette université avant la destruction et les témoignages d'étudiants privés de leur université:
Gaza University destroyed: Israel accused of targeting education centers.

Illustration 1
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Merci de bien vouloir diffuser le présent appel (éventuellement sur d'autres réseaux sociaux) et le relayer principalement auprès des professeurs d'université et de l'enseignement supérieur... mais pourquoi pas aussi auprès des enseignants en classe terminale du lycée ou du secondaire.

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